L'extrémisme violent érode la résilience climatique au Sahel
Les groupes djihadistes et les ripostes militarisées ont affaibli les approches traditionnelles de résolution des conflits liés au climat.
Le Sahel est l'une des régions d'Afrique les plus vulnérables au changement climatique. Elle est de plus en plus frappée par des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations et les sécheresses, ainsi que par une dégradation continue des sols, qui épuisent les ressources naturelles vitales pour les économies locales.
Entre 1979 et 2010, les températures moyennes dans la région ont augmenté de 0,6° C à 0,8° C, et des hausses supplémentaires de 3° C à 6° C sont prévues d'ici la fin du xxie siècle.
Une récente étude de l'Institut d'études de sécurité (ISS) qui analyse la relation entre le changement climatique et l'insécurité révèle que les populations rurales du Sahel ont longtemps compté sur les mécanismes indigènes de résolution des conflits pour faire face aux tensions liées au climat. Les effets du changement climatique et de la croissance rapide de la population ont intensifié la concurrence pour les terres arables, l'eau et les pâturages, provoquant souvent des conflits locaux.
Historiquement, la gestion pacifique de ces tensions garantissait une utilisation équitable des rares ressources pendant les périodes de stress climatique. Cependant, l’intensification de la violence djihadiste au Sahel ébranle la cohésion sociale dans plusieurs localités. Il est donc plus difficile pour les communautés de résoudre les tensions liées aux ressources et, ce faisant, de résister aux effets du changement climatique.
Les régions de Tillabéri au Niger et de Fada-Ngourma au Burkina Faso
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Les recherches de l’ISS dans les régions de Tillabéri et de Fada-Ngourma (voir la carte) révèlent que la gestion des ressources naturelles repose traditionnellement sur la coexistence de trois systèmes de production : le pastoralisme, l'agriculture et la pêche, en particulier autour du fleuve Niger.
Ces systèmes sont souvent en concurrence dans un contexte de ressources limitées. Ils ont coexisté grâce à des pratiques et des normes codifiées fondées sur le droit coutumier qui régule les interactions entre les groupes socio-économiques. Cette approche repose sur une architecture sociale complexe supervisée par les chefs de famille, les chefs de terre, les chefs de village et les chefs religieux qui contrôlent l'accès aux ressources et résolvent les conflits. Leur autorité maintient l'harmonie au sein des familles, des clans, des castes et des groupes ethniques.
Néanmoins, l'étude a montré que dans les deux régions les conflits liés aux ressources sont alimentés par l’augmentation de la raréfaction des ressources dans ce contexte de changement climatique. On assiste notamment à des tensions entre éleveurs sédentaires et nomades, agriculteurs, éleveurs transhumants et agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. Les conflits les plus fréquents opposent les agriculteurs et les éleveurs, en particulier pendant les périodes de pénurie.
Pour y remédier, le Burkina Faso et le Niger ont mis en place des structures pour arbitrer ces conflits. Au Niger, le Code rural a permis la création de commissions foncières aux niveaux des régions, des départements, des communes et des villages. Au Burkina Faso, la législation sur le régime foncier rural a mis en place une Commission de conciliation foncière villageoise dans chaque village. Toutefois, ces commissions, généralement dirigées par des préfets, des gouverneurs ou des fonctionnaires de l’État, ont du mal à gérer efficacement les tensions.
Les institutions coutumières inspirent plus confiance que les structures de résolution des conflits de l'État
Dans les deux études de cas , la plupart des personnes interrogées ont exprimé une plus grande confiance aux institutions coutumières qu’aux structures de résolution des conflits de l'État, souvent perçues comme manquant de légitimité, d'impartialité et de transparence. Les préoccupations liées à la corruption sapent également leur crédibilité. En revanche, les institutions traditionnelles puisent leur force dans leur proximité avec les communautés locales et leur capacité à éviter la lourdeur des procédures bureaucratiques.
La confiance en ces instances traditionnelles repose également sur deux autres facteurs. Premièrement, sur la légitimité morale des figures traditionnelles - chefs religieux, chefs de terre, chefs de village, chefs de familles - qui sont largement reconnus comme les gardiens de l'ordre social. Deuxièmement, sur leur approche conciliatrice du règlement des litiges qui privilégie la préservation des liens familiaux et l'harmonie entre les communautés.
Cette architecture de gouvernance traditionnelle a longtemps soutenu la résilience des communautés face aux chocs climatiques. Cependant, elle est de plus en plus menacée par l'influence croissante des groupes extrémistes violents et les réponses anti-terroristes fortement militarisées des États du Sahel.
Des groupes tels que Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) et l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) attaquent souvent les communautés, et leurs chefs. Très souvent, ces chefs locaux, au pouvoir social influent et à l’autorité enracinée sont combattues par les groupes extrémistes pour certaines raisons. Premièrement les groupes cherchent à soumettre les chefs jugés réfractaires et à imposer leur propre autorité. Deuxièmement, ils cherchent à démanteler un ordre social dont ces chefs locaux en sont les représentants. Soit parce que l’autorité coutumière ou religieuse, parfois fondé sur des hiérarchies sociales rigides, légitime des inégalités sociales qu’ils jugent contraire à leur vision égalitariste de l’islam. Soit parce que les chefs coutumiers, reconnus comme auxiliaires de l’administration publique, sont à priori soupçonné d’être des complices de l’État que les groupes combattent.
Des chefs de communauté sont tués ou déplacés, affaiblissant l’arbitrage des tensions sociales
Plusieurs chefs communautaires ont été tués, menacés ou déplacés, ce qui a réduit la capacité des chefferies à apaiser les tensions sociales. Dans certaines régions, les groupes djihadistes imposent des systèmes de gouvernance oppressifs qui remettent directement en cause la légitimité des systèmes fonciers traditionnels et déstabilisent la gouvernance locale.
Alors que certains leaders et combattants des groupes extrémistes sont issus de la communauté peule, les amalgames insinuant une sympathie de toute cette communauté pour les groupes extrémistes ont parfois nourri des cycles de violence et d’exclusion à leur encontre. En retour, ces violences ont poussé certains membres de la communauté à rejoindre les groupes extrémistes pour se protéger ou se venger des forces étatiques.
Les initiatives de sécurité de l'État ont parfois aggravé les tensions locales. Au Burkina Faso, le recrutement de volontaires civils pour des opérations anti-terroristes a involontairement pu exposer certaines communautés à des représailles djihadistes, ébranlant davantage la confiance en la capacité de l'État à assurer la sécurité.
Ces cycles de violence incessants qui détériorent la gouvernance locale sapent le consensus social incontournable à la gestion efficace des ressources naturelles et des conflits pouvant en résulter. En fin de compte, ce n'est pas seulement la rareté des ressources qui menace la résilience climatique au Sahel, mais aussi l'effondrement des systèmes traditionnels qui garantissaient autrefois leur gestion équitable et paisible.
La résilience des communautés au changement climatique passe par une gouvernance locale forte
La crise au Sahel souligne le besoin d'une approche multidimensionnelle de la stabilité dans la région. Si les stratégies d'adaptation au climat doivent inclure des interventions techniques telles que des innovations agronomiques, la résilience à long terme exige qu’on s’attaque aux causes sous-jacentes de l'insécurité. Elles alimentent la fragilité politique, humanitaire et environnementale de la région.
Le renforcement de la résilience des communautés au changement climatique passe par la consolidation des structures de gouvernance locales. Les gouvernements sahéliens, en particulier le Niger, le Mali et le Burkina Faso, doivent aller au-delà des ripostes militaires et investir dans le rétablissement de la cohésion sociale.
Un avenir durable dépend également d'un soutien significatif au dialogue communautaire, à la médiation des conflits et à l'autonomisation des institutions traditionnelles dans le cadre d'une stratégie globale pour la paix et la stabilité.
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