L’étau se resserre autour du processus de paix au Soudan du Sud
En tant que garante de l’accord de paix, l’Union africaine doit prendre des mesures urgentes pour désamorcer les tensions politiques.
Le 26 mars, des agents de sécurité conduits par le ministre de la Défense et le chef de la Sécurité nationale du Soudan du Sud ont pénétré le domicile du premier vice-président Riek Machar, neutralisé sa garde rapprochée et l’ont assigné à résidence.
Son rôle présumé dans les récentes escarmouches entre les Forces de défense du peuple du Soudan du Sud (SSPDF), dominées par les Dinka, et l’Armée blanche, milice Nuer a servi de catalyseur. Ces escarmouches ont éclaté en début mars, apparemment à la suite d’un désaccord quant à la relève des soldats des SSPDF dans la garnison de Nasir, retardée depuis longtemps.
Le ministre de l’Information, Michael Makuei, a déclaré que le président Salva Kiir a ordonné ces arrestations afin d’empêcher les attaques visant des installations gouvernementales et de préserver l’Accord revitalisé de 2018 sur la résolution du conflit dans la République du Soudan du Sud (R-ARCSS).
Le gouvernement a également arrêté plusieurs ministres de l’opposition et des militaires de haut rang du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS). Des frappes aériennes ont été autorisées dans le comté de Nasir et autour de Juba, et certains membres de l’opposition sont entrés dans la clandestinité.
Les tensions se sont accrues, avec des remaniements au sein du gouvernement transitoire d’unité nationale, notamment à l’échelle du vice-président. Ces remaniements seraient liés à la tentative de Kiir d’orchestrer sa succession en dehors du R-ARCSS. Cela révèle une profonde défiance entre les deux dirigeants du pays et contrevient aux termes de l’accord de paix de 2018.
Vu l’implication passée de l’Union africaine (UA) dans la stabilisation du Soudan du Sud, elle doit intervenir afin d’éviter l’effondrement complet. Il convient de comprendre les tenants et les aboutissants de la crise, ainsi que les options dont dispose le Conseil de paix et de sécurité (CPS).
Le maintien du népotisme dans l’armée et la scène politique reste profondément enraciné
Les violences à Nasir et dans d’autres régions sont le prolongement de violences intermittentes, de la fragilité institutionnelle, des divisions et des politiques d’exclusion caractérisant le Soudan du Sud depuis son indépendance en 2011.
En raison de la défiance entre Kiir et Machar, aucun des deux n’a fusionné ses groupes armés en une force nationale. Cette défiance a alimenté les craintes liées aux élections et aux tentatives de neutraliser les dissidents et les personnalités du gouvernement par la médiation et le remaniement.
Outre les désaccords entre les dirigeants, les conflits affectant plusieurs payams, comtés et États empiètent sur la politique nationale, créant une interaction entre les dynamiques nationales. À Nasir, les différends nationaux ont influencé les décisions des comtés et ont servi de prétexte pour redéfinir les relations du gouvernement de transition.
De même, le maintien du népotisme dans l’armée et le corps politique reste un problème profondément enraciné. Pour certains, par ses remaniements ministériels répétés, Kiir tente maladroitement d’affirmer son contrôle sur le gouvernement dans un contexte d’affaiblissement financier et économique.
Le ralentissement économique résulte de la baisse des recettes pétrolières causée une mauvaise gestion et la guerre civile au Soudan. Le pétrole représente 90 % des recettes du Soudan du Sud et les perturbations ont réduit la production quotidienne d’environ 68 % entre décembre 2024 et janvier 2025. Cette situation a sapé les efforts des dirigeants pour maintenir leur soutien et la loyauté des factions armées.
Le caractère durable de l’accord de partage du pouvoir R-ARCSS dépend du dialogue entre les parties. Cependant, les décisions unilatérales de Kiir donnent l’impression qu’il prépare une transition qui exclut l’opposition et d’autres parties. Les divisions qui suivent chaque limogeage ont intensifié les tensions, conduisant à des prorogations répétées du calendrier de la transition.
La prise de décision unilatérale de Kiir suggère qu’il se prépare à une transition exclusive
Les récentes violences de Nasir soulignent l’échec de la mise en œuvre, même minimale, de l’accord R-ARCSS et ont renforcé la détresse économique et la défiance sur fond de tensions ethniques. Le pays se trouve à la croisée des chemins, avec plusieurs issues possibles, dont deux se démarquent.
Tout d’abord, et c’est le plus probable, les SSPDF, les milices associées et les groupes tels que l’Armée blanche se retranchent dans leurs positions, attirant ainsi d’autres acteurs. Depuis la flambée de Nasir, toutes les factions tentent de se venger ou de se protéger.
Ce résultat est étayé par les campagnes aériennes et terrestres contre l’opposition dans certaines parties du pays, notamment à l’extérieur de Juba et dans le Haut-Nil. La rhétorique agressive des représentants du gouvernement, le report de la visite des ministres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et l’engagement de groupes ethniques tels que les Shilluk et les Equatorias en témoignent.
Ce résultat pourrait entraîner l’effondrement du processus de paix déjà précaire. Même le processus de haut niveau de Tumaini, destiné à faire progresser le R-ARCSS, est désormais dans les limbes.
Le second scénario, moins probable, est que Machar et ses lieutenants bénéficient d’une libération conditionnelle, ce qui pourrait apaiser les tensions. Taban Deng Gai, le vice-président chargé des infrastructures, a conseillé à Machar, de renoncer à l’Armée blanche et de permettre au gouvernement d’intégrer les forces d’opposition dans les SSPDF.
Toutefois, cela équivaudrait à la reddition de Machar, ce qui est improbable, car renoncer à l’Armée blanche aliénerait le chef de l’opposition auprès de la communauté Nuer.
Le résultat le plus probable est que les SSPDF et ses groupes armés se retranchent sur leurs positions
Ces événements viendraient affaiblir Machar et permettraient aux acteurs de la transition choisis par Kiir de dominer la scène politique. Kiir continuera à limiter le pouvoir de Machar en fonction de la capacité de ce dernier à empêcher l’ascension des successeurs favoris de Kiir.
À la croisée de ces deux scénarios, les chances de sauver le processus de paix sont minces. Toutefois, il sera difficile d’aborder les dynamiques complexes, y compris l’accord militaire du Soudan du Sud avec l’Ouganda, qui pourrait outrepasser le mandat du Groupe des sages de l’UA.
Face à l’éventualité d’une escalade, l’UA – en tant que garante de l’accord R-ARCSS – doit intervenir pour soutenir les mesures de désescalade régionales en cours. Outre les réunions du CPS et l’appel au Comité ad hoc de haut niveau de l’UA sur le Soudan du Sud (C5) pour soutenir les efforts de l’IGAD, l’UA pourrait créer un groupe de contact avec l’IGAD afin d’examiner les mesures de désescalade. Il faudrait commencer par établir les responsabilités dans les évènements de Nasir.
Le CPS devrait essayer d’obtenir la libération de Machar, et des figures de l’opposition détenues arbitrairement et les réintégrer dans les structures définies par l’accord R-ARCSS.
Ces actions sont essentielles pour maintenir l’intégrité de l’accord de partage du pouvoir. Si l’engagement régional et continental est retardé, la violence pourrait s’aggraver et la possibilité de sauver le processus de paix s’amenuiser.
Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport de l’ISS sur le CPS.
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