REUTERS/Abdirahman Hussein

Face aux pirates somaliens, la coopération reste la meilleure défense

Le redéploiement des flottes navales vers la mer Rouge a créé des zones de vulnérabilité dans l’océan Indien occidental.

Les incidents impliquant des pirates somaliens début novembre 2025 sont les plus graves dans l’océan Indien occidental depuis l’accalmie de la mi-2024. Ils ne traduisent pas une résurgence générale de la piraterie, mais rappellent l’importance de maintenir des dispositifs efficaces de lutte contre ce phénomène en mer.

Après une période de répression par la marine indienne en 2024, un groupe soupçonné d'être des pirates somaliens a démontré sa capacité à opérer loin des côtes en utilisant des bateaux de pêche détournés comme navires-mères, une tactique désormais reprise par un second groupe.

Le 3 novembre, des assaillants ont ouvert le feu en tentant d’aborder le chimiquier Stolt Sagaland dans les eaux internationales, à plus de 300 milles marins au large des côtes somaliennes, avant d’être repoussés par les agents de sécurité privés à bord.

Trois jours plus tard, le Hellas Aphrodite, qui transportait de l’essence de l'Inde vers l'Afrique du Sud, a été attaqué par des pirates armés de lance-roquettes RPG et d'armes légères. L'équipage s'est retranché dans la citadelle, et a conservé le contrôle jusqu'à l’arrivée le lendemain de la frégate espagnole ESPS Victoria, déployée dans le cadre de l’« Opération Atalanta », la mission anti-piraterie de l'Union européenne.

Le lendemain, dans le même secteur, le méthanier Al Thumama aurait réussi à distancer un navire suspect qui tentait de l’approcher.

Le modèle de pirates somaliens semble inchangé : capturer les équipages de navires commerciaux contre rançon

Cette évolution suggère un regain de confiance et de capacités organisationnelles des groupes de pirates. Leur mode opératoire reste inchangé : utiliser un navire-mère et de petites embarcations pour attaquer des navires à l’aide d’armes légères et de RPG, afin de capturer les équipages contre rançon. Ne disposant pas d’installations côtières pour décharger la cargaison de plupart des navires, les pirates privilégient la prise d’otages, plus rentable.

La frustration des communautés du Puntland et du centre de la Somalie face à une pêche étrangère jugée illégale pourrait alimenter les réseaux utilisés par les pirates pour le mouillage, la logistique et le renseignement. Les récits locaux accusant les patrouilles navales internationales de « protéger » cette pêche accentuent le ressentiment.

Depuis des décennies, les eaux somaliennes sont pillées par des navires de pêche non autorisés opérés par des criminels étrangers. Le mois dernier, les autorités du Puntland ont saisi plusieurs navires impliqués dans ces activités illégales qui privent l’Etat somalien de revenus essentiels et compromettent les moyens de subsistance des petits pêcheurs. Les groupes de pirates présentent leur action comme une « protection » de leurs eaux et un moyen de subsistance dans un contexte économique précaire.

La coopération renforcée entre al-Shabaab et les Houthis contribue également à l'insécurité maritime. Al-Shabaab aurait sollicité des armes sophistiquées et une formation en échange d'une intensification de la piraterie dans le golfe d'Aden et au large de la Somalie. Le ciblage de navires marchands, la perturbation de la circulation maritime et l’extorsion de rançons entraverait davantage le trafic maritime mondial et renforcerait l'emprise des Houthis sur la mer Rouge et le golfe d'Aden. Toutefois, il est trop tôt pour établir un lien direct entre cette dynamique et les incidents récents, qui pourraient tout aussi bien résulter de cellules pirates réactivées.

Les relations toujours plus fortes entre al-Shabaab et les Houthis s’ajoute aux menaces de la sécurité maritime

En décembre 2023, des pirates ont détourné le MV Ruen. Une intervention rapide et décisive de la marine indienne en mars 2024 y a mis fin et conduit à la capture de 35 pirates qui semblaient l'utiliser comme méga-navire-mère.

En mars 2024, le vraquier bangladais Abdullah a été capturé alors qu’il transportait du charbon du Mozambique vers les Émirats arabes unis. Après un mois de négociations, les pirates auraient obtenu 5 millions de dollars américains pour sa libération. Cette rançon aurait pu encourager de nouvelles attaques, mais l’opération contre le MV Ruen a réduit les velléités de reprise.

La météo joue également un rôle dans la recrudescence des actes de piraterie : les moussons du sud-ouest et du nord-est constituent traditionnellement un frein naturel. Les attaques récentes ont profité d'une période favorable, avec un mer plus calme facilitant l’approche des petites embarcations. L'arrivée de la mousson du nord-est devrait cependant changer la donne. De fin novembre à début février, elle apporte des vents plus forts et une mer plus agitée, limitant depuis toujours la capacité des pirates à opérer en haute mer.

Les initiatives de lutte contre la piraterie mises en place au cours des deux dernières décennies n'ont pas disparu, même si elles apparaissent dépassées. Les mécanismes de coordination tels que le Shared Awareness and De-confliction (SHADE) et le Code de conduite de Djibouti (amendement de Djeddah) restent actifs, mais avec un élargissement de leur mandat et de leur périmètre.

Le sureffectif naval en mer Rouge rend certaines parties de l'océan Indien occidental vulnérables

Les lacunes persistantes de la couverture navale multinationale sont préoccupantes. Les pirates ont également tiré parti du redéploiement des grandes puissances maritimes vers la mer Rouge assaillie par les attaques des Houthis, au détriment de l'océan Indien occidental.

La réaction de l’équipage du Hellas Aphrodite lors de la récente attaque souligne l’efficacité des meilleures pratiques de gestion (MPG) dans la lutte contre la piraterie. Sans gardes à bord, l'équipage a néanmoins réussi à empêcher le détournement en se retranchant dans la citadelle, conformément à la sixième version des MPG.

Une citadelle est un lieu sécurisé conçu pour accueillir l'ensemble de l'équipage et du personnel supplémentaire pendant trois à cinq jours, le temps nécessaire à l’intervention de forces navales amies. Elle doit être équipée d’assez de nourriture et d’eau, d’installations sanitaires et de fournitures médicales et maintenir une communication bidirectionnelle indépendante avec le siège social et les autorités navales ou policières via des systèmes satellitaires distincts de ceux du pont.

La récente recrudescence des attaques souligne également la nécessité de renforcer la sensibilisation des communautés côtières aux dangers et aux sanctions liés à la piraterie, d’améliorer la sécurité à bord, d’intensifier les patrouilles navales et d’assurer la rapidité des interventions. Ces éléments demeurent capitaux pour protéger la navigation sur l'océan Indien occidental et le golfe d'Aden dans les années à venir.

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