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Le Burundi peut-il se permettre de retirer ses troupes de la Somalie ?

Le retrait de la mission de paix de l’UA en Somalie pourrait avoir de lourdes conséquences pour le Burundi.

En décembre 2024, les Nations unies et l’Union africaine (UA) ont décidé de remplacer la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) par une force réduite, la Mission d’appui et de stabilisation de l’Union africaine en Somalie (AUSSOM).

Depuis lors, les discussions se sont principalement concentrées sur les contributions de l’Égypte et de l’Éthiopie à l’AUSSOM. Leurs déploiements éventuels s’inscriraient dans le contexte des tensions géopolitiques dans la Corne de l’Afrique, notamment en ce qui concerne l’accès à l’eau et à la mer Rouge. En revanche, le retrait potentiel des soldats burundais de Somalie, lié à un différend sur le nombre de troupes, a reçu relativement peu d’attention.

Le Burundi avait proposé de fournir 3 000 des 12 626 soldats de l’AUSSOM, mais a déclaré ne plus vouloir participer après que son contingent a été limité à 1 000 soldats par la Somalie. Une lettre du ministre somalien de la Défense à son homologue burundais a confirmé ce désaccord, citant un manque de consensus.

De hauts fonctionnaires burundais ont jugé ce quota insuffisant et risqué pour leurs soldats engagés contre Al-Shabaab. La participation du Burundi demeure incertaine, les discussions restant ouvertes.

Le Burundi a contribué de manière déterminante à plusieurs succès des missions de paix en Somalie

Un retrait du Burundi représenterait une perte significative pour l’AUSSOM. Contributeur clé aux missions de l’UA en Somalie, le pays a joué un rôle crucial dans des succès majeurs, comme la libération de Mogadiscio en 2011 et la sécurisation de sites stratégiques.

Il aurait également un impact sur le Burundi. Depuis 2007, ce dernier a été un acteur clé de la première mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), devenant le deuxième contributeur après l’Ouganda. Fin 2008, un contingent d’environ 1 700 soldats burundais était déployé en Somalie en réponse à l’insurrection d’Al-Shabaab, rassemblant par la suite jusqu’à 5 500 soldats, soit plus d’un cinquième de l’armée nationale.

L’envoi de forces dans une Somalie instable s’explique en partie par des enjeux internes au Burundi. Les missions de l’AMISOM ont généré des revenus réguliers à ce dernier, soutenant ainsi l’intégration des anciens belligérants et la professionnalisation de l’armée après la fin de la guerre civile en 2005. Ces revenus, combinés à l’assistance sécuritaire, ont financé le budget de la défense burundaise de manière substantielle.

Initialement, cette participation était perçue comme un exemple positif de maintien de la paix soutenant la reconstruction post-conflit. Cependant, la donne a changé en 2015 lorsque le président Pierre Nkurunziza a déclenché une crise politique en briguant un troisième mandat. Des manifestations publiques ont éclaté et les forces de sécurité ont réagi violemment, causant la mort de centaines de personnes. Un coup d’État militaire manqué en mai 2015 a aggravé la situation.

La participation à l’AMISOM a largement financé le budget de la défense du Burundi

Les violences de l’État ayant entraîné une réduction des financements internationaux, la participation à l’AMISOM est devenue une source vitale de revenus pour le gouvernement burundais. Ces fonds étaient essentiels pour payer les troupes, rendant les missions de maintien de la paix à l’étranger cruciales pour préserver la stabilité intérieure.

L’AMISOM a également offert une protection politique au Burundi, dissuadant l’UA et d’autres acteurs d’intervenir directement dans la crise intérieure, malgré les menaces de celle-ci de s’impliquer dans la désescalade de la violence dans le pays.

Lorsque l’ATMIS a remplacé l’AMISOM en 2022, le Burundi a cherché de nouvelles missions de maintien de la paix, sans grand succès. Ses tentatives de déployer des troupes en République centrafricaine, en Haïti et au Soudan n’ont pas abouti.

En 2023, le Burundi a participé à la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), qui a été écourtée en raison de la frustration de Kinshasa face à son manque d’action.

Les déploiements en RDC s’appuient sur des décisions opaques, hors contrôle parlementaire

Alors qu’il retirait ses forces de Somalie pendant la liquidation de l’ATMIS, le Burundi a renforcé sa présence militaire en RDC dans le cadre d’un accord bilatéral. Une opération militaire conjointe convenue en juillet 2022 visait initialement les groupes d’opposition armés burundais dans l’est de la RDC.

En 2023, le Burundi a envoyé des centaines de soldats combattre la rébellion du M23 dans le Nord-Kivu aux côtés de l’armée congolaise et des groupes armés alliés locaux. Actuellement, sa présence militaire en RDC comprend au moins deux brigades, totalisant plusieurs milliers de soldats.

Le déploiement en RDC a posé plusieurs défis au Burundi. Certains soldats ont exprimé leur réticence face au nombre élevé de pertes, à une rémunération insuffisante et à un manque de soutien logistique. En juin 2024, un tribunal militaire burundais a condamné plus de 270 soldats à de lourdes peines de prison pour avoir refusé de combattre le M23.

Par ailleurs, l’alliance stratégique du Burundi avec la RDC a contribué à détériorer ses relations avec le Rwanda. Les tensions entre la RDC et le Rwanda autour du soutien de ce dernier au M23 ont exacerbé les risques de conflit.

Un retrait de la Somalie représenterait un moment charnière pour le Burundi, avec des implications profondes sur le plan national. La mission de l’UA reste l’une des principales sources de devises étrangères pour le pays, essentielles à son économie.

La perte des financements générés par les missions de maintien de la paix pourrait détériorer les conditions de vie des militaires burundais et limiter leurs perspectives d’avancement. Les opérations en RDC ne semblent pas offrir une alternative durable aux allocations financières, aux avantages matériels et aux opportunités de formation qu’apportaient les missions de l’UA.

Tout ceci pourrait susciter un mécontentement au sein de l’armée burundaise, diminuant sa capacité à répondre aux défis sécuritaires du Burundi sur le plan national et régional.

Le passage des missions multilatérales, comme en Somalie, à des déploiements bilatéraux, affaiblit l’accord de paix d’Arusha de 2000, qui avait placé l’armée sous contrôle démocratique civil. Ces nouveaux déploiements, fondés sur des décisions opaques et échappant au contrôle parlementaire, menacent les bases fragiles d’un Burundi d’après-guerre et risquent d’éroder davantage ses institutions démocratiques.

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