En RDC, la douteuse alliance politique se délite

Tshisekedi tente de se défaire des chaînes qui le relient à l’ancien président de la RDC.

Le 26 novembre a marqué la fin, pour le président Félix Tshisekedi, d’une consultation présidentielle qui a duré trois semaines avec les acteurs politiques, économiques, syndicaux, religieux et avec le monde des affaires de la République démocratique du Congo (RDC). Cette consultation avait pour objectif de créer une « union sacrée » afin de stabiliser la gouvernance nationale.

Tshisekedi est également en quête d’alliés qui pourraient l’aider à se libérer de l’emprise de l’ancien président Joseph Kabila et de sa coalition, le Front commun pour le Congo (FCC), qui contrôle l’Assemblée nationale et la plupart des gouvernorats des provinces du pays.

Ces consultations font suite à plusieurs mois de turbulences politiques au sein de l’alliance Tshisekedi-Kabila, composée de deux coalitions. D’une part, Cap pour le changement (CACH), composé de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Tshisekedi et de l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, et d’autre part, le FCC, placé sous « l’autorité morale » de Kabila et de son Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie.

Par ailleurs, Kabila a également organisé des discussions au sein du FCC, qui ont abouti à une résolution visant à contrer les projets de Tshisekedi. Les deux camps se sont lancés dans une campagne diplomatique en vue d’obtenir un soutien régional, continental et international pour leur camp respectif.

Les deux camps se sont lancés dans une campagne diplomatique pour obtenir un soutien régional et international

Tshisekedi a pris ses fonctions à la suite d’élections largement contestées, en janvier 2019. En effet, les observateurs de la Conférence épiscopale nationale du Congo ont constaté la victoire de Martin Fayulu.

Tshisekedi et Kabila auraient signé un accord secret en janvier 2019, établissant un gouvernement de coalition qui fait de la RDC un pays avec un pouvoir à deux centres, dirigés par chacun d’eux.

L’accord en question aurait été conclu dans la foulée de l’élection présidentielle, et ce huit jours avant que la Commission électorale congolaise n’annonce les résultats. Il accordait en outre l’immunité totale à Kabila et à ses plus proches alliés. Les parties ont également convenu que l’UDPS de Tshisekedi soutiendrait un candidat du FCC lors de l’élection présidentielle de 2023.

Cet accord permettrait essentiellement à Kabila de conserver le pouvoir en lui assurant voix au chapitre dans les principales décisions de gouvernance par le biais de consultations directes avec Tshisekedi. Le FCC nommerait également le Premier ministre, l’Assemblée nationale, les  principaux ministres  et autres hauts fonctionnaires.

L’accord secret aurait été conclu huit jours avant l’annonce officielle des résultats de l’élection

Tshisekedi est sous le feu des critiques du FCC et de Kabila pour être revenu sur cet accord et pour avoir prétendument violé la Constitution de la RDC dans la manière dont il aurait nommé des juges de la Cour constitutionnelle et de cours d’appel.

L’existence même de l’accord Tshisekedi-Kabila semble indiquer que Tshisekedi n’était pas le vainqueur légal et légitime du scrutin. S’il l’avait été, il n’aurait pas été obligé de signer quelque accord que ce soit avec Kabila et le FCC. Et si, comme l’ont noté certains observateurs attentifs de la politique en RDC qui ont demandé à rester anonymes, cet accord secret a été conclu en échange de la « victoire » de Tshisekedi à la présidentielle, il bafoue alors le résultat de l’élection.

Les tensions entre le FCC et le CACH se sont encore accrues lorsque Tshisekedi a procédé à d’importantes nominations dans l’armée et dans les tribunaux sans obtenir l’aval de ses alliés du FCC. Il n’a pas non plus consulté le Premier ministre choisi par le FCC, Sylvestre Ilunga Ilunkamba. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Kabila et le FCC a été la nomination par Tshisekedi de trois juges à la Cour constitutionnelle, deux d’entre eux étant rejetés par le FCC.

Cela a fait suite à des désaccords au sein de la coalition CACH-FCC quant à la nomination contestée de Ronsard Malonda à la tête de la Commission électorale nationale indépendante. La nomination de Malonda, que l’on croit proche du FCC, a été confirmée par l’Assemblée nationale, mais n’a pas reçu l’aval de Tshisekedi.

De nouveaux alliés pourraient soutenir Tshisekedi s’il dissout le Parlement et organise des élections législatives anticipées

Le FCC voit dans les manœuvres de Tshisekedi une volonté affirmée de consolider son pouvoir et de s’extraire de l’accord secret afin de préparer sa candidature à l’élection présidentielle de 2023.

Face à un FCC impassible, Tshisekedi tente d’inverser l’équilibre des pouvoirs à l’Assemblée nationale en créant de nouvelles alliances et en débauchant des membres d’autres groupes parlementaires, dont le FCC. Cela ne sera pas tâche facile car le FCC détient une large majorité. De nouveaux alliés pourraient soutenir Tshisekedi s’il décidait de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives anticipées.

À cette fin, le soutien de Lamuka (l’alliance composée des principaux leaders de l’opposition tels que Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba et Martin Fayulu) sera crucial pour Tshisekedi. Fayulu continue cependant de revendiquer sa victoire à l’élection présidentielle de décembre 2018 et n’a pas participé aux consultations récemment menées par Tshisekedi. Katumbi et Bemba ont tous deux rencontré Tshisekedi, bien qu’il ne soit pas certain qu’ils lui apporteront leur soutien.

Au sein du gouvernement, les divergences entre les ministres du CACH et du FCC et entre le Premier ministre et Tshisekedi sapent le fonctionnement des institutions de l’État. Cette situation est intenable et ne perdurera certainement pas ainsi jusqu’aux prochaines élections présidentielles, prévues pour 2023. Sans soutien au Parlement, Tshisekedi pourrait choisir de dissoudre l’Assemblée nationale. Il compterait alors sur son « union sacrée » pour lui donner une majorité parlementaire après des élections législatives anticipées, lui permettant ainsi de gouverner sans entrave.

La viabilité de l’alliance CACH (UDPS-UNC) est toutefois remise en question, rendant ainsi la tâche de Tshisekedi plus difficile. L’accord secret entre Tshisekedi et Kabila remettrait en cause l’accord de Nairobi signé en novembre 2018 entre Tshisekedi et son ancien allié, Kamerhe. Cet accord prévoyait que Kamerhe se retirait de la course à la présidence pour soutenir Tshisekedi. Ce dernier devait nommer Kamerhe au poste de Premier ministre, puis soutenir un candidat de l’UNC en 2023.

Or, Kamerhe, devenu le puissant chef de cabinet de Tshisekedi à la présidence, a été arrêté et condamné à 20 ans de prison en juin 2020 pour détournement de fonds publics. Pour de nombreux observateurs, cela est de bon augure pour Tshisekedi (et même pour Kabila), car un adversaire potentiel dans la course à la présidence de 2023 a été écarté.

Alors que Tshisekedi s’efforce de consolider son pouvoir, il se prépare également à assurer la présidence tournante de l’Union africaine en février 2021. Pour apporter une contribution significative dans ce rôle pour le moins exigeant, il devra résoudre au moins certains de ces conflits internes. Mais la vraie question est de savoir si Tshisekedi est en mesure de défendre les valeurs de l’UA, compte tenu de la controverse qui entoure son accession à la présidence de la RDC.

Mohamed M Diatta, chercheur, ISS, Addis-Abeba

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