ERICKY BONIPHACE / AFP

Guerre juridique contre la démocratie en Afrique

Les présidents en exercice et les partis au pouvoir contournent la loi pour se maintenir au pouvoir et museler l'opposition.

Le recours à des instruments juridiques pour consolider le pouvoir politique et écarter les opposants s’accentue en Afrique. Cette « instrumentalisation du droit » se traduit par des manipulations du nombre de mandats présidentiels, des remaniements de magistrats et l'exploitation des processus juridiques pour rester au pouvoir.

Le Zimbabwe, la Zambie, la Tanzanie, la République démocratique du Congo (RDC) et le Togo ont eu recours à cette tactique. Elle discrédite les institutions démocratiques et crée une inégalité dans le paysage politique.

Alors que l'Union africaine (UA) tente de promouvoir la bonne gouvernance, la lutte contre l’instrumentalisation du droit s’avère indispensable pour freiner le recul de la démocratie.

L’instrumentalisation du droit varie selon les pays. Une tendance récente consiste à manipuler les dispositions légales liées au pouvoir politique. Les lois sont adoptées pour faire pencher la balance politique en faveur des dirigeants et procéder à des modifications constitutionnelles.

Les autorités usent de stratagèmes pour exclure les partis d'opposition des élections prétextant le non-respect des lois électorales. En Tanzanie, la Commission électorale nationale indépendante a disqualifié le principal parti d'opposition, Chama cha Demokrasia (Chadema), avant les élections d'octobre 2025, pour avoir refusé de signer un nouveau code d’éthique électoral.

Les dirigeants exploitent les ambiguïtés juridiques pour saboter la concurrence politique

Bien que la loi électorale tanzanienne de 2024 impose le respect de cette règle, la Constitution et la commission électorale n'ont pas le pouvoir de disqualifier des partis sur cette base. Pourtant, le candidat du Chadema a été exclu, donnant ainsi un avantage au parti au pouvoir et créant un précédent pour utiliser d'autres dispositions de manière similaire.

Ce phénomène se manifeste également dans des décisions judiciaires contradictoires qui cachent des intérêts politiques. En Zambie, la décision rendue en 2018 par la Cour constitutionnelle selon laquelle le premier mandat du président Edgar Lungu n’était pas inclus dans la limite des deux mandats quinquennaux a suscité des interrogations. Lungu avait nommé plusieurs des juges qui ont rendu cette décision dont le verdict lui a permis de briguer un troisième mandat.

En 2024, la même cour, sous une nouvelle administration et après le départ de plusieurs juges, a infirmé cette décision. Lungu s'est vu interdire de se présenter aux élections de 2026. Cette fois, la décision de la cour a donné l'avantage au président Hakainde Hichilema. (Lungu, longtemps actif sur la scène politique, est décédé hier, le 5 juin.)

L’incohérence des décisions de la Cour constitutionnelle zambienne a révélé que les lois peuvent être manipulées à des fins politiques.

Ces exemples illustrent comment les dirigeants exploitent les failles juridiques, sans violer la loi, effectuent des nominations pour neutraliser l'opposition ou appliquent de manière sélective les décisions de justice. Cela complique la détection et la lutte contre l’instrumentalisation du droit, et menace la responsabilité démocratique en Afrique.

L'UA doit lutter contre l’instrumentalisation du droit qui cause le recul de la démocratie en Afrique

Une manifestation inconstestable de l’instrumentalisation du droit est le recours aux processus de révision constitutionnelle et à la refonte des institutions pour se maintenir au pouvoir. Ces tactiques préservent un vernis de procédure tout en faisant avancer les objectifs politiques. Les décisions sont fondées sur des votes parlementaires ou des référendums, mais respectent rarement l'esprit de la constitution.

Une tendance récurrente consiste à modifier la limitation de mandats, les pouvoirs de l’exécutif ou à réformer le système politique en faveur des dirigeants comme en RDC, au Zimbabwe et au Togo. En RDC, le président Félix Tshisekedi a annoncé son intention de réformer et de « congoliser » la constitution de 2006, estimant qu'elle émanait d'une médiation internationale. Ses détracteurs y voient une tentative d'obtenir un troisième mandat.

Au Zimbabwe, le président Emmerson Mnangagwa a démenti vouloir briguer un troisième mandat. Mais les récentes déclarations du ministre de la Justice, Ziyambi Ziyambi, sur la « clarification » de la constitution ont provoqué des protestations.

Au Togo, les réformes constitutionnelles de 2024 ont transformé le système politique présidentiel en un système parlementaire sans élections présidentielles directes. Selon le parti au pouvoir, cette mesure renforcerait la démocratie mais l'opposition et la société civile, la considèrent comme un « coup d'État constitutionnel visant à contourner la limitation des mandats présidentiels ».

Ces tactiques affaiblissent les mécanismes de contrôle et d'équilibre inhérents aux institutions politiques africaines. Les tribunaux et les assemblées législatives sont utilisés à des fins partisanes, et la distinction entre la légalité et la manipulation devient floue. Toutes ces actions créent un précédent qui compromettra l'intégrité des institutions politiques et l'équité des élections.

Le fonctionnement silencieux des rouages juridiques pourrait causer un déclin de la démocratie

Il en résulte souvent une instabilité. Au Zimbabwe, la lassitude face à un éventuel troisième mandat a tendu les relations avec les anciens combattants et certaines sections du secteur de la sécurité, essentielles à la stabilité du régime. En RDC, l'attention du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA est détournée de la résolution de la crise dans l'est du pays. Au Togo, les relations déjà fragiles entre les civils et les militaires pourraient s'envenimer.

L'UA dispose d'outils puissants pour faire face à la situation. La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, en son article 23(5), interdit les modifications et révisions constitutionnelles contraires aux principes du changement démocratique de gouvernement. Mais son application a été sélective et limitée.

Le CPS est intervenu lors de la crise du troisième mandat au Burundi entre 2015 et 2016, où quatre communiqués distincts du Conseil ont tenté d'empêcher la candidature de l'ancien président Pierre Nkurunziza. Lorsque l’instrumentalisation du droit était plus subtile, la légalité masquant soigneusement le recul démocratique, le Conseil est resté inactif.

Les tactiques d’instrumentalisation du droit n’étant pas couvertes dans le rapport annuel sur l'état de la paix et de la sécurité présenté à l'Assemblée de l'UA, les actions se limitent à la surveillance et à l'alerte précoce. Le CPS pourrait élargir le rapport semestriel sur les élections afin d'y inclure la manipulation des dispositions légales. Cela permettrait de sensibiliser l'opinion et d'inscrire ces questions à l'ordre du jour avant que l'érosion démocratique ne s'aggrave.

Mettre en lumière la sophistication croissante du phénomène permettra de disposer d'une base pour apporter des réponses proactives. Sans une action plus affirmée, l’avenir de la démocratie en Afrique s'effritera non pas à cause de soldats dans les rues, mais d'un changement discret des rouages juridiques.

Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport sur le CPS de l'ISS.

 Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

 
Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié