Un dialogue national correctement mené pourrait stabiliser le Cameroun

Les discussions sur la crise anglophone offrent l’occasion de réformer les institutions de gouvernance et d’améliorer les relations entre l’État et ses citoyens.

Les autorités camerounaises ont récemment annoncé la tenue d’un dialogue national, qui permettrait de dénouer la crise qui submerge les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays. Cette déclaration a été accueillie de manière largement positive. Si certains analystes y voient une manœuvre politique, les acteurs camerounais et les partenaires internationaux insistent sur la nécessité d’un tel dialogue.

La crise anglophone n’est que le symptôme le plus visible d’un problème de gouvernance beaucoup plus vaste. Le retour de la stabilité au Cameroun ne sera possible que si le dialogue en question aborde les multiples crises affectant le pays et s’il aboutit à une refonte institutionnelle progressive et irréversible.

Par rapport à plusieurs de ses voisins - notamment le Nigeria, le Tchad, la République centrafricaine (RCA) et la République du Congo - qui ont connu leur lot de bouleversements politiques et de conflits violents et insolubles, le Cameroun jouit d’une situation politique et sociale relativement stable depuis des décennies.

Le Cameroun a rétabli un contrôle plus strict sur les libertés civiles, sous prétexte de lutter contre le terrorisme

Mais au cours des huit dernières années, cette stabilité a été ébranlée par trois phénomènes : la propagation de l’insurrection de Boko Haram du Nigeria aux régions du Nord du Cameroun en 2014 ; la poussée des mouvements fédéralistes et sécessionnistes dans les régions anglophones en 2016 ; et l'augmentation du crime organisé dans l’Est du pays, du fait du conflit en RCA.

Les élections présidentielles de 2018 ont par ailleurs déclenché une crise politique qui a abouti à la détention de l’opposant Maurice Kamto, accusé de sédition, d’insurrection et d’incitation à la violence par un tribunal militaire.

La violente répression menée par les forces gouvernementales dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays fait la une des médias internationaux depuis quelques années. La brutalité des troupes gouvernementales, et des divers groupes armés sécessionnistes toujours plus dévoyés, a provoqué d’importants problèmes humanitaires.

Les Camerounais des régions anglophones sont confrontés aux représailles souvent indiscriminées des forces de sécurité et à un harcèlement de la part de groupes armés. Selon les chiffres des Nations unies, environ 520 000 personnes - pour la plupart des femmes et des enfants - ont été contraintes de fuir leurs foyers pour se réfugier dans des centres urbains déjà surpeuplés. L’on estime à 32 000 le nombre de personnes ayant trouvé refuge au Nigeria voisin.

Paradoxalement, le dogmatisme du gouvernement a suscité un vif débat autour du fédéralisme

Cette crise est en partie imputable aux imperfections du processus de démocratisation des années 1990, qui s’est contenté de recycler certaines formes autoritaires de gouvernance, ne cédant que sur les aspects les plus symboliques de la démocratie, à savoir les élections, une presse libre très réglementée et un certain degré de libertés civiles et politiques. En réalité, le gouvernement a rétabli un contrôle beaucoup plus strict sur les libertés civiles, sous prétexte de lutter contre le terrorisme.

Autre problème structurel majeur qui nuit à l’efficacité du service public et qui est à l’origine de diverses crises, y compris celle touchant les régions anglophones, le système de gouvernance est tellement centralisé et inefficace qu’il ne parvient pas à fournir aux citoyens les services publics de base. La crise anglophone résulte en partie de la réticence de générations de fonctionnaires à prendre en compte les besoins des citoyens.

La rupture des relations entre l’État et la société a affaibli la société civile, qui peine à se définir ou à coexister avec un parti au pouvoir dominant et des partis d’opposition insignifiants. Ni la population ni le gouvernement ne parviennent à surmonter les divisions ethniques. Un fossé qui ne cesse de s'agrandir s’est creusé entre une classe politique vieillissante, principalement composée de fonctionnaires, et le reste de la société, en particulier les jeunes. Les classes moyennes et la diaspora camerounaise se sentent également mal représentées par cette classe politique.

On ne sait toujours pas qui prendra part au dialogue, et si ses conclusions seront applicables. Quoiqu’il en soit, il serait utile que soit reconnu l’échec de l’architecture de gouvernance actuelle et que soient conçues de nouvelles structures, axées sur une prestation efficace des services.

Ni la population, ni le gouvernement ne parviennent à surmonter les divisions ethniques

Cela fait désormais 23 ans que le gouvernement a adopté des dispositions constitutionnelles en matière de décentralisation. Leur mise en œuvre n’a cependant jamais semblé être une priorité. Depuis quelques années, le gouvernement et le parti au pouvoir refusent toute discussion sur la forme de l’État. Ayant fait du fédéralisme et de la sécession des sujets tabous, ils considèrent de telles discussions comme une concession inacceptable en faveur des sécessionnistes.

Paradoxalement, le dogmatisme du gouvernement a suscité un vif débat autour du fédéralisme. Bien que cette discussion ait principalement été menée par des groupes anglophones qui demandent un retour à la situation de 1961, à savoir une fédération à deux États, de nouvelles voix, principalement francophones, ont émergé, proposant la mise en place d’une fédération qui suivrait les contours des dix régions existantes, ou qui se baserait sur de nouvelles entités régionales.

Le dialogue national offre l’occasion de réformer les institutions actuelles, de repenser la configuration de l’État et d’améliorer les relations entre l’État et les citoyens. Toutefois, il arrive souvent qu’un dialogue national se transforme en exercice intéressé orchestré par un régime à bout de souffle, dont l’objectif est d’imposer divers changements constitutionnels favorisant les dirigeants en place. Ce type de dialogue améliore rarement la gouvernance d’un pays.

Ainsi, si l’annonce d’un tel forum constitue une avancée pour le Cameroun, il reste beaucoup à faire pour qu’il atteigne ses objectifs et pour que cesse la lente chute du pays dans l’instabilité. Les conclusions du dialogue devront être contraignantes et appliquées de manière à rétablir la confiance dans les institutions nationales et à instaurer le sentiment d’un nouveau contrat social.

Le gouvernement pourrait également solliciter la participation d’un facilitateur de l’Union africaine (UA), qui aurait la double fonction d’appuyer le Premier ministre en sa qualité de responsable du dialogue national et de fournir un gage international de neutralité, exigé par certaines parties prenantes.

Idéalement, le facilitateur de l’UA ne devrait pas être un ancien chef d’État, mais plutôt une personnalité politique respectée, dotée de compétences diplomatiques solides et d’une expérience dans la gestion de la diversité. Le recours à une facilitation extra-africaine n’est pas nécessaire.

Plus que jamais, le Cameroun a besoin d’un dialogue national réellement inclusif, durant lequel aucun sujet ne sera considéré comme tabou. Au cours des trois dernières années, la polarisation résultant de la crise anglophone et du dernier scrutin présidentiel a engendré un phénomène inquiétant : dans l’espace public, les échanges d’insultes à caractère ethnique tendent à remplacer les débats sur la manière de rétablir la paix. Le Cameroun ne peut se permettre de manquer l’opportunité que présente ce dialogue et l’UA doit aider le pays à éviter de sombrer dans une instabilité accrue.

Paul-Simon Handy, conseiller régional principal, ISS Dakar

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