Élections au Niger : sortir de l’impasse politique
À l'approche des élections, l’hyperpersonnalisation des débats entrave la discussion de fond sur les programmes des candidats.
Publié le 10 décembre 2020 dans
ISS Today
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Les 13 et 27 décembre prochains, quelque 7,4 millions de Nigériennes et Nigériens sont appelés aux urnes pour des élections locales, législatives et présidentielle. Ces élections, qui pourraient marquer la première alternance démocratique entre deux présidents élus, représentent une opportunité pour consolider les acquis démocratiques.
Cependant, cinq années de rupture du dialogue politique et une polarisation croissante du discours autour de questions de personnes menacent la perspective d’un passage de relais pacifique dans un pays où le processus démocratique a régulièrement été interrompu par le passé ; le Niger a vécu quatre coups d’État depuis son indépendance en 1960.
Le président sortant, Mahamadou Issoufou, qui a effectué deux mandats, ne se présente pas à cette élection. Une décision conforme à la Constitution nigérienne de 2010, mais qui mérite d’être soulignée dans une Afrique de l’Ouest où sévit le virus des troisièmes mandats.
Les partis d’opposition dénoncent un processus électoral auquel ils n’ont pas pleinement pris part, n’ayant pas souhaité siéger aux instances centrales de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Pourtant, l’engouement pour ces scrutins est réel, et les candidatures n’ont jamais été aussi nombreuses, bien que les femmes manquent à l'appel. Sur 41 candidatures reçues, toutes masculines, 30 ont été validées, signe de la disposition de maints acteurs à participer malgré les griefs affichés.
Ce n'est pas la première fois que l'authenticité de la citoyenneté de dirigeants nigériens est remise en question
La rupture du dialogue politique reste néanmoins profonde. Elle remonte aux élections précédentes, qui avaient abouti au renouvellement du mandat du président Issoufou en 2016, dans un contexte marqué par la disqualification de son principal opposant Hama Amadou, mis en cause dans une affaire judiciaire qu’il a toujours qualifiée de machination politique. Une partie de l’opposition avait alors refusé de prendre part à la formation d’un gouvernement d’union nationale, et s’était retirée des instances de concertation politique telles que le Conseil national de dialogue politique (CNDP).
Cinq ans plus tard, la situation reste crispée. La course à la présidentielle de 2020-2021 accentue la polarisation et consacre l'hyper-personnalisation du débat politique autour des champions des deux camps, plutôt qu’autour des enjeux de gouvernance, de sécurité et de développement auxquels fait face le Niger.
Le rejet de la candidature d’Amadou, toujours lié à ses déboires judiciaires, a ravivé les frustrations. D’autant que celle du candidat du parti au pouvoir, Mohamed Bazoum, a été validée malgré une polémique portant sur sa nationalité « d’origine ». La question de savoir s’il est né de parents nigériens a agité le processus, avec pour enjeu de le disqualifier.
Une décision de justice, rendue le 3 décembre a pour l’instant clos ce débat, en attendant un éventuel appel. Toutefois, les suspicions autour de la nationalité du candidat Bazoum mettent en lumière la nécessité de moderniser le système d’état civil du Niger. Cela permettrait à l’avenir d’évacuer plus rapidement des polémiques de ce genre, et de rediriger les énergies vers un débat de fond sur les programmes des candidats.
Une réforme du système d'enregistrement de l'état civil au Niger apportera plus qu'une valeur administrative
Ce n’est pas la première fois que la nationalité de responsables politiques au Niger est remise en cause. En leur temps, les anciens présidents Mahamane Ousmane et Mamadou Tandja étaient passés par là. Vu la récurrence de telles controverses, la réforme de l’état civil va au-delà des enjeux administratifs. Elle serait aussi un moyen de prévenir certains conflits politiques, en renforçant la confiance dans la fiabilité des documents présentés par les candidats.
La mise en place d’un registre national d’état civil robuste contribuera également à renforcer la fiabilité du fichier électoral pour les processus à venir. Elle facilitera en outre le fonctionnement de l'administration, ainsi que l'accès aux droits des personnes. Dans le contexte de crise sécuritaire qui sévit au Niger, le registre national d’état civil améliorerait également les capacités nationales de pistage des suspects, en rendant plus difficile le changement d'identité.
Une loi et un décret d’application ont été adoptés en ce sens en 2019, signe de l’engagement des pouvoirs publics à doter le Niger d’un registre de meilleure qualité. Le prochain gouvernement devra maintenir le cap et s’assurer de la mise en œuvre de ces normes.
Certes, la tâche peut sembler une gageure, étant donné la taille du territoire nigérien (avec une superficie de 1 267 000 km², le Niger est le 6e plus grand pays d’Afrique) et l'ampleur du déficit accumulé. Les audiences foraines menées par la CENI entre 2018 et début 2020 ont toutefois démontré que des résultats rapides étaient possibles. En amenant les services d’état civil au plus près des populations, y compris dans les zones reculées, cette opération a permis d’établir plus de 5,8 millions d’actes d’état civil en quelques mois seulement.
De nombreux Nigériens, en particulier dans les zones rurales, ne voient pas l'utilité de mettre à jour leurs documents d'état civil
Pour capitaliser durablement sur ces avancées, les prochaines autorités élues devront faire montre de constance et de détermination. Il faudra poursuivre les campagnes d’enregistrement et maintenir l’effort national d’investissement dans l’éducation. Avec un taux d’alphabétisation parmi les plus faibles au monde, de nombreux Nigériens, surtout en milieu rural, ne voient pas toujours l’utilité de maintenir à jour leur documentation civile.
Le rétablissement d’un dialogue politique franc et constructif sera en outre nécessaire pour mettre en place des politiques qui répondent aux préoccupations des Nigériennes et Nigériens. Celles-ci ont notamment trait à la transparence et à l’intégrité de l’action publique, alors que les scandales de corruption se sont multipliés ces derniers mois.
La recomposition des forces à l’issue des élections générales pourrait permettre de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le CNDP, boudé par l’opposition depuis janvier 2016. À défaut, il faudra envisager l’activation de l’article 69 de la Constitution, qui institue un « Conseil de la République en vue de prévenir et de résoudre les crises institutionnelles et politiques, de manière consensuelle ». Ce précieux outil de gouvernance ne sera néanmoins effectif que s’il est convoqué par un président légitime et largement accepté.
Le prochain gouvernement doit s’attendre à une demande accrue en participation et en responsabilité de la part des citoyens, en particulier des jeunes, qui représentent l’écrasante majorité de la population nigérienne. De ce point de vue, la mise en place par une association d’apprenants de l’Université de Niamey, d’une série de rencontres-débats entre étudiants et candidats à la présidentielle est une innovation révélatrice des aspirations de la jeunesse à une gouvernance plus transparente et mieux en phase avec ses besoins.
Ornella Moderan, cheffe de programme, Sahel, et Habibou Souley Bako, chercheur boursier, ISS Bamako
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni, de la Fondation Hanns Seidel, et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.
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