Il est indispensable d'empêcher les présidents de Côte d'Ivoire et de Guinée d'exercer un troisième mandat

Les dirigeants de la région devraient prévenir les crises liées aux transferts de pouvoir et rétablir la responsabilisation de la classe politique africaine.

La Guinée et la Côte d’Ivoire organisent des élections présidentielles en octobre. Ces scrutins sont essentiels pour leur stabilité. Toutefois, les dirigeants sortants des deux pays sont candidats à un troisième mandat, à l’image des profonds dysfonctionnements que connaît la démocratie en Afrique de l’Ouest.

Il s’agit d’enjeux liés à la perte d’autorité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en matière de prévention des conflits et de bonne gouvernance. Cette situation survient au moment où les citoyens de la région ont le plus besoin du soutien des institutions pour protéger les acquis démocratiques et les accords de paix, parfois fragiles.

En Afrique de l’Ouest, citoyens et acteurs internationaux du développement ont tenté de renforcer la démocratie et la stabilité en procédant à des alternances politiques pacifiques. Ces efforts reposent sur des normes régionales de gouvernance, plus particulièrement sur la limitation du nombre de mandats. Ces normes sont mises à rude épreuve en Côte d’Ivoire et en Guinée, où Alassane Ouattara et Alpha Condé souhaitent se maintenir au pouvoir au-delà de la limite des deux mandats, et ce en ayant recours à des réformes constitutionnelles.

Marquée par une instabilité politique et des violences armées chroniques, en partie dues à des différends électoraux, l’histoire récente de ces deux pays devrait servir de leçon. Il est surprenant que ces deux présidents tentent de prolonger leur mandat, étant donné leurs passés politiques et les circonstances de leurs accessions au pouvoir.

La tentative des deux présidents de prolonger leur mandat est surprenante compte tenu de leur passé politique

Condé a combattu une dictature pendant plus de quarante ans avant d’accéder au pouvoir, en 2010, pour diriger la Guinée. Ouattara est devenu président après dix ans d’une guerre qui a divisé la Côte d’Ivoire entre le nord, contrôlé par les rebelles, et le sud, tenu par l’État.

En 2010, les élections des deux dirigeants avaient suscité des attentes de renouveau démocratique dans l’espoir d’un renforcement de l’état de droit, de l’adoption d’une culture politique d’inclusion, de consolidation de la paix et d’une embellie socioéconomique pour les citoyens. Cependant, à l’heure du bilan, les progrès réalisés en matière de cohésion nationale et de paix dans les deux pays se révèlent inégaux. Sous leurs présidences, les divisions se sont aggravées et ont engendré des forces politiques et sociales antagonistes.

L’un des facteurs de cette évolution consiste dans l’incapacité de la CEDEAO à prévenir les conflits. Le problème ne réside ni dans les politiques ni dans les capacités de cet organisme régional. Il semble plutôt que les décisions de la CEDEAO ne répondent pas aux préoccupations des citoyens quant aux pratiques antidémocratiques de leurs dirigeants. Les citoyens attendent de la CEDEAO qu’elle prenne des mesures à l’encontre des dirigeants qui prennent le pouvoir par des coups d’État, qui refusent de reconnaître leur défaite électorale ou qui sont réticents à l’idée d’une alternance pacifique du pouvoir (comme cela a été le cas en Gambie en 2018) et qui modifient leurs constitutions en vue d’obtenir un troisième mandat (comme en Guinée et en Côte d’Ivoire).

La CEDEAO est perçue comme manquant de cohérence dans l’application de ses propres politiques, ce qui lui fait perdre en crédibilité. Les citoyens estiment que cet organisme régional est plus enclin à protéger les dirigeants au pouvoir qu’à soutenir les valeurs démocratiques. En 2015, le Togo et la Gambie ont rejeté la proposition de la CEDEAO d’imposer une limite au nombre de mandats présidentiels en la fixant à deux. Or, cette mesure aurait pu renforcer la position de l’organisme sur les troisièmes mandats.

Les citoyens estiment que la CEDEAO préfère protéger les dirigeants au pouvoir plutôt que de soutenir les valeurs démocratiques

La volonté affichée par Ouattara et Condé d’exercer un troisième mandat reflète la (ré)émergence de régimes autocratiques qui répriment les militants des droits humains afin d’étouffer le mécontentement ou les soulèvements populaires. Elle illustre également le fait que les contre-pouvoirs au niveau national, tels que les cours constitutionnelles indépendantes, les cours suprêmes et les parlements, s’avèrent de plus en plus incapables de contrôler et de réglementer les mesures prises par les gouvernements et par les dirigeants.

La volonté d’exercer un troisième mandat met essentiellement en évidence l’échec de la plupart des réformes politiques entreprises par les dirigeants soi-disant démocratiquement élus en Guinée et en Côte d’Ivoire. Leur quasi-totalité visait en réalité à consolider leur pouvoir et à promouvoir leurs ambitions présidentielles aux dépens de la cohésion sociale, de la solidité de l’économie et d’une paix durable.

Aucun des deux pays n’est parvenu à mettre en place un processus de réconciliation efficace ou des réformes politiques consensuelles. Les tentatives de Ouattara et Condé de présenter leur candidature à un troisième mandat ne font qu’exacerber les tensions existantes et pourraient plonger les deux pays dans de nouvelles violences.

Les ambitions en matière de troisième mandat constituent une tendance historique en Afrique. Les recherches publiées en 2017 par l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique et des données récentes recueillies par l’Institut d’études de sécurité indiquent que depuis 2000, il y a eu 25 tentatives de procéder à des amendements constitutionnels dans le but de favoriser les projets du président d’enchaîner sur un troisième mandat. Parmi ces nombreuses tentatives, seules sept ont échoué, et 18 ont été mises en œuvre ou sont entrées en vigueur avec succès.

La volonté d’exercer un troisième mandat souligne l’échec des réformes politiques des dirigeants élus en Guinée et en Côte d’Ivoire

Les pays qui ont modifié leurs constitutions afin de maintenir les dirigeants au pouvoir n’ont pas tous été sanctionnés par l’Union africaine (UA) ou par les communautés économiques régionales. Auparavant, en Afrique de l’Ouest, les tentatives d’exercer plus de deux mandats rencontraient une résistance de la part de la population. Mais la perspective d’une défiance massive de la population ne semble pas dissuader les dirigeants actuels.

Au contraire, ils répriment et manipulent sans relâche le pouvoir judiciaire et législatif dans le but d’empêcher leurs opposants de présenter leur candidature aux élections. Même après avoir été démocratiquement élus, certains dirigeants comme Ouattara et Condé estiment que, pour être puissants, il faut des institutions faibles et un système relevant du patrimonialisme.

L’Afrique de l’Ouest a eu sa part de dirigeants de parti unique et de présidents à vie qui ont laissé des pays exsangues, en guerre et pauvres. Aujourd’hui, la région est confrontée à l’insécurité et à la violence dans les régions du Sahel et du bassin du lac Tchad, ainsi qu’à l’expansion de l’extrémisme violent et aux conséquences socioéconomiques désastreuses de la COVID-19. La région n’a pas besoin d’une nouvelle crise.

Les autorités régionales et les partenaires au développement doivent de toute urgence dissuader les dirigeants de Guinée et de Côte d’Ivoire de se présenter à nouveau à l’élection présidentielle. La CEDEAO, l’UA et les partenaires extérieurs doivent faciliter un dialogue politique constructif et pertinent afin d’éviter une résurgence de la crise dans les deux pays. Par le passé, cela a permis d’aplanir les divergences, de faire des concessions et de parvenir à un consensus sur le processus politique. Les prochaines élections doivent également être inclusives, pacifiques, libres et équitables.

À moyen terme, il conviendra de trouver des moyens plus efficaces de renforcer les forces pro-démocratiques dans chaque pays, telles que les organisations de la société civile, les organes de protection des droits humains, les partis politiques, les associations de femmes et le système judiciaire.

Les dirigeants régionaux doivent réaffirmer que le fait de se porter candidat à un troisième mandat revient à un changement inconstitutionnel de gouvernement qui doit être déraciné de la culture politique du continent. Ils doivent revoir les politiques existantes, les harmoniser et appliquer les normes qu’ils ont établies. Ces mesures pourraient prévenir d’autres crises liées à l’alternance du pouvoir et rétablir un certain sens de l’éthique et de la responsabilisation dans la politique africaine.

David Zounmenou, consultant de recherche principal, ISS

Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni et de la Fondation Hanns Seidel.

En Afrique du Sud, le quotidien Daily Maverick jouit des droits exclusifs de publication des articles ISS Today. Pour les médias hors d’Afrique du Sud et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS adapté

Contenu lié