Élections 2015: L'Afrique de l'Ouest entre en zone de turbulences
L'année commence à un début incertain En Afrique de l'Ouest, alors que plusieurs nations se préparent aux élections au milieu de la tension et de l'instabilité.
Avec le début de l’année 2015, l’Afrique de l’Ouest est entrée en zone de turbulence. Les citoyens du Nigeria, du Togo, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et de la Guinée s’apprêtent en effet à se rendre aux urnes sur fond d’incertitudes politiques et sécuritaires.
Au Nigeria, où les élections présidentielles et législatives sont prévues le 14 février 2015, le contexte est marqué par l’intensification de l’insurrection de Boko Haram qui contrôle de nombreuses localités dans les États de Yobe, de Borno et d’Adamawa. Cette situation a engendré le déplacement de près d’un million de personnes, à l'intérieur et hors du Nigeria, hypothéquant significativement leur participation aux scrutins du mois prochain. Outre la remise en cause de la légitimité qui pourrait en résulter, cet état de fait accroît les risques de contestation des résultats.
Par ailleurs, la création du All Progressives Congress (APC) en 2013, à la suite de la fusion de trois anciens partis d’opposition, constitue le principal changement dans le paysage politique. Contrairement aux précédentes élections présidentielles, qu’il a largement dominé, le Peoples Democratic Party (PDP) est cette fois confronté à un adversaire d’envergure nationale. Cette nouvelle configuration a contribué à intensifier la campagne électorale qui se tient dans un climat particulièrement tendu, caractérisé par une radicalisation des discours politiques et par une multiplication des actes de violence.
Ainsi, il est important pour l’Independent National Electoral Commission (INEC) d’accroître ses efforts visant à finaliser la préparation du scrutin, notamment la distribution des cartes d’électeurs et la facilitation de la participation des déplacés. Les forces de défense et de sécurité nigérianes, avec l’appui de la communauté internationale, doivent intensifier leurs efforts pour assurer la sécurisation du scrutin surtout dans les régions affectées.
Au Togo, le président Faure Gnassingbé devrait briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle prévue courant mars 2015. Sa candidature est cependant contestée par une partie de l’opposition qui réclame le retour à la Constitution de 1992. Cette dernière, dont l’article 59 limitait le nombre de mandats présidentiels à deux, a été modifiée en 2002 pour faire sauter cette clause limitative, donnant ainsi à l’actuel président la possibilité de se représenter.
L’année 2015 s'annonce donc critique pour la consolidation démocratique en Afrique de l'Ouest
Les discussions initiées à l’Assemblée nationale depuis juin 2014 sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles sont toujours dans l’impasse. En effet l’application de la limitation du nombre de mandat que l’opposition voudrait rétroactive constitue le principal point de blocage. Cette disposition viserait à empêcher l’actuel président d’être candidat.
Par ailleurs, les acteurs politiques ne s’entendent pas sur l’instauration du scrutin à deux tours et la réforme des institutions impliquées dans le processus électoral et dont la légitimité continue d’être remise en cause par l’opposition (Commission électorale nationale indépendante-CENI, Cour constitutionnelle et Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication). Cette situation pourrait amener l’opposition à remettre en cause la légitimité du scrutin et en contester les résultats.
L’absence de consensus dans un contexte où le rapport de force semble favorable au parti au pouvoir, l’Union pour la république, fait ainsi planer des risques sur la présidentielle de 2015. Les acteurs togolais devraient, afin de créer les conditions nécessaires à la tenue d’élections crédibles et transparentes, trouver un consensus sur la mise en œuvre des réformes politiques surtout celles liées à l’organisation de la présidentielle.
Au Bénin, la question de la révision de la liste électorale permanente informatisée (LEPI) qui dominait le débat politique depuis 2011, a connu une évolution. En effet, le Conseil d'orientation et de supervision de la LEPI a, conformément à l’injonction qui lui avait été faite par la cour constitutionnelle dans sa décision du 9 janvier 2015, livré la version provisoire du fichier électoral le 15 janvier.
La cour a également fixé la tenue des élections législatives au 26 avril 2015 et celle des locales, au 31 mai 2015. Cette décision de la cour vient ainsi mettre fin à plus de deux ans de blocage et contribue à détendre le climat politique quelque peu crispé ces dernières semaines. Elle consacre une avancée dans le processus d’obtention d’une LEPI consensuelle réclamée par les acteurs politiques, à la suite des contestations dont avait fait l’objet la liste qui avait servi aux élections de 2011.
De l’acceptation par tous les acteurs de la LEPI définitive, attendue pour le 25 février au plus tard, dépendra le bon déroulement des élections locales et législatives de 2015 ainsi que des présidentielles de 2016. Ce qui serait une étape importante vers la consolidation du processus démocratique au Bénin. Le gouvernement, avec le soutien des partenaires internationaux, devrait appuyer financièrement et techniquement l’ensemble du processus électoral.
En Côte d’Ivoire, des milliers d’armes continuent de circuler
En Côte d’Ivoire, cinq ans après l’élection présidentielle de 2010 qui avait plongé le pays dans une violente crise post-électorale, les populations se préparent de nouveau à se rendre aux urnes en octobre prochain. À l’approche de cette échéance, alors que le pays doit éviter une nouvelle crise, le climat politique reste tendu étant donné que les divergences sur le cadre électoral et les revendications identitaires à l’origine du chaos de 2010 n’ont toujours pas été réglées.
La scène politique est également marquée par une montée de tension liée aux dissensions internes au sein des principales formations politiques. Le Parti démocratique de Côte d'Ivoire est divisé sur la proposition de son leader Henri Konan Bédié de rallier le Rassemblement pour les républicains d’Alassane Ouattara dans le cadre d’une coalition.
L’opposition dont certains partis comme le Front populaire ivoirien sont aussi confrontés à une crise de leadership, dénonce quant à elle le non paiement des financements prévus pour les partis politiques, la détention de ses cadres et le manque d’accès aux médias. À cela, s’ajoute l’absence de réconciliation et le peu d’avancée dans le dialogue politique qui suscitent des inquiétudes quant à la tenue d’un scrutin apaisé.
En outre, la situation sécuritaire demeure fragile dans ce pays où trente mille ex-combattants restent à démobiliser et où des milliers d’armes continuent de circuler, faisant croître le risque de perturbation du processus électoral. Face à cette situation, il est urgent pour le gouvernement d’accélérer le processus de désarmement des ex-combattants afin de prévenir les risques de détérioration du climat politique et sécuritaire. Les acteurs nationaux, notamment la mouvance présidentielle devrait également favoriser la participation de l'opposition au jeu démocratique.
Au Burkina Faso, les populations s’apprêtent, à l’issue des présidentielles prévues le 11 octobre 2015, à dessiner les contours d’un nouveau modèle de gouvernance pour le pays. La transition qui s’est installée à la suite du départ de Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, a jusque-là privilégié le dialogue et la concertation pour résoudre les défis liés à l’organisation de ces élections.
Ainsi, en plus des élections couplées présidentielles et législatives dont la tenue est prévue le 11 octobre prochain, les autorités de la transition ont décidé de surseoir à la participation des Burkinabè de l’étranger au scrutin de 2015. S’agissant de la CENI, en dehors de certaines voix discordantes souhaitant sa refonte pour une structure dépolitisée et uniquement technique, le consensus est à son maintien en l’état. Ces avancées se butent toutefois à la question des moyens financiers, d’autant plus que le gouvernement de transition déclare ne disposer que de 25 milliards de FCFA sur un total de 50,6 milliards pour le processus électoral.
Outre le problème de financement des élections, la transition subit de fortes pressions de la population pour initier de profondes réformes dans la gouvernance du pays. Celles-ci visent à améliorer les conditions de vie des populations et à garantir une meilleure administration de la justice.
Les autorités de la transition doivent garder à l’esprit qu’il reviendra au pouvoir élu d’engager les réformes structurelles, nonobstant les réponses à apporter à certaines demandes sociales pressantes. Par ailleurs, les partenaires devraient apporter un soutien financier immédiat au processus électoral notamment avec la révision de la liste.
En Guinée, les préparatifs des élections présidentielles prévues pour novembre 2015 se déroulent dans un contexte marqué par une crise sanitaire due à l’épidémie d’Ebola. Cette situation fait planer des doutes quant au bon déroulement du processus électoral.
Sur le plan politique, le président Condé dont la candidature est presque certaine, fera face à une opposition dont les principaux leaders, Cellou Dalein Diallo et Sidiya Touré ont contesté les résultats des élections présidentielles de 2010 dénonçant de nombreuses irrégularités. Ces derniers semblent toujours douter de la volonté du pouvoir d’organiser des élections libres et transparentes et ce malgré le recrutement d’un nouvel opérateur pour la révision de la liste électorale conformément à leurs exigences.
L’organisation des élections locales dont les dernières remontent à 2005 et la réforme de la CENI continuent de diviser la classe politique. Le dialogue tenu en juin 2014 entre l’opposition et le camp présidentiel n’a pas permis de trouver un consensus sur ces questions. Cette situation, si elle persiste, risque de provoquer des tensions qui pourraient exacerber les rivalités politiques et ethniques déjà profondes dans ce pays.
Aussi, les acteurs politiques devraient trouver un accord minimum sur le dispositif électoral. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine, et l’Union européenne pourraient jouer le rôle de facilitateur entre les différents protagonistes.
L’année 2015 s'annonce donc critique pour la consolidation démocratique en Afrique de l'Ouest, région marquée ces dernières années par une instabilité politique et sécuritaire. Une implication des acteurs nationaux et un soutien des partenaires internationaux peuvent cependant contribuer à dégager cet horizon nuageux.
Paulin Maurice Toupane, Chercheur Junior, Fatimata Ouedraoguo, Esso-Wèdeou Gnamke, Ibrahim Maiga, Chercheurs boursiers, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar et Ousmane Aly Diallo, Chercheur boursier, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Nairobi