Des élections législatives pour corriger les lacunes institutionnelles au Sénégal ?

La prochaine législature devra poser le débat sur les réformes institutionnelles nécessaires pour consolider la démocratie sénégalaise.

Le Sénégal s’achemine, ce dimanche 31 juillet, vers un important scrutin qui pourrait constituer une opportunité pour repenser le système démocratique expérimenté par le pays depuis les années 1970.

Près de sept millions de Sénégalais sont appelés aux urnes pour élire les 165 députés de la quatorzième législature. Ces élections constituent un enjeu particulier pour les deux principales coalitions en lice : Benno Bokk Yakaar (BBY) qui est au pouvoir et Yewwi Askan Wi (YAW), dirigée par l’opposant et candidat à la présidentielle de 2019, Ousmane Sonko.

L’échéance représente un nouvel épisode de la lutte acharnée qui oppose les deux coalitions depuis les élections locales de janvier 2022. L’issue du scrutin devrait déterminer les rapports de forces dans la perspective des présidentielles de 2024.

Pour la coalition BBY au pouvoir, il s’agira d'empêcher les coalitions de l’opposition YAW et Wallu Sénégal de l’ex-président Abdoulaye Wade, qui ont noué une alliance électorale, de lui ravir sa majorité au parlement, où elle dispose de 125 sièges sur 165. L’objectif est d’assurer au président de la République une majorité confortable qui lui permettrait de poursuivre sa politique sans entrave majeure.

L’opposition espère empêcher toute possibilité de troisième candidature du président Macky Sall

Pour l’opposition, il s’agit de consolider les résultats acquis lors des élections locales où elle a fait une importante percée dans certaines grandes agglomérations comme Dakar, Guédiawaye, Thiès, Rufisque et Ziguinchor. En cherchant à imposer une cohabitation à la coalition au pouvoir, l’opposition espère écarter toutes possibilités pour le président Macky Sall de briguer un troisième mandat. En effet, le président Macky Sall n’a pas tranché au sujet du troisième mandat, préférant y apporter une réponse ultérieurement.

La cristallisation de la campagne électorale sur une éventuelle troisième candidature du président Macky Sall occulte les questions de fonds relatives aux dysfonctionnements des institutions de la République et les réformes nécessaires pour les corriger. 

Depuis 2012, des processus de réformes ont été initiés sans pour autant apporter de réponses convaincantes. Il y a eu d’abord la mise en place de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) dont l'objectif était, en capitalisant sur les avancées de la démocratie sénégalaise illustrées par deux alternances en 2000 et 2012, de corriger les dysfonctionnements qui subsistent. Sur la base d’un diagnostic du fonctionnement des institutions depuis l’indépendance du Sénégal, la CNRI avait proposé en 2013 des réformes et un projet de constitution qui consacraient une séparation et un équilibre des pouvoirs.

Puis le référendum de 2016 a été une autre initiative importante qui a introduit des avancées majeures dans le dispositif constitutionnel. Parmi les principaux points, dont certains avaient été proposés par la CNRI, figurent la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens (droits à un environnement sain, sur leurs ressources naturelles et leur patrimoine foncier), le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques, la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans et la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux.

Des réformes institutionnelles initiées depuis 2012 n’ont pas apporté de changements majeurs

Dans la pratique, ces réformes n’ont pas apporté de changements majeurs dans le fonctionnement des institutions, y compris l'Assemblée nationale qui demeure perçue comme une caisse de résonance du pouvoir exécutif. Ce qui s'explique en partie par le mode d'élection des députés, que plusieurs voix appellent à réformer depuis plusieurs années.

Quant au pouvoir judiciaire, il n’a jamais été autant décrié par les citoyens. La CNRI avait pourtant également formulé des recommandations pour renforcer son indépendance. Son image a été ternie par des procédures judiciaires impliquant des acteurs politiques. Celles-ci ont renforcé la perception d’une justice instrumentalisée par le pouvoir exécutif à des fins politiques. Le déficit de confiance vis-à-vis de l’institution judiciaire justifie en grande partie le déroulement houleux de la phase pré-électorale.

Parmi les listes en compétition ce dimanche, 8 sur 15 ont franchi en mai l’obstacle du parrainage. Cette réforme phare, qui avait pour objectif de contribuer à régler les dysfonctionnements liés à l’organisation des élections, a été contestée par l’opposition dès son introduction, lors de la présidentielle de 2019. Saisie par une frange de l’opposition, la Cour de justice de la CEDEAO a estimé que ce système de filtre violait le libre droit de participation aux élections.

En juin, la décision de la Cour constitutionnelle, fondée sur celle de la Direction générale des élections du ministère de l’Intérieur, en rejetant la liste nationale des candidats titulaires de YAW et celle des candidats suppléants de BBY, a exacerbé les tensions politiques et jeté le discrédit sur les institutions impliquées dans l’organisation et la supervision des élections.

Les attentes de la population en matière de gouvernance économique et politique sont particulièrement élevées

Ces décisions, motivées par des erreurs relevées dans les listes confectionnées par chaque camp, ont suscité la colère de l’opposition qui a appelé à des manifestations. Celle du 17 juin, qui a été interdite par les autorités, a entraîné la mort de quatre personnes à Dakar, à Ziguinchor et à Bignona, et conduit à l'arrestation de plusieurs figures de l'opposition. La remise en cause de l’impartialité du ministère de l’Intérieur chargé d’organiser les élections et du Conseil constitutionnel accroît le risque d’un contentieux postélectoral. 

Au moment où le pays s'apprête à faire son entrée dans le cercle des producteurs d’hydrocarbures à grande échelle, les attentes de la population en matière de gouvernance économique et politique sont particulièrement élevées. Les enjeux de ces élections dépassent ainsi le seul cadre des combats politiciens et électoralistes.

Quelle que soit l’issue des élections, des réformes sont nécessaires pour corriger les dysfonctionnements de l’architecture institutionnelle du Sénégal. La prochaine législature devra faire preuve de volontarisme dans l’exercice de sa mission et pleinement assumer son rôle de fer de lance de la consolidation du système démocratique. Cela exigera notamment qu’elle porte des initiatives courageuses axées sur l’équilibre des pouvoirs et la promotion de la stabilité du pays.

Paulin Maurice Toupane, chercheur principal et Aïssatou Kanté, chercheuse, Bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad.

Image : © Agence Afrique 

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