Élection présidentielle sur fond de suspicions au Sénégal

La focalisation sur la transparence du scrutin occulte le débat de fond sur les offres programmatiques des candidats.

Le Sénégal choisira son président le 24 février dans une atmosphère de suspicions fondées sur la volonté supposée du président sortant, Macky Sall, d’obtenir un second mandat par la récente mise en place de réformes électorales.

Peu de temps après le début de la campagne électorale, le dirigeant du Parti démocratique sénégalais (PDS) et ancien président Abdoulaye Wade a déclaré le 7 février : « Macky Sall a déjà son pourcentage, les uns disent 55 %, d’autres disent 65 %, alors pourquoi aller à ces élections. Il a tout truqué et on l’a compris. […] Il a choisi ses candidats et a fraudé sur le fichier électoral ».

Les déclarations de Wade font écho au sentiment de l’opposition et d’une partie de l’opinion publique selon lequel les modifications du code électoral en juillet 2018 et les poursuites judiciaires contre deux des principaux opposants de Sall visaient à éliminer d’importants rivaux et faciliter ainsi la réélection du président sortant.

Ces deux partis, qui dominent l’histoire politique du Sénégal depuis au moins quatre décennies, sont les absents du prochain scrutin

Les réformes récentes ont renforcé les soupçons des partis d’opposition. Compte tenu du grand nombre de candidats (47) lors des élections législatives de 2017, le gouvernement a estimé nécessaire de limiter le nombre de candidatures aux élections locales, législatives et présidentielles. L’objectif était de réduire les coûts des élections et de permettre aux citoyens d’avoir une meilleure lisibilité des programmes des candidats.

Cette nouvelle disposition exige, notamment des candidats à la présidentielle, qu’ils soient indépendants ou affiliés à un parti ou à une coalition de partis, l’obtention du parrainage d’au minimum 0,8% et au maximum 1% du fichier électoral dans au moins sept régions du pays.

Le vote de la loi a été boycotté par l’opposition. Sur les 87 candidats ayant retiré les listes de parrainages, 27 ont finalement déposé leur dossier de candidature au Conseil constitutionnel et seulement sept ont été validés par celui-ci.

Sur le principe, les arguments mis en avant par le gouvernement en faveur du parrainage citoyen sont recevables. Dans la pratique, toutefois, son introduction à quelques mois des élections et sans consensus, a semé le doute sur les réels objectifs de ce processus.

D’abord, le fichier électoral qui aurait permis aux candidats de vérifier la présence et l’exactitude des noms de leurs parrains et de parer à l’invalidation de leur signature n’a pas été mis à leur disposition. Ensuite, le mécanisme de vérification des données fondé sur un logiciel n’a pas fait l’objet de concertations entre les parties prenantes. Enfin, l’absence d’explication sur les motifs de certains rejets a renforcé ce sentiment de manque de transparence au sein de l’opposition et d’une partie de l’opinion publique.

La révision de l'article L57 du code électoral en juillet 2018 a introduit une condition préalable exigeant que tous les candidats à la présidentielle possèdent le statut d’électeur avant de soumettre leur candidature. Pour l’opposition, cette nouvelle mesure ciblait Karim Wade et Khalifa Sall, deux des principaux adversaires de Sall.

Leurs candidatures ont donc été invalidées par le Conseil constitutionnel lorsqu'ils ont perdu leur statut d'électeur en raison de leurs condamnations respectives pour enrichissement illicite et détournement de fonds publics. Ce rejet a provoqué de vives réactions de la part de leurs partisans.

Karim Wade, candidat du PDS, a été condamné en 2016 à six ans de prison. Khalifa Sall, ancien maire de Dakar et chef de la coalition Manko Wattu Sénégal, exclu du Parti socialiste (PS), a été condamné en 2018 à cinq ans de prison.

Contrairement à l’élection de 2007 et 2012, qui avaient respectivement 15 et 14 candidats, seulement cinq se présenteront à celle de 2019

Ces deux partis, qui dominent l’histoire politique du Sénégal depuis au moins quatre décennies, sont les principaux absents des prochains scrutins. Pour la première fois depuis 1960, le PS ne participera pas à une élection présidentielle. Depuis 2012, son chef, Ousmane Tanor Dieng, a soutenu la candidature de Macky Sall au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar.

Le PDS, dont le secrétaire général Abdoulaye Wade a participé à tous les scrutins présidentiels depuis 1978, n’aura pas de candidat depuis la disqualification de Karim Wade. Ainsi, contrairement aux élections de 2007 et 2012, qui comptaient respectivement 15 et 14 candidats, seulement cinq se présenteront à celle de 2019.

Macky Sall, candidat à un second mandat, Idrissa Seck, dirigeant du Rewmi, et Madické Niang, de la coalition Madické 2019, sont tous d'anciens hauts responsables du PDS. Deux figures montantes de la scène politique sont également en lice : Ousmane Sonko, du parti Pastef les Patriotes, ancien inspecteur des impôts, et El Hadj Issa Sall, du Parti de l'unité et du rassemblement (PUR).

À l'approche du 24 février, les suspicions persistent et les tensions politiques s'intensifient. Le refus du président de nommer un ministre de l’Intérieur qui fasse preuve de neutralité pour organiser les élections sénégalaises renforce ce sentiment. L’actuel ministre, membre du parti au pouvoir, a déclaré en février 2018 qu’il ferait tout son possible pour assurer la victoire de Macky Sall.

Pour la première fois depuis 1960, le PS ne participera pas à une élection présidentielle

La cristallisation du débat national sur les conditions d’organisation de l’élection occulte le nécessaire débat sur les offres programmatiques des candidats qui permet aux électeurs de faire un choix éclairé. Le contexte actuel rappelle toute l’importance de garantir la confiance de l’ensemble des parties prenantes dans le processus de vote pour endiguer le risque actuel de contestation des résultats de l’élection.

Un scrutin libre et transparent contribuera à consolider les acquis démocratiques du pays. En ce sens, le scrutin vers lequel le Sénégal s’achemine ne doit pas être considéré comme un simple rituel. Les organes responsables de l'organisation de l’élection – tels que le ministère de l'Intérieur et la Commission électorale nationale autonome – doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour le crédibiliser.

Paulin Maurice Toupane, Chercheur, Aïssatou Kanté, Chercheure junior et Adja Khadidiatou Faye, Chercheure boursière, ISS Dakar

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