COVID-19 : une occasion manquée de restaurer la confiance dans le bassin du lac Tchad

Les terroristes tirent parti de la faible confiance dans les gouvernements pour s’insérer dans la société et fragiliser encore les États.

On s’attendait à ce que le bassin du lac Tchad soit dévasté par la COVID-19. De fait, la région était déjà en crise quand la pandémie a éclaté. À la suite des ravages causés par Boko Haram, près de 11 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire. Cette situation a encore accentué les problèmes de gouvernance, le manque d’accès à des soins de santé de qualité, le mauvais état des infrastructures sanitaires et d’autres facteurs socioéconomiques.

Dans ce contexte, les prévisions d’un cataclysme sanitaire sur l’Afrique ont semé la panique dans la région, d’autant que les pays dotés des meilleurs systèmes de santé au monde ont été durement touchés. Selon les projections, environ 70 millions d’Africains devaient être infectés par la COVID-19, avec un nombre prévisionnel de décès estimé à plus de trois millions.

Les pays du bassin du lac Tchad auraient pu saisir cette occasion pour réparer le contrat social rompu avec leurs citoyens. Dans les zones rurales marquées par la présence de Boko Haram, les populations ont depuis longtemps perdu confiance dans le gouvernement. Les États sont largement absents de nombreux territoires, laissant aux terroristes et aux criminels le champ libre pour se greffer à la société.

Selon les données recueillies par l’Institut d’études de sécurité (ISS), les huit zones touchées par Boko Haram, qui s’étendent sur les quatre pays du bassin du lac Tchad, comptaient au total à la mi-janvier 8 188 cas confirmés de COVID-19 et 191 décès depuis le début de l’épidémie.

Les restrictions de déplacements imposées par les confinements ont renforcé l’image d’un État prédateur et répressif

Le dépistage du virus est globalement peu répandu dans la région. Le manque d’accès aux tests peut s’expliquer par l’insécurité, les carences des structures sanitaires et la topographie difficile. Néanmoins, si les décès dus à la COVID-19 étaient aussi nombreux qu’attendu, ils ne pourraient passer inaperçus.

Et c’est d’autant plus vrai dans un environnement propice aux épidémies. Fuyant Boko Haram, des centaines de milliers de personnes sont contraintes de vivre dans des camps sordides et surpeuplés où les soins de santé, l’eau, l’hygiène et l’assainissement sont insuffisants. L’afflux de personnes déplacées a également mis à rude épreuve les ressources limitées des communautés d’accueil.

Mais du fait des restrictions mises en place pour contenir le virus, l’impact de la pandémie s’est surtout fait sentir dans les poches de la population. L’Afrique subsaharienne a connu en 2020 sa première récession depuis 25 ans. 40 millions de personnes ont basculé dans l’extrême pauvreté.

Dans le bassin du lac Tchad, les effets de cette situation se sont manifestés sur plusieurs fronts. Si les gouvernements ont eu le sentiment de participer à une mobilisation mondiale pour lutter contre la pandémie, les points de vue étaient bien différents sur le terrain.

Le manque de confiance entre l’État et les citoyens contribue probablement à l’inertie actuelle à l’égard des vaccins

Dans une région où les personnes doivent sortir tous les jours pour gagner de l’argent ou solliciter une aide humanitaire vitale, les restrictions de déplacements imposées par les confinements n’ont fait que renforcer l’image d’un État prédateur et répressif. La situation s’est encore envenimée lorsque les forces de sécurité, mobilisées pour faire respecter les confinements, ont été accusées d’extorsion et de violations des droits humains.

Les mesures visant à atténuer l’effet des confinements, comme les transferts d’argent ou les moratoires sur le remboursement des prêts, n’ont pas suffi. Pire, elles ont été entachées par des allégations de corruption de fonctionnaires de l’État, ce qui a encore miné la confiance dans les pouvoirs publics.

Les gouvernements ont également raté leur communication auprès des citoyens. L’annonce des mesures de lutte sans consulter ou presque les personnes qu’elles allaient le plus toucher a alimenté la colère ambiante. La gestion de la pandémie a ensuite suscité la même méfiance.

Pour certains, les mesures de confinement ont fait plus de mal que de bien à la population. Ce manque de confiance entre l’État et les citoyens contribue probablement à l’inertie actuelle à l’égard des vaccins. Les données indiquent que sur les 266 millions d’habitants de la région, 2,6 % seulement étaient entièrement vaccinés à la troisième semaine de janvier. Au Cameroun et au Nigéria, pays comptant le plus de cas dans le bassin du lac Tchad (respectivement 116 718 et 252 753), 2,5 % des personnes présentaient un schéma vaccinal complet en janvier.

Qu’il s’agisse d’une pandémie ou de terrorisme, les gouvernements doivent gagner les cœurs et les esprits de la population

La situation est pire encore au Tchad, où le taux de vaccination complète est de 0,7 %. Dans le même temps, le pays enregistre le plus faible nombre de cas confirmés dans la région. Avec 4,2 % de personnes entièrement vaccinées, le Niger affiche le plus fort taux de vaccination parmi ce groupe de pays. Ce résultat s’explique peut-être par une plus grande confiance des Nigériens dans le vaccin.

Pour remédier à l’inertie de la population, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) incitent les pays à rendre obligatoire le vaccin contre la COVID-19. Mais dans le bassin du lac Tchad, une telle démarche pourrait s’avérer contre-productive et susciter une opposition, comme on a pu l’observer au Nigéria.

Pour les communautés dont les moyens de subsistance ont été dévastés par la crise liée à Boko Haram, l’accès à la nourriture prime sur les traitements médicaux. Un Nigérien a ainsi confié à ISS Today : « On ne peut pas obliger les gens à se faire vacciner l’estomac vide. »

Le Cameroun, le Tchad et le Nigéria doivent également renforcer la confiance dans le vaccin, à l’image du Niger. Pour être efficace, le message doit s’adresser aux relais incontournables au niveau local, notamment les chefs traditionnels et religieux. Selon une enquête réalisée en 2021 par l’Afrobaromètre, les Africains font davantage confiance aux chefs traditionnels qu’aux responsables politiques.

Comme d’autres épidémies, la COVID-19 a montré l’importance de préparer l’avenir. La meilleure solution consiste à investir massivement dans la santé publique. Les gouvernements africains le savent, même s’ils n’ont pas réussi à passer de la parole aux actes. Lorsqu’ils ont signé la Déclaration d’Abuja en 2001, les États se sont engagés à investir au moins 15 % de leur budget national dans le secteur de la santé.

La situation dans le bassin du lac Tchad apporte un autre enseignement : face à une crise, qu’il s’agisse d’une pandémie ou de terrorisme, les gouvernements doivent gagner les cœurs et les esprits de la population. Le recours à des restrictions, des opérations policières et des interventions militaires souvent mal mises en œuvre ouvre la porte à des groupes comme Boko Haram, qui séduisent par leurs discours contre l’État, y compris sur la COVID-19.

Malik Samuel, chercheur, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

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Image : © Amelia Broodryk/ISS

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