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Couper les vivres au terrorisme dans le bassin du lac Tchad

Pour vaincre les groupes terroristes, il est essentiel de saper le financement et les économies locales de la violence.

Le Nigeria a récemment sanctionné différentes sources de financement du terrorisme. Six Nigérians ont été condamnés à des peines de prison allant de 10 ans à la perpétuité en 2019 pour avoir créé une cellule de Boko Haram aux Émirats arabes unis (EAU) afin de collecter des fonds pour le groupe au Nigeria.

C’est un exemple de la dynamique internationale du financement du terrorisme, qui implique des institutions financières non bancaires telles que le bureau de change. Les États-Unis les ont inscrites sur leur liste de sanctions.

Le Nigeria affirme connaître des dizaines de commanditaires de Boko Haram, mais n'a pas réussi à les poursuivre ou à les faire condamner. En janvier, le Nigeria figurait parmi les 21 pays de la liste grise du Groupe d'action financière, avec le Cameroun, son voisin du bassin du lac Tchad. La liste répertorie les pays « dont les mesures de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme sont limitées ».

L'adoption de sanctions est conforme à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la répression du terrorisme, mais cela n'est pas suffisant. Il faut aussi utiliser les preuves et la loi pour interrompre le financement du terrorisme et les économies de la violence qui soutiennent les groupes terroristes et les groupes armés non étatiques.

Le Nigeria n'est pas toujours en mesure de poursuivre les commanditaires de Boko Haram

Par exemple, les flux financiers de la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique (PAOEI), une faction de Boko Haram, sont alimentés par l'État islamique (EI). La PAOEI est l'une des plus importantes franchises de l'État islamique et son soutien confère au groupe ouest-africain résilience et adaptabilité, lui permettant de continuer à opérer dans le bassin du lac Tchad. Le démantèlement des réseaux financiers de la PAOEI nécessite une stratégie solide impliquant des efforts conjoints des quatre pays touchés du bassin du lac Tchad et au-delà, car le groupe étend ses opérations.

Les recherches de l'Institut d’études de sécurité (ISS) montrent que les revenus de la PAOEI proviennent de l'exploitation des économies locales, de soutiens étrangers et d’actes criminels comme les enlèvements, l'extorsion et la collaboration avec les agents de sécurité.

Malgré les condamnations des EAU, l'EI continue de soutenir la PAOEI à travers de nouveaux paiements mensuels à ses combattants et un appui financier aux activités de gouvernance dans les zones contrôlées par la PAOEI, telles que la prise en charge des veuves, des orphelins et des personnes en situation de handicap. Les administrateurs, les agents de santé et les agriculteurs devraient également en bénéficier. Tout cela fait partie de la stratégie de la PAOEI pour attirer des recrues, prévenir les défections et améliorer son image auprès des civils dans les zones qu'elle contrôle.

Compte tenu de son réseau économique, on ne sait pas très bien pourquoi la PAOEI a besoin de l'argent de l'EI. Peut-être des ressources supplémentaires lui sont-elles nécessaires pour se remettre des défaites assenées par les forces gouvernementales dirigées par la Force multinationale mixte, ou de la récente perte de territoires importants au profit d'une autre faction de Boko Haram, Jama'atu Ahlis-Sunna Lidda'awati wal-Jihad (JAS), ou pour financer l'expansion agressive de la PAOEI dans le nord-ouest et le centre-nord du Nigeria ?

La PAOEI a toujours besoin d'importantes liquidités et s'appuie sur la collaboration des civils

Comme la PAOEI s'appuie sur des civils pour acquérir des biens et des provisions qu’il paye à des tarifs supérieurs à ceux du marché, il a toujours besoin d'importantes liquidités. D'anciens membres, qui ont récemment fait défection, affirment que la PAOEI est financièrement solide et qu’elle n’a pas demandé les fonds que lui octroie l'EI. Toutefois, les événements récents mentionnés ci-dessus montrent que le groupe est probablement en proie à des difficultés financières.

Dans certaines zones contrôlées par la PAOEI, des civils ont déclaré aux chercheurs de l'ISS que le groupe avait récemment augmenté les taxes et exigé des paiements supplémentaires. Les pêcheurs utilisant la technique du « gura » (piège malien) paient désormais 50 000 nairas (38 dollars US) pour un permis de pêche, soit 67 % de plus qu’il y a deux ans. La taxe sur un carton de poisson transformé est passée à 5 000 nairas (4 dollars US) et les éleveurs se sont plaints que la taxe sur le bétail s'élevait désormais à 4 000 nairas (3 dollars US). Apparemment, les frustrations des communautés qui en résultent sont en partie responsables de la défection de certains combattants de la PAOEI qui ont rejoint la faction JAS.

Il n'est pas facile d'endiguer le financement du terrorisme. Néanmoins, l'exemple des EAU montre que les États du bassin du lac Tchad peuvent faire face à la menace de la PAOEI en lui coupant les vivres. Pour ce faire, il faut identifier et éliminer les sources de revenus en encourageant la participation des communautés, en sensibilisant aux dangers de la collaboration avec la PAOEI et en fournissant des emplois pour empêcher les civils de chercher des moyens de subsistance auprès du groupe terroriste.

Les réglementations auxquelles peuvent se référer les pays du bassin du lac Tchad sont suffisantes pour contribuer à stopper les financements de la PAOEI. Les quatre États du bassin ont ratifié la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. Ces États appartiennent tous à des organisations régionales qui luttent contre le financement du terrorisme.

Les États du bassin du lac Tchad doivent s’associer contre le financement du terrorisme

Le Cameroun et le Tchad font partie du Groupe d'action contre le blanchiment d'argent en Afrique centrale. Le Niger et le Nigeria appartiennent au Groupe d'action intergouvernemental contre le blanchiment d'argent en Afrique de l'Ouest. Ces deux organisations sont membres du réseau mondial du Groupe d'action financière. Les quatre pays disposent également de cellules de renseignement financier chargées de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Seul le Tchad doit encore ratifier la Convention internationale des Nations unies pour la répression du financement du terrorisme. Cet accord international crucial encourage la collaboration, ce qui permet aux nations de demander de l'aide à d'autres pays en cas de besoin.

Tout en reconnaissant la tâche herculéenne que représente la lutte contre le financement du terrorisme, en particulier en ce qui concerne Boko Haram, le combat peut être gagné. Les États du bassin du lac Tchad doivent être prêts à collaborer et à prendre position contre le financement du terrorisme en utilisant les outils et les règlements dont ils disposent.

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