Comprendre le périlleux voyage de Boko Haram vers la réhabilitation

Alors que les anciens terroristes passent de la reddition au désarmement et à la réintégration, il importe de soigneusement conduire chaque étape.

Les opérations militaires dans le bassin du lac Tchad ont contribué à la reddition de combattants de base et commandants de niveau intermédiaire de Boko Haram, selon des recherches de l'Institut d'études de sécurité (ISS). La récente recrudescence des frappes militaires après l'opération « Colère de Boma » menée par le Tchad à la mi-avril et la délocalisation au nord-est du chef de l'armée nigériane (le général Tukur Yusuf Buratai) pourraient se traduire par une augmentation des redditions.

Cette action militaire a eu de fortes répercussions sur Boko Haram ; elle a limité l'accès du groupe à d'importantes sources d'approvisionnement, entraîné un fort impact psychologique sur ses membres, et aggravé les conditions de vie des terroristes et des civils dans les zones touchées. Ces conséquences ont poussé des membres du groupe  à le déserter.

Le terme « ex-combattants » se réfère aux combattants de base et commandants de niveau intermédiaire, tandis que « ex-associés » désigne ceux qui sont piégés ou qui séjournent volontairement dans les zones contrôlées par Boko Haram et apportent un soutien logistique au groupe. Quant au terme « ex-membre », il désigne tout ancien membre du groupe terroriste, sans distinction de rôle. La plupart des ex-membres interrogés par l’ISS dans les quatre pays du bassin du lac Tchad ont déclaré appartenir à la faction de Boko Haram dirigée par Abubakar Shekau, Jama'atu Ahlis Sunna Lidda'awati wal-Jihad.

Cependant, quelle que soit leur affiliation, leurs parcours individuels du désengagement à la réhabilitation sont souvent empreints d'incertitude. Si le désarmement, la démobilisation, la réhabilitation et la réintégration peuvent contribuer à la stabilisation de la région du bassin du lac Tchad, ces processus nécessitent une compréhension plus approfondie de la manière dont les individus s'engagent dans chacune des phases.

Nombreux sont ceux qui craignent d'être tués par les agents de sécurité s'ils se rendent ou révèlent leur rôle dans Boko Haram

Les raisons de quitter Boko Haram sont complexes et personnelles, motivées par différents concours de circonstances, de survie et de désespoir. Outre la pression militaire, les ex-associés disent être déçus par la brutalité et les rivalités internes de Boko Haram, sans nécessairement désavouer l'idéologie du groupe.

De nombreuses femmes ex-membres quittent le groupe en raison de conditions de vie déplorables, ou après le décès de leurs conjoints. Bien que plusieurs ont été forcées à rejoindre le groupe, d’autres l’ont rejoint volontairement. Nombre d’entre elles sont encouragées à devenir kamikazes, ou à se remarier après un divorce ou un veuvage. Tout refus est susceptible d’engendrer des représailles, dont la détention.

L'appel à la réhabilitation de certains pays du bassin du lac Tchad offre une échappatoire. Le périlleux voyage de Boko Haram vers la réhabilitation exige de la patience, une bonne planification et une exécution soignée et méthodique. De manière générale, les évasions manquées sont passibles de mort ; les ex-membres cherchent ainsi à avoir accès à une procédure régulière, qui garantit sécurité et réintégration.

Dans le nord-est du Nigeria, l'épicentre de la crise de Boko Haram, des travaux de recherche identifient trois voies principales de désengagement : la reddition, le retour clandestin dans les communautés sans être appréhendé par les forces de sécurité, et l’évasion en se mêlant aux foules de civils en fuite lors d’attaques. Les personnes appartenant à ces deux dernières catégories restent cachées, de peur d'être tuées par les agents de sécurité si elles se rendent ou admettent leur implication dans Boko Haram.

Au Cameroun, au Niger et au Tchad, les ex-associés de Boko Haram se sont appuyés sur des membres de leurs familles et les veilleurs communautaires comme intermédiaires pour accéder à la rétention administrative. Les veilleurs sont organisés en comités de surveillance au Niger et comités de vigilance au Cameroun, ou en groupes composés d’autorités traditionnelles et administratives au Tchad. Ils ont pour but de remettre les ex-associés aux autorités, afin que ces dernières trient et gèrent leurs dossiers.

Les personnes interrogées ont déclaré que les conditions de vie à la caserne de Giwa leur ont fait perdre espoir et regretter de s'être rendues

C’est sur le chemin de la désertion à la réhabilitation que les individus entrent dans un schéma de détention indéfinie. Les forces de sécurité n'informent pas toujours les ex- associés de leurs droits et responsabilités, ou de ce qui les attend, et beaucoup pensent qu'ils seront exécutés.

Au Nigeria, les personnes qui entrent en réhabilitation dans le cadre de l'Opération Safe Corridor passent par la caserne de Giwa, un centre de contrôle et de détention de l'État de Borno, géré par un comité d'enquête conjoint. Ce comité, composé d'enquêteurs et de juges, détermine l'éligibilité des personnes à la déradicalisation, la réhabilitation et la réintégration.

Ici, les ex-membres à haut risque (notamment les hauts commandants) sont envoyés dans un centre de détention provisoire. Les modérés (dont les combattants de base et les commandants de niveau intermédiaire), eux sont envoyés à l'Opération Safe Corridor pour y être réhabilités. La plupart des civils arrêtés au cours d'opérations militaires et dont l'innocence a été prouvée sont remis à l'État pour être réhabilités.

Les personnes interrogées par l’ISS ont déclaré que les conditions de vie à la caserne de Giwa leur ont fait perdre espoir et regretter de s'être rendus. Cette affirmation est contestée par les militaires nigérians, qui soulignent que plusieurs personnes s'y rendent toujours au quotidien.

Au vu de la complexité et de la diversité des programmes actuels, la sécurité et les expériences des ex-associés varient. L'Opération Safe Corridor est un programme multisectoriel qui implique 17 agences gouvernementales administrant des projets spécifiques. Il est géré au niveau fédéral et offre principalement un passage et une réhabilitation sûrs pour les hommes membres de Boko Haram qui se rendent.

Sur les 800 personnes qui ont participé à l'Opération Safe Corridor, seules 10 sont des femmes

Le centre de réhabilitation Bulunkutu, géré par l'État de Borno, est dédié aux femmes et aux enfants, mais souffre d’un plus grand manque d'organisation, d'infrastructure et d'attention que l'Opération Safe Corridor. Le camp de transit de Shukuri, à Maiduguri, accueille les lauréats de l'Opération Safe Corridor. Au Niger, le premier lot d’ex-membres de Boko Haram en reddition qui a bénéficié d'un programme de déradicalisation ont quitté le camp de Goudoumaria en décembre 2019. Des programmes de réhabilitation sont toujours en attente au Cameroun et au Tchad.

Selon les ex-associés de Boko Haram, l'incertitude au niveau du filtrage et du traitement nourrit le mécontentement et la peur, mais aussi la méfiance des membres du groupe désireux de le quitter. Pour aggraver les choses, leurs témoignages sur les violations des droits de l'homme par les forces de sécurité alimentent le recrutement dans Boko Haram.

La réhabilitation doit également tenir compte des rôles spécifiques que jouent les femmes dans Boko Haram. Sur plus des 800 personnes associées au groupe qui ont participé à l'Opération Safe Corridor, seules 10 sont des femmes. Les enfants et mineurs de la région du bassin du lac Tchad sont également exposés à la violence et parfois recrutés de force pour commettre des attaques. L'absence de réponses adéquates pour leur réhabilitation est également préoccupante.

Si encourager les combattants et les associés à quitter Boko Haram est une stratégie pour aider à stabiliser la région, les différentes étapes du voyage du désengagement vers la réhabilitation doivent être prises au sérieux. Pour ce faire, il faudra accorder une plus grande attention aux étapes de filtrage et de traitement, ainsi que proposer des programmes adaptés aux femmes et aux jeunes.

Fonteh Akum, chef de programme, et Malik Samuel, chercheur, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, Dakar

Cet article a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Hanns Seidel et du gouvernement des Pays-Bas.

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