Comme le reste du monde, l’Afrique doit s’embarquer dans la sécurité maritime
L'Union africaine doit renforcer ses engagements à mesure que le Conseil de sécurité des Nations unies mène les débats sur la sécurité maritime.
Les États côtiers et le secteur du transport maritime sont confrontés à des problèmes de sécurité maritime dans toutes les mers et océans qui bordent l’Afrique. Il s’agit notamment du golfe de Guinée en Afrique de l’Ouest, du golfe d’Aden en Afrique de l’Est, du canal du Mozambique en Afrique australe, ainsi que de la mer Méditerranée en Afrique du Nord et de la mer Rouge.
Le trafic d’armes et de drogues, la piraterie et les vols à main armée en mer (notamment dans le golfe de Guinée) constituent les principales menaces. Le soutage illicite de pétrole et le vol de pétrole brut, le terrorisme maritime, la traite des êtres humains, les dommages environnementaux causés par le déversement de déchets, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et la surpêche suscitent également des inquiétudes persistantes. L’Afrique doit de toute urgence renforcer ses institutions maritimes afin de s’attaquer à ces problèmes.
Le différend portant sur la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie met en lumière les nombreux conflits frontaliers maritimes irrésolus sur le continent. Les mécanismes de résolution pacifique de ces conflits sont soit contestés, soit insuffisamment dotés.
Les principaux crimes maritimes commis dans les eaux africaines sont souvent de nature transnationale, qu’il s’agisse de leur origine ou de leurs effets, ce qui empêche d’y appliquer des solutions simples et unilatérales. Pourtant, l’Union africaine et les structures régionales chargées de mobiliser une action conjointe entre les États africains accordent rarement la priorité aux enjeux maritimes ou à leurs conséquences pour le continent.
Les principaux crimes maritimes commis dans les eaux africaines sont souvent de nature transnationale, donc sans solution simple ni unilatérale
Cette situation doit changer. Les menaces maritimes compromettent considérablement les progrès socioéconomiques du continent, notamment la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine. Elles alimentent également la violence et la corruption.
L’insécurité maritime a récemment fait l’objet de plusieurs interventions du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). En août 2021, l’Inde a profité de sa présidence du CSNU pour organiser le premier débat public sur le thème « Renforcer la sécurité maritime : pour l’intensification de la coopération internationale ». Le CSNU est en passe de devenir le forum privilégié des débats sur la sécurité maritime. Et ce sont les trois membres africains non permanents du Conseil qui ont encouragé cette évolution.
La Guinée équatoriale a organisé et présidé une réunion du CSNU le 5 février 2019 afin de discuter de la criminalité transnationale organisée en mer et des liens entre terrorisme, piraterie et trafic illicite. Le 18 décembre 2018, la Côte d’Ivoire avait lancé un débat sur la menace que représente le trafic de drogue pour la stabilité en Afrique de l’Ouest. Les réunions informelles organisées selon la formule Arria, convoquées par les États membres, viennent compléter ces dialogues.
Au niveau multilatéral, l’Afrique fait également le point sur les questions de sécurité maritime qui lui sont propres. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine a examiné la question le 23 juillet 2021. Mais il ne s’agissait que de sa septième réunion sur la sécurité maritime, alors que le CPS a convoqué plus de 1 000 réunions depuis sa création en 2004.
Le CPS doit se pencher sur le fait que la stratégie maritime de l’UA continue de prendre du retard
Depuis 2019, les pays africains préfèrent que les questions maritimes les concernant soient traitées par le CSNU. Cela donne l’impression d’un CPS détaché des politiques et des intérêts des États africains en matière de sécurité maritime. Aux yeux du monde, cela fait du CSNU le principal forum pour déterminer la meilleure approche dans la lutte contre la criminalité maritime en Afrique, abandonnant ainsi le navire du CPS.
Malgré cette lacune, le CPS devrait avoir un ordre du jour chargé en la matière. Lors d’une réunion tenue en 2013, le Conseil avait parlé de la sécurité maritime et de l’économie bleue comme étant la « nouvelle ligne de front de la renaissance de l’Afrique ». En incluant les enjeux maritimes dans l’Agenda 2063, la Commission de l’UA a conditionné sa réalisation à la création d’économies bleues dans des eaux africaines sûres et sécurisées.
L’insécurité en mer complique la tâche des États en matière de sécurisation des routes commerciales, de protection et d’exploitation des avantages de leur économie bleue, et de garantie de la croissance économique et du développement social des communautés côtières. Le CPS et les États membres de l’UA doivent commencer à élaborer et mettre en œuvre des plans transversaux aux niveaux national, régional et continental.
Le CPS doit se pencher de toute urgence sur le fait que la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l’horizon 2050 (Stratégie AIM 2050) de l’UA continue de prendre du retard sur son calendrier de mise en œuvre, malgré les nombreuses décisions et demandes de l’UA.
L’UA et le CPS doivent mettre en place un groupe de soutien stratégique maritime africain chargé d’examiner les progrès accomplis
Selon le Protocole du CPS, le Conseil doit répondre aux enjeux de sécurité et promouvoir la paix et le développement durable. Pourtant, comme l’avait constaté Len le Roux de l’Institut d’études de sécurité en 2009, le Protocole et la Politique africaine commune de défense et de sécurité de 2004 « [donnent] l’impression d’une Afrique sans littoral ni zone maritime, sans parler des intérêts maritimes au sens large tels que le commerce et les ressources maritimes ».
Les enjeux maritimes ne sont pas suffisamment intégrés dans le travail général de l’UA. Il est rare qu’il soit fait explicitement référence à la sécurité maritime dans les structures destinées à mobiliser l’action continentale contre les conflits et l’insécurité. L’absence d’harmonisation entre les plans de sécurité maritime des communautés économiques régionales et la Stratégie AIM 2050 complique encore le tableau.
L’UA a formé un groupe de travail stratégique sur les questions maritimes en 2011, composé de représentants des États membres, de la Commission de l’UA et des communautés économiques régionales. Depuis 2017, ce groupe de travail se concentre sur la finalisation des annexes de la Charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique (Charte de Lomé). Cet exercice étant achevé, le groupe de travail devrait revenir à sa tâche principale, à savoir l’élaboration d’une feuille de route, conforme au droit maritime international, pour la mise en œuvre de la Stratégie AIM 2050.
Il faut faire de la sécurité maritime et des crimes transnationaux commis en mer des points revenant régulièrement à l’ordre du jour des discussions et des rapports du CPS. L’UA et le CPS doivent également réunir un forum consultatif maritime africain à composition non limitée ou un groupe de soutien stratégique afin de faciliter l’examen périodique des progrès accomplis.
Une plateforme maritime pourrait mettre en place un organe d’experts dont le rôle consisterait à coordonner et à partager les connaissances et à émettre des recommandations en matière de sécurité maritime et d’économie bleue. Il est essentiel de mettre en place ce type de groupe stratégique afin d’orienter les États membres et autres parties prenantes dans la mise en œuvre de la Stratégie AIM 2050 de l’UA et de la Charte de Lomé.
Timothy Walker, chef du projet maritime et chercheur principal, ISS Pretoria
Cet article a été initialement publié dans le rapport de l’ISS sur le CPS. Il est financé par le gouvernement de la Norvège.
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