Le nord Cameroun à l’épreuve des enlèvements contre rançon

Juguler ce phénomène passera nécessairement par une coopération civile et militaire transfrontalière.

Le nord Cameroun est confronté à une crise sécuritaire marquée par des enlèvements contre rançon. Le 2 septembre dernier par exemple, quatre personnes, travaillant pour le programme sectoriel « Forêts et Environnement », ont été enlevées sur l’axe Mayo-Djarendi-Madingring, dans le Mayo-Rey. Pour leur libération, les ravisseurs ont demandé 40 millions de FCFA. Cette situation perdure malgré les mesures adoptées par le gouvernement qui vont du déploiement militaire (création des postes dans certaines localités, opérations de ratissage) à la création des comités de vigilance. 

De 2015 à 2018, les rançons collectées avoisinent les 2 milliards de francs CFA, soit 3 millions d'euros

Les zones rurales du nord Cameroun connaissent une économie agricole et pastorale très active. Ces activités génèrent d'importants revenus auxquels s’ajoute un commerce frontalier particulièrement lucratif. C’est dans ce contexte économique florissant que se sont intensifié les enlèvements contre rançon, qui existait depuis les années 1970, mais dans une moindre ampleur. Entre 2015 et 2018, les rançons collectées ont atteint un montant estimé par un responsable de police en poste à Garoua à deux milliards de francs CFA soit 3 millions d’euros.

Les départements les plus touchés par les enlèvements contre rançon

Les départements les plus touchés par les enlèvements contre rançon

Source : ISS
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Les départements les plus touchés par ce phénomène sont ceux du Mayo-Rey, de la Bénoué et du Mayo-Louti, frontaliers de la République centrafricaine (RCA), du Tchad et du Nigéria. Les problèmes de possession et de trafic d’armes restent aigus dans ces pays, en partie à cause des crises sociopolitiques et des rébellions diverses qui les secouent. Les preneurs d'otages traversent facilement ces frontières longues et poreuses afin de s’en procurer. Par les armes, ils soumettent leurs victimes et sèment la psychose au sein des populations. Ils ciblent généralement des agriculteurs, des éleveurs, des commerçants et des humanitaires, misant sur la capacité de ceux-ci à répondre aux demandes de rançon. 

Les informations recueillies par l’ISS dans le nord du Cameroun indiquent que ce phénomène dépasse les régions septentrionales et orientale (l’Extrême-Nord, le Nord, l’Adamaoua et l’Est) pour atteindre les localités voisines du Tchad, de la RCA et du Nigéria. Il implique également des acteurs de diverses nationalités. Selon un ex-otage interrogé à Garoua, certains de ses ravisseurs sont de nationalité nigérienne. Un autre affirme que quelques-uns viendraient du Soudan. Cette dimension transfrontalière indique une connexion entre le Sahel, l’Afrique de l’Est à travers le Soudan et l’Afrique centrale.  

Plusieurs ex-otages interrogés lors d’une mission de l’ISS affirment que les ravisseurs sont pour la plupart des éleveurs peuls, bororo, arabes-choa, parlant foulfouldé ou arabe. Leurs accents varient selon qu’ils soient Camerounais, Tchadiens, Nigériens, Soudanais, Nigérians ou Centrafricains.

Ces témoignages récurrents laissent ainsi penser à des liens probables entre la transhumance frontalière et les enlèvements contre rançon dans le nord du Cameroun. Toutefois, la réalité est plus complexe. Les données de terrain révèlent qu’il figure parmi les ravisseurs des bandes armées camerounaises, des ex-rebelles et mercenaires centrafricains et tchadiens sans oublier des éléments indélicats au sein des forces de défense et de sécurité camerounaises. Il ne s’agit donc pas d’un groupe homogène qui opère, mais de plusieurs groupes indépendants, tous mus par l'appât du gain.  

Les ravisseurs conduisent les otages au-delà des frontières et transfèrent ceux enlevés en RCA ou au Tchad au Cameroun

Leur mode opératoire se décline en trois étapes. D’abord, ils collectent des informations auprès de leurs complices au sein des communautés. Ensuite, ils procèdent par intimidation et chantage, en envoyant des messages à leurs potentielles victimes réclamant de verser une certaine somme d’argent à une adresse précise, faute de quoi, elles seront kidnappées. Enfin, ils passent à la filature des victimes, et leur tendent une embuscade ou mènent des incursions nocturnes pour les enlever. Les ravisseurs s’établissent dans les montagnes difficiles d’accès. Ils conduisent leurs otages au-delà des frontières camerounaises (au Tchad ou en RCA), tandis que les otages kidnappés en RCA ou au Tchad séjournent au Cameroun. La rançon, réclamée en espèce, se négocie au téléphone. Un lieu de dépôt est indiqué. Les ravisseurs interdisent aux proches des victimes d’alerter les FDS, sinon ils mettraient les otages en danger de mort. Les complices au sein des communautés fournissent des informations aux ravisseurs tout le long du processus. En captivité, les victimes sont souvent violentées et parfois assassinées, surtout si la rançon n’est pas payée. 

Le caractère transfrontalier des enlèvements contre rançon limite les capacités des FDS qui peinent également à assurer un maillage territorial complet. Pour être efficace, toute réponse à ce phénomène doit impérativement impliquer une approche transfrontalière coordonnée, impliquant une coopération active entre le Cameroun, le Tchad, le Nigéria et la RCA. La Force multinationale mixte (FMM) dédiée à la lutte contre Boko Haram, pourrait étendre ses actions à ce phénomène, étant donné que tous ces pays sont des États membres de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). 

Renforcer les comités de vigilance permettrait d'endiguer l’économie des enlèvements contre rançon

En outre, le flux de transhumance transfrontalière doit faire l’objet de contrôle systématique par les autorités compétentes. Ceci permettra de sécuriser ce secteur d’activité important tout en empêchant son infiltration. Aussi, la création ou la redynamisation des comités de vigilance (non formés et peu motivés), mobilisant les éleveurs et les chasseurs, qui maîtrisent les pistes rurales, doit s’intensifier. Leur capacité en matière de renseignement et d’alerte précoce doit être renforcée. Enfin, les compagnies de téléphonie mobile pourraient être mises à contribution, car elles peuvent géolocaliser les ravisseurs lorsqu’ils émettent des appels au moment de la négociation de la rançon. 

Célestin Delanga, chargé de recherche, bureau de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le basin du lac Tchad

Image : © AFP

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