Sgt. Jennifer Delaney

Du fumier dans la fabrication d’engins explosifs improvisés au Nigeria

Il faut une approche globale qui allie la gestion des déchets biologiques et les renseignements communautaires pour contrecarrer la fabrication des EEI.

Les factions de Boko Haram se servent de plus en plus du fumier pour camoufler les engins explosifs improvisés (EEI) comme les mines terrestres, et augmenter leur puissance d’allumage. Leur utilisation et leur activation sont similaires à celles des mines antipersonnel conventionnelles, bien que leur forme et leur composition soient différentes.

Un officier supérieur de l’armée nigériane a déclaré aux chercheurs de l’Institut d’études de sécurité (ISS) que les excréments d’animaux servaient à empêcher la détection des EEI dans les États de Borno, d’Adamawa et de Yobe au nord-est du Nigeria.

Plusieurs sources humanitaires et des représentants de l’État ont confirmé l’utilisation croissante du fumier par les factions de Boko Haram, le Groupe sunnite pour la prédication et le djihad (JAS) et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO).

Du fumier compressé fait également partie des composants directs de certains EEI dans les trois États. Le fumier et les déchets organiques compactés produisent du méthane, substance hautement explosive une fois en contact avec l’air.

Un fil électrique suffit à les enflammer et à déclencher la charge principale. La gratuité, l’abondance et l’absence de traçabilité du fumier en font un élément privilégié dans les EEI par rapport aux engrais industriels et aux produits chimiques plus contrôlés.

Il n’existe aucune donnée sur la proportion d’attentats aux EEI dans le nord-est du Nigeria utilisant cette technique, mais l’impact sur les civils est sensible. Des sources gouvernementales ont indiqué à ISS qu’entre janvier et septembre 2024, les EEI ont fait 613 victimes (des blessés et des morts). Au cours de la même période, le service de lutte antimines des Nations unies a enregistré 571 victimes, dont 65 % étaient des civils.

Cette tendance meurtrière a également été constatée par l’ACLED (voir le graphique ci-dessous) et l’Observatoire des mines. Durant la décennie 2011-2021, 1 387 victimes ont été dénombrées, contre 1 487 de 2022 à 2024.

 

Outre les dommages physiques aux victimes, les mines terrestres improvisées perturbent la production alimentaire et le commerce des récoltes et du bétail, principales sources de revenus des populations. La présence d’explosifs restreint l’accès aux terres agricoles dans l’Adamawa, le Yobe et le Borno et complique le transport des récoltes vers les zones commerciales.

Plusieurs agriculteurs se sont réinstallés dans des lieux plus sûrs où ils ont reconstitué leurs moyens de subsistance et leur vie sociale. En 2016, de nombreux déplacés internes n’ont pas pu retourner dans leurs fermes par crainte des mines. Selon des experts du service de lutte antimines des Nations unies, plus de 200 000 personnes ont été déplacées au sein des trois États en 2024.

Les déplacements dus aux EEI perturbent le mode de vie et les moyens de subsistance. Les nouveaux arrivants n’obtiennent que de petites parcelles pour pratiquer une agriculture de subsistance. Ce changement a été particulièrement difficile pour les fermiers habitués à cultiver plusieurs hectares et qui vivaient de la vente de leurs récoltes.

Outre l’agriculture, la scolarisation, les soins de santé et l’administration ont également été menacés par les mines, surtout dans les zones rurales où la mobilité des personnes est restreinte.

L’absence de programmes de déminage à grande échelle, comme au Sénégal, au Tchad et en Ukraine et l’utilisation d’outils traditionnels, tels que les détecteurs de métaux portatifs, ralentissent le déminage au nord-est du Nigeria. Les drones, récemment acquis par le Nigeria pour la détection des EEI, servent uniquement aux opérations militaires.

La disponibilité du fumier en fait un composant privilégié dans les EEI

La lutte contre l’utilisation de déchets biologiques dans la fabrication d’EEI est une entreprise complexe. Le fumier est abondant et mal géré, surtout dans les zones rurales. Son utilisation polyvalente comme engrais, pour la production de biogaz, pour la construction et comme arme tactique complique le contrôle et la réglementation.

Il faut une approche globale qui combine des systèmes de gestion des déchets biologiques dans les zones rurales et périurbaines et des services de renseignement communautaires pour appréhender les fabricants des EEI.

Les autorités nigérianes pourraient recenser les petits éleveurs, qui d’après le personnel humanitaire et de sécurité sont les principaux fournisseurs des insurgés. Un système d’information centralisé permettrait d’améliorer le suivi et la sensibilisation des communautés.

La deuxième étape consisterait à promouvoir la production d’énergie à partir du fumier. Il s’agit d’extraire le biogaz (principalement le méthane) des déchets et de le stocker pour servir de combustible pour le chauffage, la cuisine et la production d’électricité.

Troisièmement, il faudrait former les ménages ruraux à la fabrication du biogaz, au compostage et à la lombriculture. Cette économie circulaire avec les éleveurs comme fournisseurs de matières premières et les populations comme consommatrices favoriserait la transformation et la réutilisation des déchets.

Les revenus générés pourraient inciter les communautés à développer une chaîne de valeur autour du fumier, en le mettant à disposition uniquement pour des utilisations bénéfiques, comme l’ont fait le Rwanda, l’Inde, la Chine et les Pays-Bas. Le Rwanda valorise le fumier grâce à un modèle qui promeut sa collecte intelligente et le biogaz pour les écoles et les prisons.

Le contrôle des déjections animales ralentira leur utilisation pour la fabrication d’explosifs

L’Inde a instauré un projet similaire axé sur l’installation de digesteurs de biogaz alimentés principalement par la bouse de vache dans les zones rurales. La Chine et les Pays-Bas incitent les agriculteurs à produire du gaz et des biofertilisants à partir du fumier, offrant aux populations rurales une source de revenus et d’énergie.

Au Nigeria, grâce à une étude sur la valorisation des déchets dans le nord-est du pays, des projets à petite échelle visant à transformer les déchets d’animaux en biogaz et en engrais ont vu le jour.

En 2009, des recherches ont montré que le potentiel de production de biogaz du Nigeria s’élevait à 6,8 millions de mètres cubes par jour, sur la base d’une estimation de 227,5 tonnes de fumier produit quotidiennement. Elle est toutefois limitée par le manque de sensibilisation et de financement, problèmes que les autorités peuvent résoudre.

Des projets comme ceux-ci peuvent créer des relations positives entre le gouvernement et les populations et freiner les activités des extrémistes. Renforcer les liens avec les populations et maintenir des bases de données sur les éleveurs permettraient d’avoir des sources de renseignements précieuses et empêcheraient l’utilisation abusive du fumier par les insurgés.

Le contrôle des déjections animales ne peut éradiquer la menace des EEI, mais contribuerait à limiter la propagation de cette méthode peu coûteuse et mortelle de fabrication d’explosifs.

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