Au Bénin, la crise de confiance prend de l’ampleur

La récente décision de la Cour africaine pourrait entraîner une impasse politique à l’approche de l’élection présidentielle d’avril 2021.

Le 27 novembre, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a rendu une décision demandant l’annulation des amendements constitutionnels promulgués par le Gouvernement béninois en novembre 2019.

Cet amendement prévoyait notamment la création d’un poste de vice-président, la suppression de la peine de mort, le regroupement des élections, la ratification des conventions internationales par le président et l’augmentation du quota de femmes siégeant au Parlement.

La Cour a été saisie par un citoyen du Bénin arguant du fait que l’adoption de cet amendement, de nuit, par un Parlement contrôlé par l’Union progressiste et le Bloc républicain (les deux partis au pouvoir), constituait une violation des règles en matière de consensus politique, de participation citoyenne et d’accès à l’information en temps utile.

Pour la société civile et les chefs des partis de l’opposition, tout amendement constitutionnel doit impérativement être adopté conformément à la procédure prescrite, ce qui n’a pas été le cas dans cette affaire.

La décision de la CADHP révèle l’ampleur de la crise politique qui couve au Bénin

Par la voix d’un porte-parole, le Gouvernement béninois a rétorqué que la CADHP, en rendant cette décision, avait outrepassé le cadre de son mandat en délibérant de questions ne relevant pas de sa compétence.

Par le passé, les tentatives de modification de la Constitution béninoise de 1990 s’étaient heurtées à la résistance de la population et avaient été rejetées par la Cour constitutionnelle. Cela s’était produit sous différents gouvernements, en 2006, en 2011 et en 2017. Afin de contourner ce blocage, le gouvernement a nommé un nouveau président de la Cour constitutionnelle, que beaucoup pensent proche du Président Patrice Talon, car il a été son avocat.

Depuis l’élection de Patrice Talon en 2016, de nombreux citoyens remettent en question les contre-pouvoirs actuels au Bénin, engendrant ainsi une crise de confiance. Cette situation découle de tentatives du gouvernement de procéder par cooptation au sein d’institutions étatiques telles que la Cour constitutionnelle, le Parlement et la Commission électorale nationale indépendante, en nommant en leur sein des alliés politiques. La législation électorale existante a également fait l’objet de modifications, de manière unilatérale.

Les citoyens et les partis de l’opposition se sont ainsi vus contraints à se tourner vers les instances de juridiction régionales et internationales pour contester les décisions du gouvernement.

La CADHP a déclaré recevables au moins 28 demandes concernant le Bénin, dont plusieurs ont trait aux processus politiques

Les partis de l’opposition dénoncent un espace politique favorisant la coalition au pouvoir et soutenu par un exécutif de plus en plus autoritaire. Ils remettent également en question la légitimité de l’Assemblée nationale, ainsi que l’indépendance de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale.

L’enjeu actuel au Bénin dépasse largement le cadre de cette modification de la Constitution. Le pays doit organiser des élections présidentielles en avril 2021 et il est peu probable que le gouvernement se conforme à la décision de la CADHP, et ce ne serait pas la première fois.

Il faut sans aucun doute procéder à des réformes visant à améliorer la gouvernance démocratique, mais il existe un désaccord profond quant aux méthodes non consensuelles que le gouvernement veut imposer. La CADHP a reçu non moins de 28 demandes concernant le Bénin, dont plusieurs sont liées aux processus politiques. La décision de la Cour révèle l’ampleur de la crise politique qui couve au Bénin.

Dans le cas des amendements constitutionnels de novembre 2019, la Cour a jugé qu’ils contreviennent à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, à laquelle le Bénin est un État partie. La Cour a noté l’absence de consensus politique et de consultation par voie de référendum. Elle indique également que les amendements en question ont été adoptés par un Parlement non inclusif, élu en 2019 lors du scrutin contesté en raison de l’exclusion des partis de l’opposition. La CADHP a ordonné au gouvernement d’abroger ces amendements et de revenir à la situation qui prévalait avant leur adoption.

La souveraineté nationale ne peut servir de prétexte au non-respect des traités internationaux

Cette décision intervient quelques mois avant les élections présidentielles d’avril 2021, qui pourraient se tenir sans les partis de l’opposition en raison des restrictions découlant des amendements constitutionnels et de lois adoptées ultérieurement.

Il est fort possible que cette décision de justice conduise à une impasse politique et entraîne des troubles civils du même type que ceux qui avaient suivi les élections législatives de 2019. La police et l’armée avaient mis un frein à ces manifestations en tirant sur les manifestants à balles réelles, tuant quatre personnes et faisant de nombreux autres blessés.

Le Bénin pourrait suivre la même trajectoire que le Mali en 2012 ou le Burkina en 2014. Le Mali était alors considéré comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, jusqu’à ce que le gouvernement perde la confiance des citoyens. Dans ces deux pays, les manifestations ont conduit à la chute du gouvernement et à l'exil du président. Ce scénario s’est reproduit récemment au Mali, en août 2020, lorsqu’une révolte populaire a mené à un coup d’État militaire.

Il est peu probable que le Gouvernement béninois prenne des mesures visant à appliquer la décision de la Cour. En avril 2020, dans une affaire liée à l’exclusion des leaders de l’opposition des élections municipales et communales de mai 2020, la CADHP avait demandé l’annulation du processus électoral. Ce verdict avait suscité la colère du Gouvernement béninois, qui a alors déposé un avis de retrait de la Cour le 24 avril. Cela n’a cependant pas frappé de nullité les affaires en cours devant la CADHP puisque le Bénin reste partie à la Cour jusqu’à ce que le retrait prenne effet, en avril 2021.

Le pays se dirige vers une période électorale mouvementée. Sans institution nationale crédible et digne de confiance, l’opposition et les citoyens qui se sentent exclus pourraient avoir recours à la violence contre le gouvernement. Si les tensions ne s’apaisent pas, cette situation pourrait faire dérailler le processus de démocratisation du Bénin et mettre à mal la stabilité du pays, gagnée de haute lutte.

Le Bénin devrait renouer avec sa tradition de dialogue politique et d’inclusion, qui a souvent aidé le pays à dissiper les tensions. Le verdict de la Cour, au lieu d’être méprisé, devrait être considéré comme une opportunité de préserver les acquis démocratiques du Bénin, ainsi que la paix et la sécurité. L’argument du gouvernement selon lequel la souveraineté nationale serait la raison du non-respect des traités internationaux ne tient pas la route.

Par essence, la CADHP est une branche judiciaire de l’Union africaine (UA) qui supervise la protection des droits de l’Homme par les États membres dans le cadre des dispositifs de prévention des conflits sur le continent. L’UA doit rappeler aux États qui passent outre les décisions de la Cour qu’ils doivent respecter leurs obligations internationales en vertu de l’Acte constitutif de l’Union africaine.

David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS Dakar

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