Au-delà des sanctions de la CEDEAO, quelle sortie de crise pour le Mali ?

Le bras de fer, peu productif, détourne de l’essentiel.

Le 14 janvier dernier, une foule immense s’est réunie à Bamako et dans de nombreuses autres localités du Mali pour dénoncer les sanctions imposées au pays par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) quelques jours plus tôt. Elle répondait à l’appel à la mobilisation lancé par le président de la transition et chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, lors d’une allocution télévisée pendant laquelle il a qualifié ces sanctions d’« illégales, illégitimes et inhumaines ».

Ces sanctions, intervenues en réponse à la tentative du gouvernement de prolonger la transition de cinq ans à compter du 1er janvier, alors qu’il s’était engagé à tenir des élections en février 2022, ont suscité la colère de nombreux Maliens et réveillé un sentiment patriotique qui profite au gouvernement de transition. Elles comprennent des mesures diplomatiques, commerciales et financières, dont l’imposition d’un embargo et le gel des avoirs du Mali à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest.

À l’évidence, les sanctions visaient à isoler le Mali sur la scène internationale, à fragiliser son économie, et à créer ainsi les conditions d’une pression interne des Maliens sur leurs dirigeants, en plus de celle exercée par les principaux partenaires diplomatiques du pays. Cependant, près de deux semaines après leur entrée en vigueur, les choses ne se passent pas comme prévu.

Alors que la fermeture des frontières aériennes et terrestres annoncée entre le Mali et les autres pays de la CEDEAO visait à asphyxier l’économie malienne, la Guinée, elle aussi en transition à la suite du coup d’État militaire de septembre 2021, a indiqué qu’elle n’appliquerait pas cette mesure. Cela laisse au Mali un accès maritime à travers le port de Conakry qui, s’il n’a pas les capacités de ceux de Dakar ou d’Abidjan, peut néanmoins offrir au pays un espace de respiration le temps du régime de sanctions. De plus, ni la Mauritanie, ni l’Algérie, frontalières du Mali et disposant aussi de ports, ne semblent enclines à soutenir la démarche punitive de la CEDEAO et de l’UEMOA, dont elles ne font pas partie.

Les sanctions ont suscité la colère de nombreux Maliens et réveillé un sentiment patriotique

Cette situation fragilise le dispositif des sanctions, également remis en cause lors d’une réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine le 14 janvier. Une délégation malienne a d’ailleurs entamé dès le 17 janvier une tournée à destination de ces trois pays, afin de renforcer les liens dans le cadre d’un « plan de riposte » au régime de sanctions.

En outre, si les marchés subissent déjà un contre-coup, notamment avec des hausses de prix liées à l’effet psychologique des sanctions, celui-ci reste pour l’instant limité. D’autant que l’économie malienne pourrait ne pas être la seule à pâtir de la suspension des échanges commerciaux. Grand importateur de produits manufacturés, le Mali est un client important des ports de Dakar et d’Abidjan, dont les activités pourraient ralentir.

L’embargo pourrait par ailleurs peser sur l’économie d’autres pays côtiers, tels que la Côte d’Ivoire et le Ghana, largement dépendants du Mali pour l’importation du bétail-viande, une denrée dont les coûts ont déjà flambé ces derniers mois sous l’effet de l’insécurité qui sévit dans le Sahel. Lorsque la CEDEAO avait imposé des restrictions en partie similaires au Mali en 2012, les agriculteurs ivoiriens avaient rapidement haussé le ton face aux pertes engendrées par le blocage à la frontière de leurs bananes plantains et autres denrées périssables à destination du Mali.

Cette fois-ci, les exceptions prévues par les sanctions de la CEDEAO devraient permettre la poursuite du commerce des aliments de grande consommation. Mais le blocage d’autres types de produits pourrait exposer les gouvernements des pays ouest-africains qui commercent habituellement avec le Mali au même type de pressions internes.

La stratégie du bras de fer pourrait se retourner contre la CEDEAO, déjà fragilisée auprès de l'opinion régionale

Enfin, loin de fragiliser l’assise populaire du gouvernement de transition, l’annonce des sanctions a au contraire suscité une levée de bouclier au sein de l’opinion malienne, rassemblée en «union sacrée» autour d’un gouvernement qu’il est devenu difficile de critiquer sans passer pour anti-patriotique.

Certes, la décision de la CEDEAO a servi de déclencheur, mais cette vague souverainiste renvoie également aux suspicions d’une ingérence française, dans un contexte marqué depuis de nombreux mois par l’escalade des tensions diplomatiques entre le Mali et ces deux acteurs.

Si elle présente des risques importants pour le Mali, qui pourrait faire face à une crise inflationniste et de liquidités, la stratégie du bras de fer pourrait néanmoins se retourner contre la CEDEAO, déjà fragilisée auprès des opinions nationale et régionale.

Sur le plan national, l’organisation a acquis, en raison de l’usage répété des sanctions, l’image d’un censeur plutôt que celle d’un partenaire, ce qui sape sa légitimité. Beaucoup ont oublié le rôle central qu’elle a joué dans l’assistance aux forces armées maliennes dès 2013. Les pays de la région avaient alors massivement participé à la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA). Ils continuent de jouer un rôle essentiel au sein de la MINUSMA, la mission onusienne de stabilisation qui a succédé à la MISMA.

La crise ne sera pas résolue par l'organisation d'une élection sans réformes préalables d'un système politique dysfonctionnel

Sur le plan régional, le silence de l’organisation face aux manipulations constitutionnelles visant à promouvoir des troisièmes mandats présidentiels en Côte d’Ivoire et en Guinée, et face aux dérives autoritaires dans plusieurs pays, contraste avec son insistance à obtenir un retour rapide à l’ordre constitutionnel au Mali. Ce deux poids deux mesures n’a pas échappé à l’opinion régionale, bien au-delà du Mali, et accrédite aux yeux de certains la thèse de l’acharnement.

Dans ce contexte, un échec des sanctions pourrait ajouter à la crise de légitimité un signal d’impuissance, et finir de discréditer l’organisation. Il pourrait en être de même si les groupes armés djihadistes présents au Mali profitaient de l’imbroglio créé par la crise des sanctions pour engranger des avancées.

Pour sortir de l’impasse, il faut désamorcer l’escalade et rétablir le dialogue. À cet égard, le rappel mutuel des ambassadeurs entre le Mali et la CEDEAO est contre-productif car il réduit les canaux de communication. La levée des sanctions doit commencer par là.

Les partenaires internationaux du Mali doivent dépasser la focalisation sur les dates des élections pour orienter le dialogue vers les objectifs concrets que devra servir une prolongation de la transition, désormais inévitable. Dans ce dialogue, les partis politiques, qui ont tout intérêt à la tenue rapide de scrutins qui pourraient les ramener au pouvoir, et la société civile soucieuse d’une sortie de crise durable pourraient être des alliés de poids pour dégager une solution équilibrée et départager les réformes urgentes de celles qui peuvent attendre. Leur implication permettrait à la CEDEAO d’activer des leviers de pression interne, réduisant ainsi les suspicions de manipulations extrarégionales.

En définitive, la grave crise multidimensionnelle que traverse le Mali ne sera pas résolue par l'organisation d'une élection sans réformes préalables d’un système politique dysfonctionnel. Cette solution, éprouvée en 2013, n’a pas résolu les problèmes de fond. Au contraire, elle a renouvelé les déficits de gouvernance nationale et débouché en 2020 sur une nouvelle crise post-électorale, qui a mené au coup d’État. Reconduire la même formule risque de détourner davantage les populations maliennes de la démocratie.

Ornella Moderan, cheffe de Programme, Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal et Fatoumata Maïga, chargée de Recherche, Programme Sahel, ISS Bamako

Cet article est publié avec le soutien du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

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