Au Mali, la trêve des confiseurs profite au gouvernement de transition

L’issue des Assises nationales de la refondation est riche en enseignements pour les partenaires diplomatiques du pays.

Tandis que le monde était à la fête en cette fin d’année 2021, le gouvernement malien de transition a réalisé un tour de force qui pourrait lui permettre de conserver les rênes du pays plusieurs années encore.

Dans un document daté du 30 décembre 2021, le Panel de hautes personnalités chargé d’organiser les Assises nationales de la refondation a proposé de prolonger de cinq ans la période de transition à compter du 1er janvier 2022. Cela porterait à près de six ans et demi la durée totale de cette transition, qui a officiellement débuté en septembre 2020 à la suite du coup d’État intervenu un mois plus tôt.

Cette proposition s’appuie sur les conclusions des Assises nationales de la refondation organisées du 11 au 30 décembre 2021, ce qui lui confère une certaine légitimité populaire. Mais elle va à l’encontre des injonctions des partenaires internationaux du Mali, en premier lieu la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui n’a eu de cesse d’insister sur une limitation du délai de transition à 18 mois.

D’après leurs organisateurs, ces Assises ont réuni plus de 80 000 Maliennes et Maliens, lors des quelque 794 discussions organisées à tous les échelons administratifs du pays, du communal au national. L’influence des groupes armés, réfractaires à ce processus, n’a toutefois pas permis la tenue des Assises dans les régions de Kidal et de Ménaka, d’où sont parties toutes les rébellions depuis l’indépendance du Mali.

Le panel des Assises nationales de la refondation a proposé de prolonger de cinq ans la période de transition

Officiellement, ces Assises avaient pour ambition de « faire l’état de la Nation [pour] engager un véritable processus de refondation du Mali ». Un objectif a priori louable, lorsqu’on sait l’étendue de la mal-gouvernance qui mine l’essor social, économique et politique du Mali et alimente depuis dix ans une crise sécuritaire sans précédent. Le coup d’État de 2020 avait d’ailleurs suscité un vent d’espoir pour un Mali Koura (Mali nouveau).

Mais avec 13 thèmes complexes à traiter en deux jours seulement aux niveaux communal, local et régional, les conditions d’un débat approfondi n’étaient pas réunies. C’est pourtant l’un des éléments qui devaient distinguer ces Assises des autres grand-messes du même acabit organisées ces dernières années par les autorités maliennes, et dont les conclusions sont largement restées lettre morte : Conférence d’entente nationale en 2017, Dialogue national inclusif en 2019 et même, dans une certaine mesure, les Journées nationales de concertation qui ont marqué le début de la transition, en septembre 2020.

La redondance de ces dialogues et concertations, ainsi que des diagnostics qu’ils posent, n’a pas échappé à une partie de la classe politique et de la société civile, qui a maintes fois qualifié d’« inopportune » l’idée de ces Assises. Réunis au sein d’un cadre d’échange « pour une transition réussie au Mali », ces acteurs soupçonnaient déjà le gouvernement de vouloir instrumentaliser le processus pour donner une apparence démocratique à son désir de se maintenir au pouvoir au-delà des délais convenus.

Les membres de ce cadre n’étaient pas les seuls à se méfier des Assises. Les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 avaient également indiqué leur réticence face à une démarche qu’ils estimaient opaque et à laquelle ils n’auraient été associés que tardivement. D’autant que ces Assises risquaient de remettre en cause les acquis dudit Accord, dont la mise en œuvre a très peu avancé en six ans, et qu’une partie de l’opinion nationale continue de décrier.

Les boycotts annoncés par ces différents acteurs ont servi de justification aux autorités de transition pour reporter par deux fois la tenue des Assises, évoquant un souhait d’inclusion. Elles ont néanmoins fini par les organiser en décembre, sans avoir réussi à rallier les récalcitrants.

Ce n’est pas la première fois que les autorités de transition prennent de vitesse leurs interlocuteurs internationaux

Si une partie de l’opinion nationale et certains partenaires internationaux du Mali ont souscrit à l’argument et soutenu les reports successifs, la pression exercée par la CEDEAO a fourni aux autorités de transition le motif idéal pour accélérer la cadence en décembre, au moment où bon nombre de responsables diplomatiques étaient en vacances hors du pays, créant un fait accompli.

Ruse ou hasard, ce concours de calendrier rappelle l’habileté des autorités de transition à imposer leurs choix en dépit des pressions internationales. Ce n’est pas la première fois qu’elles prennent ainsi de vitesse leurs interlocuteurs internationaux, en créant les conditions d’un renversement de situation ou en renforçant leur posture de négociation face à un bloc régional intransigeant.

Dans l’immédiat après-coup de 2020, la junte avait indiqué son intention de diriger une transition pouvant s’étendre sur trois ans, jusqu’à la fin de la période correspondant normalement au mandat du président déchu Ibrahim Boubacar Keïta. Face aux pressions internationales et sous l’effet des sanctions de la CEDEAO, les militaires avaient fini par concéder en apparence la présidence à un civil, pour une transition de 18 mois.

Huit mois plus tard, ils sont revenus sur ces concessions avec le coup de force de mai 2021 qui a porté le chef des putschistes à la tête de l’État, comme annoncé dès le départ. Un scénario similaire semble aujourd’hui se dessiner sur la question des délais, avec la proposition de prolongation issue des Assises.

Autre exemple, alors que le Mali annonçait officiellement à la CEDEAO l’impossibilité de tenir les élections début 2022, l’organisation régionale s’est contentée d’ignorer cette notification et d’insister pour que cet « impossible » ait tout de même lieu. Sans doute cet entêtement était-il nourri par les certitudes naïves de certains diplomates en poste à Bamako, convaincus que ‘la junte avait conscience’ qu’une extension longue serait intenable. Le peu de progrès réalisés dans les préparatifs électoraux, à quelques mois seulement des échéances attendues, était pourtant un indicateur clair.

L’approche consistant à traiter les autorités maliennes en « cadet diplomatique » a montré ses limites

Cette situation offre aux partenaires internationaux du Mali d’importants enseignements pour la suite de la gestion de crise. Le principal est que, si le dialogue diplomatique avec les autorités maliennes reste indispensable, encore faut-il être disposé à entendre et voir certaines vérités inconfortables.

L’approche consistant à traiter les autorités maliennes en « cadet diplomatique », en ignorant leurs déclarations et en espérant les contraindre par la peur ou la coercition, a montré ses limites. La débâcle diplomatique dans le cadre de l’affaire dite Wagner en offre un rappel supplémentaire.

Dans un communiqué publié le 23 décembre avec 15 autres partenaires occidentaux du Mali, la France adopte un langage d’impuissance qui tranche avec la véhémence des menaces formulées précédemment pour décourager le Mali d’entrer en affaires avec la société paramilitaire russe Wagner.

Il faut sortir du dialogue de sourds, des menaces sans effet et de la politique des sanctions, perçues par une partie de la population comme abusives et attentatoires à la souveraineté nationale. À la diplomatie de la coercition doit succéder un dialogue sans tabou et fondé sur un pied d’égalité. Ce dialogue doit s’étendre aux acteurs politiques et de la société civile nationale, mieux placés pour tenir les autorités de transition comptables de leurs engagements.

Au-delà des intérêts particuliers, les propositions du gouvernement de transition reflètent aussi une demande de changement profond d’un système politique auquel les Maliens ne croient plus. Une mise à plat de ce système est indispensable pour redonner du sens aux élections et au processus démocratique.

Ornella Moderan, Cheffe de Programme Sahel, ISS Bamako

Cet article est publié avec le soutien du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

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