La fermeture des frontières du Nigeria n'a pas rempli son office
La persistance de la contrebande transfrontalière suscite des interrogations quant à l'efficacité de cette stratégie et aux véritables raisons qui la sous-tendent.
Publié le 22 mars 2021 dans
ISS Today
Par
Sampson Kwarkye
chef de projet, États Littoraux d'Afrique de l'Ouest, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
En août 2019, le Nigeria a fermé ses frontières terrestres avec le Bénin, le Cameroun, le Tchad et le Niger. Seules les personnes étaient autorisées à passer, la circulation des biens était interdite.
Selon des représentants nigérians, l’objectif était d'endiguer la contrebande de marchandises, notamment de riz. Pourtant, ce trafic n'a pas cessé depuis la fermeture des frontières, ce qui soulève des questions sur l'efficacité de la mesure et les raisons réelles derrière cette décision.
Une réunion des ministres des finances et du commerce du Bénin, du Burkina, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Niger, du Nigeria et du Togo convoquée en février 2020 par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest n'a pas permis de résoudre la situation.
Le Nigeria et ses pays voisins (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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Le Nigeria a annoncé une réouverture partielle de ses frontières terrestres le 16 décembre 2020 et n'autorise, depuis janvier, que le passage des véhicules légers et des piétons. Le sujet a été porté à un niveau plus élevé par une réunion des présidents du Bénin et du Nigeria convoquée à Abuja en janvier. Cette réunion n’a cependant abouti à aucun changement. Une réunion bilatérale entre le Ghana et le Nigeria en marge du Sommet sur l'investissement entre le Royaume-Uni et l'Afrique en janvier 2020 n'a pas non plus permis de faire évoluer la position du Nigeria.
Lors de la réunion d'Abuja, le président nigérian Muhammadu Buhari a déploré l’augmentation du volume de la contrebande depuis la réouverture partielle. Son homologue béninois, Patrice Talon, a proposé de poster des agents de la police et des douanes nigérianes au Port autonome de Cotonou, afin qu’ils puissent inspecter les exportations vers le Nigeria. Les deux pays ont convenu de créer un groupe de travail pour superviser la mise en œuvre de la proposition de Talon, qui pourrait être implémentée d'ici juin 2021.
Cette fermeture rappelle la même mesure imposée en 1984 par le dirigeant militaire de l'époque, M. Buhari. Elle reflète notamment une préférence pour les politiques économiques protectionnistes comme moyen de stimuler la croissance et de réduire le chômage.
Cette fermeture rappelle la même mesure imposée en 1984 par le dirigeant militaire de l'époque, M. Buhari
Selon des entretiens menés par l’Institut d’études de sécurité (ISS) avec des diplomates, la fermeture de 2019 serait liée aux inquiétudes du Nigeria quant à l'impact à court terme de l'accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Le pays a ratifié très tardivement l'accord commercial, le faisant en décembre 2020, un mois seulement avant son entrée en vigueur en janvier 2021.
Le Nigeria s'attendait à ce que l'accord ouvre davantage son marché, le plus grand d'Afrique de l’Ouest, aux entreprises extérieures, y compris celles des pays voisins. La production industrielle de riz et de maïs au Nigeria est inorganisée et faible, ce qui suscite des inquiétudes quant au fait que la ZLECAf permette à des fournisseurs étrangers de s'emparer d'une grande partie du marché nigérian et régional. Cependant, la zone de libre-échange ne prévoit pas de mécanisme pour réglementer le commerce transfrontalier informel, que les contrebandiers exploitent souvent.
Une mesure à court terme est nécessaire pour empêcher les acteurs industriels locaux de perdre du terrain face aux concurrents étrangers. Le Nigeria s'attendait apparemment à ce que la fermeture renforce ses industries et le positionne pour les exportations en Afrique de l'Ouest.
Des responsables du commerce interrogés par l'ISS ont déclaré que la fermeture avait probablement créé de nouveaux itinéraires de contrebande, les trafiquants étant déterminés à acheminer leurs marchandises à travers les frontières. Ils ont toutefois reconnu que les produits (y compris le riz) ont probablement été introduits en contrebande dans de plus petits lots, étant donné la difficulté de conduire des camions lourds sur les routes alternatives.
La fermeture des frontières de 2019 a été liée aux préoccupations du Nigeria concernant l'impact à court terme de la ZLECAf
Le commerce informel à travers des routes non approuvées est déjà une pratique économique de longue date dans les communautés locales. La porosité de la frontière entre le Bénin et le Nigeria, avec de nombreuses routes informelles hors de portée des agents des douanes et de l'immigration de part et d’autre, permet aux individus et aux réseaux de faire passer des marchandises en contrebande sans être détectés. La frontière, longue de plus de 780 km, traverse souvent d'épaisses forêts et des rivières qui servent de couverture aux contrebandiers.
Les recherches de l'ISS mettent en évidence des cas où des marchandises ont été passées en contrebande la nuit en utilisant des routes non approuvées entre le Bénin et le Nigeria. Elles ont en outre démontré que les communautés locales, les chauffeurs de taxi et de moto, les petites embarcations et les agents frontaliers contribuent également à ce commerce illicite. Les contrebandiers paient les fonctionnaires en fonction de la taille des cargaisons et de l'aide qu'ils apportent.
Les contrebandiers empruntent souvent la rivière Okpara et les zones forestières du département du Borgou au Bénin, de la lagune (pour se rendre de Porto-Novo au Bénin à Badagry au Nigeria), et des zones marécageuses du département de l'Ouémé au Bénin.
Les liens socio-économiques profonds entre les communautés de part et d'autre de la frontière, notamment les Baribas, les Peuls, les Eguns, les Haoussas et les Yorubas/Nagos, permettent aux contrebandiers de traverser facilement. Ils bénéficient de relations familiales, qui vont au-delà des nationalités.
Selon des responsables du commerce, la fermeture des frontières aurait entraîné l'ouverture de nouvelles routes de contrebande
Les communautés frontalières sont également confrontées à d'importants problèmes de gouvernance et de développement. L'absence, ou la faible présence, de l'État et le manque d'opportunités économiques font de la contrebande une source utile de moyens de subsistance.
Les différences entre les politiques fiscales, les prix des marchandises et les préférences en matière de produits sont également à l'origine de la contrebande dans la région. Certains produits tels que le riz, l'huile et les pâtes sont surtaxés au Nigeria, par rapport au Bénin et au Togo. Ces produits sont importés au Bénin et au Togo à des taux d'imposition relativement faibles, puis introduits clandestinement au Nigeria pour y être vendus.
Les Nigérians préfèrent également s'approvisionner en certains produits au Bénin où ils coûtent moins cher, comme les tissus wax hollandais et les véhicules d'occasion. Les processus de dédouanement sont également plus faciles au Bénin qu'au Nigeria, où elles sont fastidieuses et prennent du temps.
Plutôt que de fermer les frontières, le Nigeria devrait œuvrer avec ses voisins afin d'investir dans le renforcement de la sécurité et de la surveillance des frontières, ainsi que veiller au développement et à l'amélioration des communautés frontalières dont les moyens de subsistance dépendent de la contrebande. Pour ce faire, les pays concernés doivent conclure des accords sur l'investissement dans le développement rural, le renforcement de la sécurité aux frontières et le partage des renseignements, la lutte contre la corruption des agents frontaliers et la correction des politiques économiques qui permettent la contrebande.
Sampson Kwarkye, chercheur principal et Michaël Matongbada, chargé de recherche, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Cet article a été réalisé avec l’appui de la Fondation Hans Seidel et du Fonds britannique pour la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité.
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