Attentats terroristes sur les côtes ouest-africaines : la partie émergée de l’iceberg
Mieux comprendre le mode d’expansion de l’extrémisme violent permettrait d’éviter des erreurs coûteuses.
Publié le 09 mars 2022 dans
ISS Today
Par
Sampson Kwarkye
chef de projet, États Littoraux d'Afrique de l'Ouest, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
L’expansion de l’extrémisme violent s’intensifie dans les États côtiers d’Afrique de l’Ouest. Bien que terrifiants pour les populations, les incidents répertoriés dans ces pays ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Sous la surface, les groupes extrémistes violents œuvrent discrètement pour assurer la pérennité de leur action dans la région. Leurs activités dans les États côtiers leur permettent de financer leurs actions, de recruter et d’obtenir la logistique nécessaire à leur fonctionnement.
Une bonne analyse des dynamiques qui sous tendent l’expansion de l’extrémisme violent doit être un préalable à l’intensification des réponses militaires dans les pays côtiers. Au-delà des attaques, les pays côtiers doivent mieux appréhender les liens entre extrémisme et activités illicites qui permettent à ces groupes de mobiliser les ressources nécessaires à leurs opérations.
Les 8 et 10 février, le Bénin a connu les attaques les plus meurtrières à ce jour : des patrouilles dans le parc national du W ont heurté des engins explosifs improvisés. Le gouvernement a déclaré qu’un soldat et huit gardes forestiers dont un instructeur français avaient été tués et 12 autres blessés. Une série d’attentats avaient déjà fait plusieurs morts dans le nord du Bénin entre fin novembre 2021 et janvier 2022.
Les acteurs djihadistes s'activent discrètement pour assurer la pérennité de leur action
Le 9 novembre 2021, le Togo voisin a subi sa toute première attaque contre un poste de sécurité dans le village de Sanloaga. Puis, le 19 février, selon le ministre togolais de la Sécurité et de la Protection civile, Yark Damehame, des militants présumés de groupes extrémistes violents ont ordonné aux habitants du village de Lalabiga, dans la région des Savanes, de quitter les lieux dans les 72 heures. En Côte d’Ivoire, au moins 11 soldats ont été tués ou blessés lors des multiples attentats perpétrés au cours du premier semestre 2021.
Les sites des récentes attaques dans les États côtiers d’Afrique de l’Ouest(cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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La principale riposte des États côtiers a été le lancement d’opérations militaires nationales, bilatérales ou conjointes dans le cadre de l’Initiative d’Accra. La dernière en date, l’opération Koudanlgou 4 zone 2, menée en novembre 2021, a mobilisé le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo. Environ 6 000 soldats auraient été déployés et 300 extrémistes présumés arrêtés.
À présent, ces réponses pourraient être renforcées dans la perspective du retrait prévu des forces Barkhane et Takuba du Mali et leur redéploiement au Niger et dans le golfe de Guinée. Ce retrait a été annoncé par le président français Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse le 17 février devant des dirigeants des États côtiers. Cela pourrait entraîner une militarisation accrue des réponses étatiques, basées sur une interprétation limitée de l’expansion de la menace terroriste qui est présentée comme une propagation des attaques vers le sud.
Des acteurs clés du dispositif de lutte contre le terrorisme dans ces pays commencent à reconnaître que des ressortissants des États côtiers ont été recrutés pour aller combattre au Sahel et ailleurs. En revanche, très peu d’attention est portée aux dynamiques qui servent de terreau fertile à ce phénomène, à ses acteurs, au profil des personnes recrutées, aux lieux de recrutement et aux stratégies pour y faire face.
Les principales parties prenantes des États côtiers considèrent l’extrémisme violent surtout comme une menace extérieure provenant du Sahel. Cette analyse détourne leur attention des vulnérabilités au niveau local que ces groupes pourraient exploiter pour continuer leur expansion vers les pays côtiers.
Comme au Sahel, les conflits locaux dans les États côtiers peuvent servir de points d’entrée aux groupes extrémistes violents, qui jouent le rôle de médiateurs ou soutiennent l’une ou l’autre partie au conflit. De même, dans les communautés frontalières, en particulier là où les infrastructures de base ou les services publics font défaut, les groupes gagnent le soutien des populations en leur garantissant l’accès à ces services, y compris la sécurité.
L’expansion des groupes extrémistes violents vers les pays côtiers est souvent présentée de manière linéaire suivant un axe nord-sud, alors que ces groupes mobilisent aussi des ressources de l’est à l’ouest, et suivent d’autres itinéraires. Par exemple, les motos, indispensables pour se déplacer en terrain difficile, proviennent de trafics allant du Nigeria vers l’ouest du Burkina Faso et le sud-est du Niger en passant par le Bénin et le Togo.
Des explosifs utilisés dans certains États côtiers pourraient parvenir à des groupes terroristes plus au nord
Des marchands d’or du Togo et du Bénin ont également accès à certains sites d’orpaillage contrôlés par des extrémistes violents au Sahel. Les substances explosives utilisées dans les États côtiers peuvent être acheminées vers le nord pour parvenir à des groupes terroristes. En 2018, l’origine d’un cordon détonant, saisi dans le cadre d’une opération antiterroriste à Ouagadougou, a pu être retracée jusqu’à un site minier du nord du Ghana.
Privilégier les interventions militaires dans la lutte contre l’extrémisme violent pourrait engendrer des attaques de représailles de la part des groupes. L’attaque de Kafolo, en Côte d’Ivoire, en juin 2020, faisait suite à l’opération Comoé menée conjointement par la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso trois semaines plus tôt. Avant que cette attaque ne survienne, le groupe Jama’at Nusratul Islam wal Muslimin, une émanation d’Al-Qaïda, aurait fait référence à l’opération et évoqué une attaque contre la Côte d’Ivoire sur sa plateforme de propagande, Thabat News Agency.
Les récentes attaques contre des postes de sécurité et des patrouilles au Bénin et au Togo semblent être une réaction des groupes aux opérations récentes menées par ces pays. Toutefois, les recherches de l’Institut d’études de sécurité (ISS) montrent que ce lien est incertain. En effet, ces attaques pourraient tout aussi bien avoir comme objectif de tester la capacité des forces de défense et de sécurité, de protéger ou d’ouvrir des voies d’approvisionnement en ressources.
Les États côtiers peuvent être tentés de contrer les activités des groupes extrémistes violents en imposant des couvre-feux, en fermant les marchés et en restreignant la liberté de circulation des personnes. Après l’attaque de Sanloaga, les autorités locales du nord du Togo ont incité les commerçants à ne pas se rendre sur les marchés proches de la frontière avec le Burkina Faso. Si ces restrictions perturbent les chaînes d’approvisionnement des groupes, elles affectent aussi l’accès des populations locales à des moyens de subsistance.
Ces mesures alimentent également le mécontentement des communautés à l’égard des autorités, en particulier dans les zones longtemps négligées par l’État. Les extrémistes pourraient ainsi s’attirer la sympathie des communautés, surtout s’ils leur offrent d’autres moyens de subsistance.
Les États côtiers doivent identifier les risques et les leçons à tirer des stratégies antiterroristes appliquées jusqu’à présent, et s’adapter en conséquence. Les stratégies de lutte contre les chaînes d’approvisionnement doivent inclure une planification conjointe et une coordination transfrontalière, faute de quoi les groupes confrontés à des obstacles choisiront simplement d’autres itinéraires.
Enfin, les communautés doivent être constamment impliquées dans toutes les initiatives visant à briser les chaînes d’approvisionnement des groupes. Ceci permettra d’éviter des conséquences imprévues, notamment la perturbation des moyens de subsistance, qui pourraient pousser les populations mécontentes dans les bras des terroristes.
Sampson Kwarkye, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
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