À Madagascar, les rivaux historiques s’affrontent dans la rue

Porté au pouvoir par un coup d’État, le président Rajoelina, dans sa quête d’un nouveau mandat, réprime les manifestants de l’opposition.

Le 16 novembre, le peuple malgache se rendra aux urnes, malgré la multiplication des manifestations de l’opposition et une situation tendue. Le président Andry Rajoelina brigue un troisième mandat qui, selon les modifications apportées à la Constitution ces 14 dernières années, sera son deuxième mandat consécutif.

Rajoelina est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire qui a renversé le président élu Marc Ravalomanana en 2009. Rajoelina et Ravalomanana avaient été contraints par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) de ne pas se présenter aux élections de 2013. Rajoelina est revenu au pouvoir en 2018, et, en cas de victoire le 16 novembre, il pourrait occuper la fonction suprême pendant 14 ans.

Le scrutin a déjà été entaché par plusieurs controverses que Rajoelina a balayées d’un revers de main. Le mois dernier, la Cour constitutionnelle a rejeté une tentative de le disqualifier de la présidence au motif qu’il possédait la double nationalité malgache et française, une apparente violation de la loi.

Rajoelina a répondu sans sourciller qu’il avait demandé et obtenu la nationalité française en 2014 après son exclusion de la vie politique, afin de scolariser ses enfants en France. Et personne ne peut s’opposer à ce qu’un père instruise ses enfants.

Si Rajoelina gagne le 16 novembre, il pourrait rester président pendant 14 ans au total

La Cour constitutionnelle a également rejeté les objections de l’opposition à la nomination par Rajoelina de son allié, le Premier ministre Christian Ntsay, en tant que président intérimaire pendant les élections. La Constitution exige qu’un gouvernement provisoire supervise le processus électoral sous la houlette du président du Sénat. L’ancien président, Herimanana Razafimahefa, sollicité pour occuper ce poste, avait d’abord refusé « pour des raisons personnelles » avant de revenir sur sa décision, quand il était trop tard.

Dix candidats de l’opposition ont porté plainte auprès de la commission électorale, arguant que cette décision équivalait à un « coup d’État institutionnel » qui donnerait un avantage considérable à Rajoelina dans les urnes. La commission a rejeté leurs préoccupations, tout comme la Cour.

La Cour a reporté les élections d’une semaine, du 9 au 16 novembre, à la demande du candidat à la présidence Andry Raobelina, qui se remet d’une blessure à l’œil infligée par la police lors d’une manifestation. Cette semaine, ce dernier a déposé une seconde demande d’ajournement rejetée par la Cour, qui a maintenu la date des élections au 16 novembre.

Le Collectif des onze — un groupe de candidats à la présidence de l’opposition, dont Ravalomanana et un autre ancien président, Hery Rajaonarimampianina — boycotte la campagne électorale. Le Collectif a organisé des manifestations non autorisées contre la gestion des élections par Rajoelina qu’il considère comme biaisée. En réponse, le gouvernement a réprimé les manifestations avec des gaz lacrymogènes, des matraques et des arrestations arbitraires.

Seif Magango, porte-parole du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, s’est dit préoccupé par la « détérioration de la situation des droits de l’homme » et a accusé les forces de sécurité d’avoir utilisé « une force inutile et disproportionnée pour disperser quatre manifestations pacifiques en l’espace de deux semaines ».

Dix candidats de l’opposition ont accusé Rajoelina d’avoir orchestré un « coup d’État institutionnel »

Il a exhorté les autorités malgaches à respecter la liberté d’expression et de réunion, à éviter le recours à la force disproportionnée et à créer un environnement propice à la tenue d’élections libres, équitables et transparentes. Il a déclaré que les procédures d’ordre public, telles que l’obtention d’une autorisation pour des manifestations pacifiques, ne devraient pas être utilisées pour empêcher ou décourager les rassemblements pacifiques.

L’Union européenne, plusieurs organisations internationales, les États-Unis, la France, l’Allemagne et le Japon, entre autres, ont dénoncé le « recours disproportionné à la force » pour disperser les manifestations de l’opposition.

L’opinion la plus préoccupante est peut-être celle de la présidente de l’Assemblée nationale de Madagascar, Christine Razanamahasoa, qui a dit en s’adressant aux parlementaires de l’opposition : « Notre pays va mal, notre peuple souffre et nous en sommes responsables. Nous sommes dans une impasse ». Elle a mis en garde contre les germes d’une « guerre fratricide visible et grandissante » et a affirmé qu’elle se situerait « là où il y aura une issue à la crise dans l’intérêt suprême de la nation ».

Le pays traverse effectivement une période difficile. Dans son rapport de mars 2023 sur les consultations au titre de l’article IV, le Fonds monétaire international (FMI) estime le niveau de pauvreté à plus de 80 %. La croissance « devrait stagner à 4,2 % », tandis que l’inflation moyenne annuelle devrait dépasser les 10 %.

Le maintien du boycott de la campagne électorale par le Collectif des onze fera monter les tensions

Bien que le gouvernement ait mis en œuvre plusieurs recommandations clés du FMI, « des réformes ambitieuses restent entravées par des capacités limitées et une faible gouvernance ». Le FMI a néanmoins déboursé une troisième tranche de droit de tirage spécial d’environ 32,6 millions de dollars US, pour l’appui budgétaire, dans le cadre de sa facilité élargie de crédit à Madagascar.

Lors d’une interview accordée la semaine dernière à France 24 et RFI, Rajoelina a minimisé ces statistiques. Il a déclaré que les prévisions de croissance économique de Madagascar étaient supérieures à la moyenne africaine de 3,6 %, ce qui, selon lui, signifie que « le pays progresse ». Il reconnaît cependant que des efforts considérables restent nécessaires pour éradiquer la pauvreté et surmonter les énormes défis liés aux retards dans la fourniture d’électricité et d’eau.

Il a également rejeté les nombreuses critiques concernant la répression des manifestations de l’opposition, affirmant que la liberté d’opinion et de réunion restait garantie et que l’opposition avait le droit de tenir des réunions dans le cadre de sa campagne électorale. Il a toutefois déclaré que les manifestations et les marches, ainsi que les tentatives de report des élections, étaient des manœuvres de ses adversaires visant à orchestrer une « transition politique » plutôt que des élections.

Ces propos sont particulièrement ironiques, venant de celui qui avait organisé des manifestations publiques contre Ravalomanana en 2009, qui ont abouti à un coup d’État.

À quelques semaines des élections, l’issue demeure incertaine. Si le Collectif des onze maintient son boycott, les tensions pourraient augmenter. Des sources indiquent que la médiation proposée par la SADC a été rejetée par Rajoelina, qui nie l’existence d’une crise. Il reste à voir si l’Union africaine, la SADC et la Francophonie enverront des missions d’observation.

Au cours de la semaine écoulée, le Collectif des onze est devenu celui des dix — ou plutôt des neuf puisque Raobelina est toujours en traitement à Maurice — à la suite du retrait de Siteny Randrianasoloniaiko, qui a entamé sa campagne électorale. À la tête de l’Union africaine de judo et ancien champion de cette discipline, c’est un législateur charismatique et populiste que beaucoup considèrent comme le principal rival de Rajoelina.

Néanmoins, les observateurs diplomatiques, entre autres, estiment que Rajoelina dispose des ressources, potentiellement « empruntées » à l’État, pour sortir à nouveau victorieux. Le contexte général demeure malheureusement incertain.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © RIJASOLO / AFP

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