Rajoelina ou l’hyper-président par excellence

Madagascar se prépare à une élection présidentielle en novembre dont le maigre espoir de changement repose sur un judoka.

Un judoka peut-il faire tomber de son piédestal le président malgache Andry Rajoelina ? L’ancien champion et président de l’Union africaine de judo, Siteny Randrianasoloniaiko, considéré comme le candidat de la Russie, est le principal adversaire de Rajoelina pour l’élection présidentielle de novembre.

« Siteny » est un député charismatique dont la candidature inquiète le Palais présidentiel. Le mouvement politique MIHAVA TOUR (« À l’écoute du peuple ») qu’il a créé veut porter la parole du peuple.

Lors des élections de 2018, de mystérieux touristes russes auraient visité Tananarive offrant un appui financier à divers candidats à la présidence en échange d’avantages, notamment des concessions minières, en cas de victoire. Après avoir soutenu le président sortant de l’époque, Hery Rajaonarimampianina, ils se sont ensuite tournés vers Rajoelina. Selon l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC), ces agents — qui représentent le patron du groupe Wagner, Evguéni Prigojine — sont de retour, « à la recherche de nouveaux candidats à soutenir en 2023, afin de répéter les stratégies de 2018 ».

Selon la GI-TOC, Wagner chercherait un nouveau candidat « qui puisse offrir plus d’avantages financiers ou un soutien plus global à la Russie sur la scène internationale. Selon trois sources différentes, l’un des candidats à la présidentielle, Siteny Randrianasoloniaiko, aurait rencontré un ‟recruteur” russe soupçonné d’être lié à Wagner. Randrianasoloniaiko […] est souvent perçu comme étant politiquement proche de la Russie ».

Déloger Rajoelina s’apparente à un marathon pour le judoka Siteny Randrianasoloniaiko

Le journaliste malgache Emre Sari a déclaré à ISS Today que Siteny était probablement le principal adversaire de Rajoelina. (Les intentions de Rajaonarimampianina, son prédécesseur, et de son grand rival Marc Ravalomanana, qu’il a renversé lors du coup d’État de 2009, restent floues).

Sari estime que la campagne de Siteny reposera sur l’incapacité de l’administration de Rajoelina à résoudre les problèmes de fond d’un pays où 81,7 % de la population vit avec moins de 1,90 dollar US par jour. Mais il reconnaît que déloger Rajoelina s’apparente à un marathon pour le judoka.

Rajoelina briguera un deuxième et dernier mandat en vertu de la nouvelle Constitution malgache. Dans les faits, il s’agirait de son troisième mandat, puisqu’il a occupé la présidence de 2009 à 2013. La Communauté de développement de l’Afrique australe avait convaincu les deux rivaux de renoncer à se présenter au scrutin de 2013, qui avait vu la victoire de Rajaonarimampianina.

Au cours des cinq dernières années, Rajoelina a renforcé arbitrairement son pouvoir en réduisant le nombre de sénateurs de 63 à 18, dont six sont nommés par lui-même. Depuis les victoires de sa coalition TGV/MAPAR/IRD lors des élections législatives et locales de 2019 et des élections sénatoriales indirectes de 2020, Rajoelina contrôle quasiment tous les leviers du pouvoir.

Rajoelina a profité des cinq dernières années pour s’emparer de la quasi-totalité du pouvoir

Selon la Fondation Bertelsmann, Rajoelina fait face à une faible opposition en dehors de la sphère politique. « La séparation des pouvoirs fixée par la Constitution n’est pas respectée dans la pratique. L’exécutif domine les autres pouvoirs et […] le président bénéficie de vastes prérogatives ».

Le Parlement se contente d’approuver sans réel débat les décisions de l’exécutif. De même, les médias publics seraient « communément considérés comme un instrument du parti au pouvoir ». D’autres institutions sont perçues comme étant « dirigées par des individus proches du pouvoir politique ».

La justice malgache n’inspire plus confiance. Le président est à la tête du Conseil supérieur de la magistrature et nomme trois membres de la Haute Cour constitutionnelle. « Le processus de personnalisation du pouvoir entrepris par les présidents successifs compromet le fonctionnement, la transparence et l’indépendance des autres pouvoirs, en particulier le judiciaire », déplore la Fondation Bertelsmann.

La concentration du pouvoir, la fragilisation des institutions et la mauvaise gouvernance nuisent à l’économie. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la COVID-19 a eu des effets considérables sur l’économie qui s’est contractée de 7,1 % en 2020, soit près de deux fois la moyenne de l’Afrique subsaharienne.

Près de 82 % des Malgaches vivent sous le seuil de pauvreté et plus d’un million dépend des aides du PAM

Discret, le FMI ne précise pas que la capacité de Madagascar à gérer la pandémie a été entravée par le déni des dirigeants. Au lieu de mettre en place un programme de vaccination, Rajoelina a fait la promotion d’un remède à base de plantes fabriqué à Madagascar. Le faible taux de vaccination, actuellement à 6,9 % selon le FMI, nuit à l’économie, en particulier au tourisme.

Le FMI note que l’économie a renoué avec la croissance en 2021 (5,7 %), principalement grâce à l’exploitation minière et au secteur de la construction. Cependant, la dynamique de croissance a été perturbée au premier semestre 2022 par l’impact de cinq cyclones et des perspectives de ralentissement de la croissance aux États-Unis et en Europe.

Le FMI prévoit une croissance de 4,2 % pour 2022 et 2023, mais avec un taux d’inflation de 9,5 %. Il a accepté de débloquer une aide budgétaire de 32,6 millions de dollars US, ce qui porte à environ 195,5 millions de dollars US le total de ses décaissements en faveur de Madagascar dans le cadre de l’actuelle Facilité élargie de crédit.

Le Fonds a néanmoins déclaré que les perspectives économiques du pays étaient « très incertaines avec. Madagascar reste confronté à la fragilité sociale, aux faibles capacités de l’État et aux chocs climatiques ».

Le FMI s’inquiète par ailleurs du risque croissant de tensions politiques à l’approche des élections de novembre, déclarant que « l’insécurité alimentaire persistante, la hausse des prix, les niveaux élevés de corruption et la pauvreté croissante pourraient exacerber le mécontentement populaire. Le banditisme, le vol de bétail et le non-respect de la loi affectent la sécurité dans les zones rurales et affaiblissent le contrôle de l’État ».

Ainsi, 81,7 % des Malgaches vivent encore sous le seuil de pauvreté et plus d’un million d’entre eux, sur une population d’environ 30 millions d’habitants, des aides du Programme alimentaire mondial (PAM). Les rapports de la Fondation Bertelsmann et du FMI sont clairs : la mauvaise gouvernance — du pouvoir quasi incontrôlé de Rajoelina — constitue le principal obstacle à un essor économique susceptible d’aider ces 81,7 % de la population à sortir de la pauvreté.

Le pouvoir arbitraire de Rajoelina s’est illustré l’année dernière par la suspension d’Airlink, la seule compagnie aérienne sud-africaine reliant Johannesbourg à Tananarive. L’Afrique du Sud avait refusé de livrer aux autorités malgaches trois contrebandiers et leur cargaison de 79 kg d’or brut. Cette suspension préjudiciable de huit mois a perturbé l’économie, obligeant les voyageurs à emprunter des itinéraires indirects plus coûteux. Pourtant, cela ne semble pas avoir préoccupé Rajoelina, l’hyper-président par excellence !

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Présidence de la République de Madagascar

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