Renforcer la médiation interne face aux ingérences extérieures
En réaction à la crise qui sévit en RDC, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer des solutions africaines aux problèmes africains.
Le 19 mars 2025, le président de la Commission de l’Union africaine (CUA) a approuvé les pourparlers de Doha, au Qatar, qui ont réuni les présidents Félix Tshisekedi de la RDC et Paul Kagamé du Rwanda. Peu après, l’Angola, qui avait dirigé le processus de Luanda soutenu par l’UA pour résoudre les tensions entre les deux pays depuis 2022, a annoncé qu’il mettait fin à son rôle de médiateur afin de porter ses efforts sur des priorités plus larges à la suite de sa nomination à la présidence de l’UA. L’organisation panafricaine céderait-elle son rôle de principal médiateur en Afrique, alors que des acteurs extérieurs manifestent un intérêt croissant pour la résolution des conflits africains ?
Faire face à la crise
Depuis le début de l’année 2025, la multiplication des incursions du groupe rebelle du Mouvement du 23 mars (M23) et la prise de contrôle de quelques villes importantes ont envenimé le conflit dans l’est de la RDC. Le 28 janvier, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a condamné ces attaques qui ont entraîné la perte de vies humaines, le déplacement de milliers de personnes et aggravé l’insécurité dans la région.
Outre un appel au cessez-le-feu, le CPS a demandé à la Commission de l’UA de déployer une mission d’enquête dans la perspective du sommet quadripartite de juin 2023. Le sommet doit réunir la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL). Puis, au terme de sa 1261e réunion du 28 février, le CPS a appelé à une action collective africaine qui soit basée sur la recherche de « solutions africaines aux problèmes africains ».
L’augmentation des interventions du M23 ont aggravé le conflit dans l’est de la RDC
La CAE et la SADC avaient déjà cherché à faire adopter une résolution en ce sens lors d’une session conjointe en janvier 2025. Le 21 février, la résolution 2773 des Nations unies a appelé à un cessez-le-feu et au retrait des forces rwandaises de l’est de la RDC. La résolution, adoptée à l’unanimité, condamne également le soutien de la RDC à des groupes armés tels que les Forces démocratiques de libération du Rwanda. Malgré ces démarches, la situation sur le terrain reste désastreuse et ni les efforts régionaux, ni les initiatives internationales n’ont eu les effets escomptés.
Les défis des efforts de médiation
Alors que les pourparlers de paix entre les parties au conflit se déroulaient à Luanda, les événements ont pris une tournure surprenante le 18 mars. En effet, ce jour-là, l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, a accueilli Kagamé et Tshisekedi dans le but d’apaiser les tensions et de discuter des moyens de rétablir la paix. Une réunion de suivi a eu lieu le 28 mars entre les médiateurs qataris et des émissaires de la RDC et du Rwanda. Des représentants du M23 ont également été accueillis à Doha. L’implication du Qatar témoigne d’une tendance à la hausse des interventions extérieures dans les conflits africains et met en évidence les lacunes des mécanismes régionaux et continentaux de résolution des conflits.
À la suite de la réunion du Qatar, le président de la CUA, Mahamoud Ali Youssouf, a réaffirmé l’engagement de l’UA à soutenir la recherche de solutions au conflit en RDC qui soient conduites par les Africains, en particulier dans le cadre des processus de Luanda et de Nairobi. Il a toutefois noté que les discussions de Doha s’inscrivaient dans l’esprit d’engagement constructif de l’UA et complétaient les efforts régionaux en cours. Le retrait quasi simultané de l’Angola du processus de médiation souligne les défis structurels sous-jacents de l’UA dans la gestion de situations difficiles et à fort enjeu telles que celle en RDC.
L’émir du Qatar a accueilli Kagamé et Tshisekedi pour tenter de tracer des perspectives de paix
La gestion des conflits par l’UA s’appuie sur la complémentarité des communautés économiques régionales (CER) et des mécanismes régionaux (MR). Le sommet quadripartite sur la RDC organisé par l’UA en juin 2023 en est un bon exemple. Les CER/MR jouent un rôle important de mise en œuvre dans les situations qui les impliquent et qui impliquent l’UA, tandis que l’UA joue souvent le rôle crucial d’organe de coordination à l’échelle du continent. L’UA s’appuie également sur le principe de subsidiarité, qui lui permet de n’intervenir que quand les CER/MR n’en sont pas capables. Malgré les leçons tirées et les efforts pour améliorer la mise en œuvre de ces principes, de nombreux progrès restent à faire. L’UA a notamment été critiquée pour son manque de transparence dans l’application de ces principes, ce qui a parfois conduit à un manque de cohérence politique.
L’UA a soutenu les efforts de l’Angola dans le cadre du processus de Luanda. Cependant, des initiatives parallèles, telles que le processus de Nairobi mené par la CAE, la mission de la SADC en RDC ou d’autres encore appuyées par la communauté internationale, ont minimisé l’influence directe de l’UA. Elles ont aussi amplifié les difficultés rencontrées par l’équipe de médiation. L’implication d’autres acteurs a également révélé les risques liés à la mobilisation d’intérêts étrangers et a permis de mesurer combien leur mauvaise gestion pouvait saper les efforts régionaux et continentaux visant à instaurer la stabilité.
Quelles conséquences et quelles options ?
Les deux derniers communiqués du CPS ont insisté sur le caractère central de la complémentarité dans la résolution des crises et des conflits. Après le sommet quadripartite, l’UA devrait soutenir la rédaction par la CEA et la SADC d’un cadre global visant à coordonner la fusion des processus de Luanda et de Nairobi de la manière la plus cohérente possible.
L’ingérence d’acteurs extérieurs peut entraver la recherche de solutions locales à des problèmes locaux
En outre, l’UA doit demeurer un rouage central dans la résolution des conflits africains, même si elle reconnaît l’implication d’acteurs extérieurs. En RDC, l’organisation panafricaine devrait soutenir les aspects techniques de l’installation du mécanisme CEA-SADC. Compte tenu des contraintes de ressources constantes, l’UA devrait également aider la CAE et la SADC à créer un mécanisme de financement fiable pour soutenir le rôle de médiation élargi envisagé ainsi qu’un système cohérent de rédaction de rapports en vue d’une prise de décision coordonnée. Les recommandations et les décisions du CPS ne sont souvent pas appliquées, mais vu la situation instable de la RDC et l’ampleur de ses implications régionales, le Conseil devrait veiller à l’exécution rapide de ses décisions, ces dernières déterminant la visibilité et l’implication de l’UA.
La médiation d’acteurs extérieurs peut conduire à des ingérences et entraver la recherche de solutions locales à des problèmes locaux. Il est donc important que l’UA reste concernée par tous les conflits africains et qu’elle affirme son autorité conformément à l’esprit de son Acte constitutif.