Luc Gnago/Reuters via Gallo images

Les activités illicites alimentent l’extrémisme dans le Sahel

Le processus de Nouakchott doit être relancé pour lutter contre l’orpaillage illégal et le trafic d’armes au Sahel.

La région du Sahel est confrontée à des crises sécuritaires complexes alimentées par l’extrémisme, les conflits entre agriculteurs et éleveurs et le banditisme. L’extrémisme reste de loin la principale source de violence. Selon l’Indice mondial du terrorisme 2025, le Sahel concentre 51 % des décès liés au terrorisme dans le monde, confirmant ainsi son statut d’épicentre du terrorisme mondial depuis 2019.

La communauté internationale tend à accorder plus d’attention à cette violence qu’aux économies illicites qui la favorisent et l’entretiennent. L’extraction illégale d’or et le trafic d’armes sont le fait non seulement de groupes armés, mais aussi d’individus et de communautés qui cherchent à gagner leur vie ou à se protéger. En outre, plus de 80 % de la main-d’œuvre au Sahel travaille dans le secteur informel, hors du contrôle de l’État. Les réseaux criminels organisés, y compris les groupes extrémistes violents, exploitent ce secteur et les activités illicites à des fins lucratives.

Les groupes armés les utilisent également dans leur stratégie de gouvernance, en s’insérant dans les dynamiques locales afin de constituer de larges viviers de recrutement et d’exercer une influence au niveau local. Alors que les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’éloignent les uns des autres, l’Union africaine (UA) et le Conseil de paix et de sécurité (CPS) devraient relancer le processus de Nouakchott. Ils pourraient également exhorter tous les États membres de la région à adopter des mesures pour couper les ressources aux groupes extrémistes et restreindre leur base de recrutement.

Le fléau du Sahel

La région recèle les gisements d’or les plus importants au monde, ce qui suscite l’intérêt de tous, et qui alimente aussi les activités économiques illégales qui se développent dans un contexte d’instabilité régionale. Selon le rapport 2023 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, l’orpaillage artisanal et à petite échelle, souvent criminel, représente environ 50 % de la production d’or de la région. Ce qui prive les États de milliards de dollars de recettes. Ces activités font le jeu des groupes qui contrôlent les régions minières et les itinéraires empruntés par les trafiquants.

Les individus et les communautés cherchent à gagner leur vie et à se protéger

Au cours des dix dernières années, les réseaux criminels, ainsi que les bandits et les extrémistes violents, se sont battus pour le contrôle des sites miniers. Plus de 1,8 million de personnes au Sahel dépendent de l’exploitation minière pour leur subsistance et ces groupes tirent parti des vulnérabilités locales. Des mouvements tels que le  Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique en Afrique de l’ouest (EIAO) profitent de la faible présence des services de l’État pour contrôler les territoires et les marchés. Ils imposent des taxes et font payer leur protection aux mineurs et aux populations contre des groupes rivaux, tout en consolidant en réalité leur hégémonie et leur contrôle sur les territoires riches en ressources.

Dans les zones sous son influence, la stratégie du GSIM — une coalition de groupes affiliés à Al-Qaïda, dont Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al-Mourabitoun, le Front de libération du Macina et la Katiba Serma — est de s’assurer le soutien de la population. Il passe outre les réglementations en autorisant l’exploitation minière et forestière dans des réserves naturelles protégées, souvent en mettant les populations en danger. Ce pragmatisme recueille l’approbation des mineurs et des populations locales frustrés par les retards bureaucratiques dans l’obtention des permis d’exploitation ou par les politiques étatiques restrictives. Ils considèrent qu’ainsi les extrémistes leur permettent de gagner leur vie.

Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les mineurs collaborent avec les groupes armés par nécessité, mais aussi souvent par choix, ce qui renforce l’influence des extrémistes et sape l’autorité de l’État. Le GSIM compte de nombreuses recrues au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et s’implante de plus en plus dans les États côtiers tels que le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire. Il parvient ainsi à contrôler des itinéraires stratégiques pour la contrebande d’or, avec la complicité de réseaux criminels internationaux qui profitent du chaos.

Des vulnérabilités complexes

Les armes illicites sont au cœur des crises multiformes qui secouent le Sahel. Près de 12 millions de ces armes circulent en Afrique de l’Ouest. Les saisies révèlent la présence d’un arsenal varié comprenant des armes légères, des munitions, des engins explosifs improvisés, des drones et des lance-roquettes.

La démarcation entre les motivations idéologiques et la recherche du profit est floue

Outre les stocks d’armes qui ont essaimé après le conflit libyen, des rapports indiquent que les armes perdues sur les champs de bataille et les détournements opérés par des fonctionnaires corrompus sont les principales sources d’approvisionnement. Les marchés d’armes prospèrent dans certaines villes transfrontalières telles que Malam Fatori (Nigeria), Tin Zaoutine (Algérie), Téra (Niger), Murzuq (Libye), Gaya (Niger) et Porga (Bénin).

La demande en armes au Sahel n’émane pas seulement des groupes extrémistes violents, des bandits et des mouvements séparatistes, mais aussi des populations contraintes de se défendre elles-mêmes en raison des difficultés étatiques pour assurer leur sécurité. Les groupes d’autodéfense armés sont très répandus, défendant des quartiers et des populations de manière informelle. Il peut s’agir d’extrémistes qui combattent aux côtés des forces gouvernementales. Cependant, ces groupes qui assurent une protection informelle, comme les Volontaires pour la défense de la patrie du Burkina Faso, exacerbent souvent la violence. Au Mali, des groupes d’autodéfense tels que les Dan Na Ambassagou et les Peuls se livrent à des représailles, ces derniers étant soupçonnés d’avoir des liens avec le GSIM.

Les armes utilisées dans ces escarmouches proviennent de marchés contrôlés par ceux qui se nourrissent de l’instabilité. La production artisanale d’armes est également en hausse, 60 % des armes saisies sur des civils au Burkina Faso entre 2016 et 2017 ont été fabriquées localement.

La prolifération des armes illégales a réduit à néant les possibilités de dialogue, entraînant des violences intercommunautaires persistantes ainsi que des conflits entre agriculteurs et éleveurs et des actes de banditisme. L’afflux d’armes provoque la fuite des populations. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu’environ 5 millions de personnes ont été déplacées de force et que 33 millions d’autres ont besoin d’une aide humanitaire. Il s’agit d’un vaste réservoir de personnes vulnérables au travail forcé, au trafic sexuel et à la contrebande de migrants.

Les jeunes, désillusionnés par les crises régionales, se tournent vers les substances illicites. Des drogues bon marché comme le tramadol et d’autres opioïdes synthétiques créent une dépendance et une vulnérabilité accrue au recrutement des réseaux criminels. L’un des groupes du GSIM, Al-Qaïda au Maghreb islamique, impose des taxes sur les itinéraires de contrebande de la cocaïne et des opioïdes.

L’UA pourrait convoquer l’AES et la CEDEAO pour lutter contre le crime organisé transnational

La convergence de l’extrémisme violent et du trafic d’armes, de drogue et d’êtres humains le long d’itinéraires communs brouille la frontière entre les motivations idéologiques et les objectifs lucratifs, ce qui amplifie l’instabilité. Afin de désorganiser ces réseaux, des politiques ciblées sont nécessaires pour renforcer la sécurité aux frontières, réglementer la production artisanale d’armes et s’attaquer aux moteurs socio-économiques de l’armement communautaire et de la radicalisation des jeunes.

Une réponse continentale

La crise générée par le crime organisé et l’extrémisme au Sahel résulte non pas d’un vide législatif ou de l’absence d’initiatives régionales, mais de la capacité limitée des gouvernements à les mettre en œuvre. En effet, les vastes espaces non gouvernés, les conditions socio-économiques propices à la corruption et l’insécurité persistante permettent aux économies illicites de prospérer.

Les récents coups d’État et l’installation de gouvernements dirigés par des juntes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, pays qui forment l’AES, témoignent de décennies d’échecs régionaux et continentaux à s’attaquer aux moteurs de la criminalité et de l’extrémisme. La volonté de l’AES de se retirer de la CEDEAO ne fait que fragiliser davantage la coopération régionale.

Le CPS est particulièrement bien placé pour mener des réponses coordonnées, mais ses efforts sont entravés par les incohérences, les réticences et le blocage du projet de déploiement d’une force antiterroriste depuis plus d’une décennie. L’UA doit donner la priorité au dialogue avec les pays de l’AES, en particulier pour résoudre certains conflits sous-jacents, tels que la crise sécessionniste au Mali, et pour désorganiser les structures extrémistes et criminelles qui entretiennent les marchés illégaux. Grâce à son pouvoir de convocation, l’UA pourrait réunir les membres de l’AES et de la CEDEAO pour s’attaquer à la criminalité transnationale organisée.

La relance du processus de Nouakchott n’est viable que si l’UA fait un effort supplémentaire au Sahel. Pour ce faire, il convient de surmonter la méfiance et de s’attaquer aux problèmes fondamentaux en partageant les renseignements, en mettant en place des patrouilles frontalières conjointes et en ciblant les enclaves criminelles et extrémistes.

Des analyses coordonnées des itinéraires de trafic et des bastions extrémistes sont essentielles pour minimiser les dommages causés aux civils, tandis qu’une gestion rigoureuse des stocks peut permettre de limiter le pillage des armes et leur détournement facilités par la corruption. Il faut également s’attaquer aux facteurs socio-économiques de la criminalité. L’UA doit mobiliser des fonds pour promouvoir un développement économique axé sur la jeunesse, en particulier dans les zones frontalières, afin d’offrir des alternatives à l’exploitation minière illégale, à la contrebande et à l’extrémisme.

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