Les organisations africaines clés frôlent la sclérose et l’obsolescence
La pertinence de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest est remise en question.
Le professeur Kwesi Aning, ancien directeur de la faculté des affaires académiques et de la recherche du Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix, au Ghana, partage son point de vue avec le Rapport sur le CPS. À moins que l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne parviennent à s’affranchir de l’inertie bureaucratique qui les mine, à impliquer la jeunesse africaine et à appliquer leurs propres normes sans parti pris, ces deux organisations risquent de devenir obsolètes dans un contexte d’insécurité croissante et de désengagement des citoyens.
L’Afrique semble régresser dans la gestion des menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité. À quoi cela est-il dû ?
L’UA et ses organisations régionales, qui devraient être les fers de lance des initiatives visant à résoudre ces problèmes, sont devenues, au fil du temps, presque sclérosées. Par conséquent, elles n’ont pas été en mesure de se transformer ou de transcender leurs structures et mandats fondamentaux pour faire face aux menaces actuelles.
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS), par exemple, a un mandat clair et des méthodes de travail bien établies. Toutefois, les données démographiques et les défis qui ont inspiré la réflexion de ses concepteurs ont changé de manière spectaculaire au cours des deux dernières décennies. Non seulement la proportion de jeunes en Afrique a augmenté de manière significative, mais cette nouvelle génération comprend mal, voire pas du tout, comment l’UA peut améliorer ses conditions de vie.
Il est possible que l’UA, et en particulier le CPS, passe à côté de plusieurs points importants. Le premier est l’évolution démographique du continent. Si l’on se demandait combien de fois, au cours de ses vingt années d’existence, le CPS a eu des débats de fond sur les enjeux démographiques et la forte croissance de la jeunesse, la réponse serait probablement décevante. Comment, dès lors, aborder adéquatement le sujet ou formuler des réponses adaptées aux défis qui émergent de cette évolution ?
L’UA et le CPS doivent rendre accessibles les textes sur leurs normes et leurs valeurs
Deuxièmement, les discussions sur les conflits au sein de l’UA sont devenues routinières. Les États membres sont souvent en mesure de prédire le contenu des communiqués avant même la tenue des réunions. Au fil du temps, cette prévisibilité a réduit l’efficacité, la pertinence et l’impact du CPS et de l’UA dans l’amélioration de la vie des citoyens africains.
Cela n’est pas particulièrement plaisant à admettre, mais lorsque vous travaillez avec le CPS à Addis-Abeba, que vous assistez à des réunions de haut niveau et que vous vous familiarisez avec les réglementations et les protocoles que les États ont volontairement adoptés, vous voyez l’Afrique à travers un prisme très étroit. Une fois que votre mission prend fin et que vous retournez dans la vraie vie, vous êtes confronté à un constat brutal : très peu de gens savent, comprennent ou s’intéressent à ce sur quoi vous avez travaillé pendant des années.
Comment traduire les discours ronflants des cercles politiques continentaux en politiques pratiques, utiles, opérationnelles et ayant un impact sur ceux que nous voulons servir ?
Selon moi, la clé réside dans le choix des mots. L’UA et le CPS doivent traduire les normes et les valeurs qui sous-tendent leur travail sur des questions telles que les changements climatiques, l’égalité hommes-femmes et la résolution des conflits armés, en textes accessibles et adaptés au contexte, qui trouvent un écho auprès des citoyens. Les documents de l’UA doivent être remaniés pour pouvoir être compris et mis en œuvre. Il est essentiel que le Conseil comble cette lacune en matière de communication s’il entend conserver sa pertinence dans une économie mondiale où l’attention est de plus en plus sollicitée.
Quelle est la position de l’Alliance des États du Sahel (AES) face à ces faiblesses ?
L’AES ne sort pas du néant. Les observateurs attentifs de l’Afrique de l’Ouest pouvaient voir que quelque chose se tramait. De nombreux États supposément démocratiques de la région étaient en proie à une corruption généralisée, à la montée des menaces extrémistes et aux désillusions des populations. Les responsables politiques sapaient les fondements démocratiques de ces États du fait de leur incompétence et de la corruption qu’ils pratiquaient. Les syndicats ont commencé à exprimer leur mécontentement. Puis les chefs religieux se sont mis à contester leur autorité. La corruption était devenue omniprésente et affectait même la volonté de l’État de financer la lutte contre le terrorisme.
L’afflux d’aide étrangère dédiée au maintien de la sécurité a aggravé la situation. À un moment donné, le Mali et le Niger ont accueilli des équipes d’assistance à leurs forces de sécurité provenant de plus de neuf pays, mais sans véritable effort de renforcement de leurs capacités locales. Outre le fait qu’elles n’étaient pas adaptées aux besoins des pays de l’AES, ces interventions n’étaient façonnées ni par les facteurs géopolitiques ni par la situation sur le terrain, mais plutôt par les intérêts des capitales occidentales. Par conséquent, elles négligeaient souvent les connaissances et les institutions locales et affaiblissaient encore davantage les États bénéficiaires. Les menaces à la sécurité dans des pays tels que le Mali et le Niger n’ont pas été envisagées dans le cadre d’une stratégie régionale commune, mais en fonction des intérêts de parties extérieures.
Le manque d’autorité a fait de la CEDEAO un club de présidents plutôt qu’une communauté de peuples
Les mesures prises par la CEDEAO révèlent une ironie cruelle. Alors que l’organisation ouest-africaine fête ses 50 ans, elle est confrontée à une profonde crise de légitimité interne. Même si ses membres fondateurs, à l’exception de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, étaient à l’époque des régimes militaires, leurs discours fondateurs reflétaient une vision et un engagement profond en faveur de l’intégration régionale. On peut se demander si les dirigeants de la région possèdent aujourd’hui l’autorité morale nécessaire pour tenir un tel discours. Le manque de direction nationale et régionale a fait de la CEDEAO un club de présidents plutôt qu’une communauté de peuples.
Les coups d’État témoignent de ce constat. Les dirigeants du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali et du Niger n’ont pas su répondre aux attentes de leurs électeurs, et pour autant la CEDEAO n’a pas jugé nécessaire de trouver des solutions à ces problèmes. Tous ces pays ont souffert de l’exploitation de leurs ressources naturelles par des sociétés étrangères.
La CEDEAO a rapidement menacé de sanctions et d’intervention militaire — en particulier au Niger — en dépit des spécificités et des complexités locales. Il est ironique de constater que la Force en attente de la CEDEAO que l’organisation menaçait d’utiliser était largement inopérante, sans base logistique opérationnelle, sauf sur le papier. Une telle situation révèle non seulement une erreur de calcul stratégique, mais aussi un manque de sensibilisation et de préparation. Les membres de l’AES ne pouvaient plus transiger avec la CEDEAO, d’où leur retrait. En fait, certains pays de l’AES, en particulier le Niger, semblent avoir pleinement saisi la complexité de la géopolitique de la région et le caractère transfrontalier des groupes ethniques qui la composent, ainsi que la complexité de toute intervention militaire extérieure.
En quoi le retrait de l’AES a-t-il affecté la CEDEAO ?
Jusqu’à présent, les impacts tangibles de ce retrait restent limités, sans être pour autant insignifiants. Tout d’abord, sur le plan économique, les pays de l’AES ont introduit des droits de douane de 0,5 % à 0,8 % sur les importations en provenance des États de la CEDEAO. Cela peut paraître anodin, mais ce n’est pas rien du point de vue symbolique. Deuxièmement, ces pays commencent à se forger une identité distincte. Par exemple, les comptoirs d’immigration dans les aéroports de l’AES font désormais la différence entre les citoyens de l’AES et ceux de la CEDEAO, bien que l’exemption de visa soit maintenue.
Cela dit, en tant que Ghanéen voyageant dans la région, je n’ai pas ressenti d’hostilité en raison de mon identité de ressortissant d’un pays de la CEDEAO. Cela nous dit quelque chose d’intéressant : nous devons dissocier la rhétorique politique des relations interpersonnelles. Les citoyens entretiennent toujours des liens par-delà les frontières, même si les dirigeants politiques se positionnent contre ces relations.
Trump a transformé l’environnement géopolitique en un environnement transactionnel sans normes
En outre, certains pays de la CEDEAO tels que le Togo travaillent de manière pragmatique avec les membres de l’AES en prolongeant les surestaries portuaires de 14 à 40 jours, en collaborant dans le domaine du commerce, en organisant des exercices militaires conjoints et en partageant du renseignement. Cette coopération devrait s’intensifier dans la région, même si aucun autre pays n’a rejoint officiellement le bloc de l’AES.
Quelles sont les options dont dispose la CEDEAO pour remédier à la situation ?
À l’heure actuelle, la CEDEAO et l’UA sont dans une impasse. Leurs choix antérieurs ont limité leur capacité à résoudre la crise. L’une de leurs options est la diplomatie officieuse, qui consiste à s’appuyer sur des chefs traditionnels et religieux influents, capables de comprendre les subtilités socioculturelles. Par exemple, une personnalité religieuse nigériane respectée au Ghana, le Yaa Naa au Ghana ou un chef traditionnel tel que le roi des Mossi au Burkina Faso pourraient ouvrir des voies de dialogue. Une approche combinant diplomatie officielle et implication des chefs traditionnels pourrait produire des résultats.
À mon avis, aucune discussion sur la réintégration ne portera de fruits dans les cinq prochaines années. Ce délai pourrait être mis à profit pour entamer une réflexion sérieuse sur la réintégration et sur les moyens d’y parvenir.
Pourquoi la communauté internationale semble-t-elle plus en colère contre les dirigeants des pays de l’AES, qui ont utilisé des armes, que contre d’autres dirigeants qui ont manipulé les constitutions nationales pour parvenir au même objectif ?
Quelles sont les principales leçons à tirer pour l’UA ?
Une question pressante est de savoir ce qui se passera si ces régimes militaires organisent des élections, comme au Gabon, et en sortent vainqueurs. Cela légitimera-t-il leur pouvoir ? Il s’agit d’un dilemme éthique face auquel le CPS doit faire preuve d’autorité. Nous devons également réformer la manière dont l’UA et les communautés économiques régionales communiquent le fruit de leur travail aux populations et veiller à ce que les citoyens comprennent comment ces institutions œuvrent à l’amélioration de leur vie quotidienne ou sont pertinentes pour eux.
L’UA justifie souvent les incohérences dans l’application de ses normes en citant les particularités des différents contextes nationaux. Cependant, la réalité est que les États membres ont adhéré volontairement aux principes de l’UA, y compris celui de la tolérance zéro à l’égard des changements anticonstitutionnels de gouvernement. Cet engagement ne devrait pas être négociable, quel que soit le pays. Même si l’avènement de Trump a transformé l’environnement géopolitique en un environnement transactionnel, où les normes sont souvent ignorées, cette rupture représente une opportunité. L’UA peut réaffirmer son statut d’acteur mondial attaché à des principes si elle s’en tient résolument à ses propres règles. Pour y parvenir, il faudra toutefois que les institutions africaines fassent preuve d’audace, de cohérence et qu’elles soient visionnaires.