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Obtenir des réparations pour rendre justice aux Africains

L’Union africaine doit s’assurer que tout sera fait pour que le thème de l’année 2025 tienne ses promesses.

Lors du 38e sommet de l’Union africaine (UA), les chefs d’État et de gouvernement africains ont retenu le thème « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine à travers les réparations ». Cette initiative s’inscrit dans le prolongement des engagements du 36e sommet de l’UA, qui appelait à un front uni pour promouvoir la justice et les réparations pour les Africains. La Commission de l’UA et les États membres, entre autres, avaient alors été chargés de mettre en place un comité d’experts africains en matière de réparations afin de définir une position africaine commune.

Malgré des avancées, une position commune n’a pas encore été adoptée. Aujourd’hui, l’UA et ses États membres peuvent être le fer de lance de l’action en faveur des réparations et unir leurs efforts pour que justice soit rendue pour les crimes et les atrocités commis à l’encontre des Africains et des personnes d’ascendance africaine. Toutefois, compte tenu de l’évolution du contexte international et des engagements de l’UA sur de multiples urgences, est-il bien opportun d’accorder la priorité à cette question ?

Pourquoi maintenant ?

Cet élan pour les réparations survient à un moment où il y a une forte insistance pour une réforme des institutions de gouvernance mondiale et des systèmes multilatéraux. Ceux-ci demeurent les principaux vecteurs qui permettent à l’Occident de  maintenir sa position dominante, qui a longtemps marginalisé l’Afrique dans les mécanismes de gouvernance mondiale. Le moment choisi tire parti d’une dynamique mondiale pour des réformes en ce sens.

Le moment est venu de tirer parti de la dynamique mondiale en faveur de réformes

Si obtenir des réparations n’est pas sans précédent dans l’histoire du monde, ce nouvel élan permet à l’UA de présenter la question comme faisant partie intégrante du combat pour la justice, le rétablissement de la dignité et la réparation des injustices historiques. Il s’agit donc là d’un engagement plus ambitieux que le simple fait de soutenir que l’esclavage et le colonialisme appartiennent à un passé trop lointain pour justifier des réparations. Cette affirmation constitue un déni des réalités et des expériences négatives vécues par les Africains sur le continent et dans la diaspora.

Les efforts passés

Remédier aux torts causés par le colonialisme, la traite des esclaves et les discriminations subies par les Africains est une entreprise complexe qui nécessite une approche stratégique au-delà de la simple réparation des injustices historiques. Elle doit inclure des engagements concernant les inégalités qui se perpétuent dans l’architecture de la gouvernance mondiale. La préoccupation de l’Afrique à cet égard est loin d’être nouvelle : elle remonte à la création par l’Organisation de l’unité africaine, au début des années 1990, du Groupe d’éminentes personnalités chargées d’obtenir des réparations pour l’esclavage et d’autres préjudices. Cette démarche s’est accompagnée de la proclamation d’Abuja de 1993, qui appelait au « paiement monétaire intégral des remboursements par le biais de transferts de capitaux et de l’annulation de la dette ».

La réparation des torts causés par le colonialisme, l’esclavage et la discrimination est complexe

La déclaration de Durban de 2021 a officiellement reconnu la traite transatlantique des esclaves comme un crime contre l’humanité. Le thème de l’UA de 2021, « Arts, culture et patrimoine : leviers pour construire l’Afrique que nous voulons », a relancé les discussions sur la restitution du patrimoine culturel et des objets d’art africains pillés. La déclaration d’Accra de 2023 a ensuite élargi les discussions continentales sur les réparations à un plus large éventail de parties prenantes, y compris les Africains de la diaspora, et a ouvert la voie à l’adoption de la nouvelle thématique.

Les appels antérieurs en faveur des réparations, qui se limitaient à l’annulation de la dette et à la restitution d’objets, ne sont pas parvenus à porter le débat à un niveau politique suffisamment élevé pour rassembler les différents groupes d’intérêt africains. C’est la raison pour laquelle la dynamique va maintenant au-delà de la simple question des compensations financières et vise à une reconnaissance plus large de l’injustice, à la présentation d’excuses, à la restitution et à des garanties de non-répétition.

L’ampleur de la tâche à accomplir

La tâche de l’UA, colossale en soi, consiste principalement à déterminer si elle dispose de l’influence politique et économique nécessaire pour inciter les différents acteurs, au-delà des clivages, à concrétiser le thème de l’année. Il lui faudra également veiller à ce que les discussions sur les réparations ne se perdent pas dans la myriade de problèmes socio-économiques, sécuritaires et de gouvernance auxquels le continent est confronté. L’UA et ses États membres doivent s’approprier la conceptualisation du débat et du processus de réparation. Ils doivent veiller à ce que les citoyens, la société civile, le secteur privé, les décideurs politiques et la diaspora y participent activement. Cela permettra de rendre justice aux crimes passés et de transformer les systèmes et institutions mondiaux qui font perdurer l’exploitation et la marginalisation des populations africaines.

L’UA doit s’approprier la conceptualisation du débat et du processus de réparation

La Direction citoyens et diaspora de l’UA a entrepris un large éventail de consultations avec les parties prenantes. Toutefois, les lenteurs bureaucratiques compliquent grandement la gestion des parties prenantes en vue de garantir la réalisation d’étapes importantes, outre les convocations de réunions et les débats en chambre d’écho.

L’importance de la thématique

Le succès de l’UA dépendra de la mise en place de partenariats avec des acteurs et des institutions aux niveaux mondial, continental, régional et national. Il nécessitera également la réalisation des recommandations de la déclaration d’Accra, en particulier la création d’un fonds mondial de réparation. Un comité d’experts de l’UA doit être créé pour élaborer une position africaine commune et la collaboration avec la communauté des Caraïbes doit être renforcée pour instaurer un mécanisme commun sur la justice réparatrice.

La désignation du Ghana comme champion continental en matière de réparations représente une étape importante du fait de sa position dominante. Toutefois, l’ampleur de la tâche exigera la nomination d’un haut représentant dédié à cette question et la désignation d’experts pour mener à bien le programme de travail.

En outre, les détails des paiements et des compensations devront faire l’objet de négociations entre les Africains, les personnes d’ascendance africaine et celles associées aux injustices historiques. Une position africaine commune définira ce que signifie réellement la réparation, quels sont ses objectifs, à qui adresser les demandes et comment concilier les exigences des demandeurs. L’UA a la lourde mission de surmonter les différences et les divergences et de parvenir à une position commune qui soit favorable à toutes les parties et acceptable pour tous. Plus important encore, elle devra obtenir et maintenir la coopération continentale et internationale ainsi que la volonté politique nécessaire pour rendre justice à son thème.

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