Mettre fin au pillage des richesses naturelles de l’Afrique
Le lien entre l’exploitation illégale des ressources naturelles africaines et l’insécurité est renforcé par les faiblesses de la gouvernance.
La 1246e réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) a reconnu que l’exploitation illégale des ressources naturelles alimente les conflits, le terrorisme et l’extrémisme violent sur le continent et a exploré les moyens de renforcer les mécanismes existants. Elle s’est appuyée, entre autres, sur les préoccupations exprimées lors des conclusions de la 16e session extraordinaire de la Conférence de l’Union africaine (UA) sur le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique. La Conférence a réclamé des efforts concertés à l’échelle du continent pour améliorer la gestion des ressources naturelles et empêcher leur utilisation comme source de financement par des groupes terroristes.
Cependant, aucun changement ne s’est fait sentir depuis lors. Cette situation soulève souvent des interrogations quant à la volonté de l’UA de s’attaquer à ce problème et à l’adhésion réelle aux mécanismes existants.
L’ampleur de l’exploitation illégale
Le volume des ressources naturelles exploitées illégalement en Afrique est difficile à quantifier, non seulement en raison de la nature illicite de cette activité, mais aussi parce que les données sont parcellaires, ne portant que sur des minerais ou des ressources spécifiques, à un lieu et à un moment précis. Par conséquent, il est difficile de se faire une idée exacte de la quantité des ressources exploitées, qu’il s’agisse de minéraux et de pierres précieuses, de la faune et de la flore, de pêcheries, de ressources énergétiques ou forestières. Comprendre dans quelle mesure ces activités financent les groupes armés et terroristes est tout aussi complexe.
Toutefois, certains exemples donnent un aperçu de l’ampleur du problème. Le chef de la mission des Nations unies en République démocratique du Congo a informé le Conseil de sécurité, en septembre dernier, que le M23 bénéficiait en moyenne de 300 000 dollars US de revenus par mois grâce au coltan de la région de Rubaya. Cela représente environ 3,6 millions de dollars US, ce qui est suffisant pour semer le chaos ou équiper des éléments perturbateurs dans n’importe quel pays. Des rapports indiquent également qu’en 2022, environ 435 tonnes d’or extrait à petite échelle, d’une valeur de plus de 30 milliards de dollars, ont été exportées d’Afrique en contrebande.
Il est difficile d’évaluer le volume des ressources exploitées de manière illicite
S’il est peu probable que les groupes armés en aient été les seuls bénéficiaires, ce chiffre met en évidence à la fois les pertes économiques pour le continent et le poids économique des exploitations illicites. Une partie des revenus de ce secteur alimente l’insécurité en finançant les activités des groupes armés et des extrémistes violents. Le lien entre les ressources naturelles et l’insécurité en Afrique explique donc la montée en puissance de certains groupes en mesure de rivaliser avec les États. Il indique également pourquoi les communautés des régions riches en ressources naturelles sont souvent en conflit avec les gouvernements et pourquoi des acteurs extérieurs sont impliqués dans les conflits en Afrique.
Le cœur du problème
La situation est le résultat de ce que l’on pourrait appeler un « problème de faiblesse de gouvernance à plusieurs échelons », national, régional et continental. Une partie des revenus du M23 provient de la taxation de l’économie des ressources naturelles des zones qu’il contrôle. Le groupe, ainsi que d’autres dans la Corne de l’Afrique, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, profitent également de l’approvisionnement en ressources acquises illégalement grâce à la contrebande. Ils sont aidés en cela par la porosité des frontières régionales, la facilité d’accès aux pays voisins et l’interface avec des réseaux criminels complexes. Ces réseaux peuvent convertir les minerais en devises ou fournir les biens et services nécessaires aux groupes armés.
Le M23 bénéficie d’environ 3,6 millions de dollars US de revenus illicites par an
Cela met en évidence les différents aspects du défi auquel l’Afrique est confrontée : l’absence de contrôles nationaux fiables, des itinéraires de transbordement régionaux permissifs, un laisser-aller face à des économies criminelles transnationales et l’inadéquation de la réglementation dans les pays de destination. La situation est aggravée par l’absence d’adhésion aux mécanismes de lutte contre l’acquisition, la fourniture, le commerce et l’utilisation de ressources naturelles exploitées illégalement.
Quelles solutions ?
Il est nécessaire de déployer des efforts coordonnés à plusieurs niveaux pour relever les défis locaux, parvenir à un consensus régional et résoudre le problème des dimensions internationales de l’économie des ressources illicites. En s’attaquant à ses composantes locales, les États doivent veiller à ce que la gestion et la surveillance des ressources soient fondées sur des pratiques de bonne gouvernance. Des relations solides et constructives doivent être établies avec les communautés d’accueil afin de prévenir les conflits liés aux ressources. Les règles fondamentales pour une exploitation efficace des ressources naturelles doivent être respectées tout en sauvegardant les intérêts des citoyens.
En cas de conflit, les gouvernements doivent renforcer la surveillance des secteurs riches en minerais afin d’empêcher leur capture, leur exploitation et leur utilisation à des fins violentes. Alors que la mobilisation politique du CPS s’est jusqu’ici concentrée sur l’exploitation illicite dans les zones de conflit, le Conseil doit examiner d’urgence des situations telles que celle du Ghana où ce fléau a des conséquences sur les dynamiques politiques nationales. En l’absence d’interventions opportunes, ces répercussions ne manqueront pas de se développer et d’entraîner des crises plus importantes que le CPS devra inscrire à son ordre du jour.
Peu d’informations sont disponibles sur l’écoulement des ressources sur le dark web
La dimension internationale doit également être prise en compte. Les mécanismes existants comprennent le processus de Kimberley et le Guide de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais en provenance de zones de conflit ou à haut risque. On peut également citer la réforme Dodd-Frank Wall Street et la loi sur la protection des consommateurs, l’Initiative pour la transparence des industries extractives et les normes Fairtrade et Fairmined pour l’or provenant de l’exploitation minière artisanale à petite échelle. La norme « Or sans conflit » du Conseil mondial de l’or, l’initiative de la chaîne d’approvisionnement en étain de l’Institut de recherche en technologie industrielle, le système de chaînes commerciales certifiées de l’Institut fédéral allemand des géosciences et des ressources naturelles et le programme « Fondeur sans conflit » sont d’autres exemples. Toutes ces initiatives visent essentiellement à créer une économie mondiale des ressources durable, équitable et exempte de conflits. Il est essentiel que ces mécanismes bénéficient d’une forte adhésion.
Toutefois, cette adhésion doit s’accompagner d’un consensus régional pour lutter contre l’utilisation d’États voisins pour transférer de ressources naturelles mal acquises. Les États membres devraient être invités à veiller à ce que les terroristes, ou d’autres entités similaires, ne se servent pas de leurs territoires pour leurs activités en rapport avec l’économie des ressources naturelles illicites. Le Conseil devrait envisager la création d’un dispositif de contrôle de l’application de cette directive. En outre, il est essentiel de maintenir le dialogue avec les pays de destination afin de réduire la demande de ces ressources et de mettre un terme aux aspects qui profitent aux groupes armés.
Plus important encore, on ne dispose actuellement que de peu d’informations sur la nature évolutive de la question, sur l’écoulement des ressources par le biais de l’internet clandestin (dark web) et sur les liens entre les groupes armés et les organisations criminelles actives dans le domaine des ressources naturelles. Les délibérations continentales nécessitent donc des informations régulières. Les débats annuels sur les ressources naturelles sont primordiaux et devraient être accompagnés de la publication d’un rapport sur l’état de l’exploitation et les conflits en Afrique.