Les conseils de paix et de sécurité des CER devraient-ils être calqués sur le CPS ?
Le Conseil de paix et de sécurité et les communautés économiques régionales devraient s’harmoniser pour mieux collaborer.
Le 24 avril 2024, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) et le Conseil de médiation et de sécurité (MSC) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont tenu une réunion consultative au siège de la CEDEAO, à Abuja. Le CPS adopte des décisions sur la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest au nom de l’Autorité des chefs d’État de la CEDEAO. Cette première rencontre entre le CPS et son homologue régional leur a permis de discuter et de proposer des stratégies pour relever les principaux défis en Afrique de l’Ouest.
La collaboration entre le CPS et les mécanismes régionaux (MR) fait partie intégrante de l’architecture africaine de paix et de sécurité. L’article 16 du protocole sur le CPS en précise les modalités. Bien que le document reconnaisse la primauté de l’UA et en particulier du CPS en tant que principal décideur, les interprétations divergentes entourant les principes de subsidiarité et de complémentarité limitent considérablement les consultations entre le CPS et ses homologues des communautés économiques régionales (CER).
Au-delà de ces difficultés, les différences entre les structures institutionnelles, les mandats et les relations de pouvoir ont empêché la mise en place de véritables échanges entre l’UA et les CER. Ces disparités, non seulement entre le CPS et les CER mais aussi entre les CER et mécanismes régionaux (MR), font qu’une seule et unique consultation a eu lieu, tout récemment, après vingt ans d’existence du Conseil. Il est important de chercher à comprendre pourquoi il a fallu deux décennies au CPS pour engager un dialogue avec l’un des principaux organes régionaux d’élaboration des politiques de paix et de sécurité. Y a-t-il des limites structurelles et institutionnelles qui empêchent le CPS de travailler avec les garants régionaux de la paix et de la sécurité ? Et lorsque ces limites existent, les structures régionales devraient-elles chercher à imiter le CPS ?
Retracer les étapes du dialogue
Même si le protocole sur le CPS définit explicitement le rôle essentiel des CER/MR dans la paix et la sécurité à l’échelle du continent, celui-ci n’a pas dépassé le stade de la rhétorique. Non seulement les relations entre l’UA et les CER restent floues, mais il n’y a pas de répartition précise des tâches entre le CPS et les CER. Ce qui a posé des problèmes majeurs sur le plan de la subsidiarité et de la complémentarité et a eu des répercussions négatives sur les relations entre certaines CER et l’UA.
Les disparités entre le CPS et ses homologues dans les CER limitent leurs possibilités d’échanges
Bien que l’UA appelle à un renforcement des consultations et des échanges avec les CER dans ses déclarations et ses communiqués, la mise en œuvre pratique de cet objectif est négligeable. À ce jour, trois retraites importantes (Dakar en 2007, Swakopmund en mai 2015 et Abuja en septembre 2015) se sont penchées sur les relations entre l’UA et les CER et ont cherché à les renforcer.
L’UA dispose d’autres moyens et modalités pour impliquer les CER/MR. Il s’agit notamment de la réunion de coordination de milieu d’année entre l’UA et les CER/MR et du recours à des officiers de liaison. En outre, le CPS peut adresser des invitations aux CER/MR. L’UA pourrait aussi participer aux réunions du CPS ou le président de la Commission de l’UA prendre part aux réunions des CER/MR. Toutefois, ce type d’interactions ne concerne pas les organes d’élaboration des politiques.
En 2019, le CPS s’est réuni avec tous les organes politiques des CER/MR pour réfléchir à une meilleure harmonisation et division des tâches dans le cadre des processus de prise de décision conjoints. Toutefois, la première réunion bilatérale entre le CPS et une communauté régionale a été celle du CPS avec le MSC en avril 2024. Elle a mis en évidence différents obstacles à l’amélioration des relations entre le CPS et les CER, en particulier en ce qui a trait à la convergence des processus et des structures de prise de décision.
Les obstacles à une collaboration fructueuse
La réunion inaugurale entre le CPS et le MSC a souligné plusieurs difficultés structurelles concernant leur forme et leur fonction. Tout d’abord, le CPS et le MSC sont composés de représentants de niveaux différents. Alors que le CPS réunit souvent des ambassadeurs, le MSC rassemble plutôt des ministres de la Défense et des Affaires étrangères — bien qu’il puisse également réunir des ambassadeurs. Lors de la réunion d’avril, le MSC était représenté au niveau des ambassadeurs afin de pouvoir dialoguer sur un pied d’égalité avec le CPS. Ce décalage pourrait s’avérer problématique compte tenu du manque de connaissances de certains dossiers de la part des ambassadeurs à Abuja, qui n’assistent pas fréquemment aux réunions du MSC. De plus, il peut y avoir des obstacles concernant la circulation de l’information entre les ambassadeurs et leurs capitales. Par conséquent, un arbitrage pour une représentation au niveau des ambassadeurs pourrait avoir des conséquences sur les discussions et les résultats des réunions.
La réunion inaugurale entre le CPS et le MSC a mis en évidence plusieurs défis structurels
Deuxièmement, le CPS et le MSC ont des pouvoirs et des capacités décisionnelles distincts. Le CPS est le principal organe décisionnel du continent en matière de paix et de sécurité. Cependant, l’article 6 du Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité (1999) déclare que l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement est la plus haute instance décisionnelle de la CEDEAO. Bien que l’Autorité mandate le MSC pour prendre des décisions en son nom, il est difficile de savoir dans quelle mesure, l’Autorité étant le dernier arbitre sur les questions de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest.
Ceci pourrait influencer de manière significative les résultats des réunions entre le CPS et le MSC. Que ce dernier soit représenté au niveau des ambassadeurs ou des ministres, les décisions concrètes concernant l’ordre du jour devraient en effet être soumises à nouveau pour approbation à l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement. Cela gênerait à la fois le MSC et le CPS, qui, bien qu’étant des organes politiques, dépendent parfois d’Abuja et d’Addis Abeba pour la prise de décision.
Un troisième facteur concerne le renouvellement des membres des conseils. Contrairement au CPS, le MSC a recours à des membres permanents. Sur les neuf États qui y siègent, le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Liberia sont des membres permanents. Si le MSC bénéficie des avantages de cette continuité et de la présence permanente des puissances de la région qui pilotent son programme à long terme dans un contexte de crises prolongées, le CPS, qui compte 15 sièges, change de composition tous les deux ans. Ce roulement change la dynamique des deux conseils et modifie les relations entre les États membres. En outre, étant donné que le CPS comprend des représentants des cinq régions africaines, une analyse approfondie de la situation et des acteurs de la région de l’Afrique de l’Ouest peut constituer un défi supplémentaire pour certains membres du CPS.
La forme et la fonction sont essentielles dans les échanges entre le CPS et les CER
Les différences de structures, de mandats et de composition pourraient avoir des implications significatives sur la fréquence et les résultats de la collaboration entre le CPS et les CER. S’il n’est pas nécessaire que les structures des CER/MR reflètent celles du CPS, il est important de reconnaître et de réduire les difficultés résultant de leurs différences. Les CER/MR qui ne disposent pas d’organes décisionnels tels que le CPS devront s’efforcer de trouver des modalités pour collaborer de manière efficace.
La voie à suivre
Le CPS et la Commission de l’UA devraient mener une étude pour identifier et cartographier les structures des CER/MR afin de mieux comprendre les différences de composition, de fonctions et de pouvoirs de décision entre le CPS et ses équivalents régionaux. Par la suite, un dialogue plus approfondi pourrait conduire à l’harmonisation et à l’alignement des structures et, en fin de compte, des décisions et des résultats.
Alors que le CPS accroît ses interactions avec les acteurs régionaux, et cherche à initier un dialogue avec l’organe politique de la Communauté de développement de l’Afrique australe, les questions thématiques et de fond ainsi que les défis structurels doivent être examinés avant la réunion du mois d’août. Après tout, la forme et la fonction peuvent jouer un rôle essentiel dans le succès ou l’échec des échanges entre le CPS et les CER, ainsi que dans l’alignement des processus de prise de décision et des réponses apportées.