l'Union africaine

Les CER ont-elles besoin d’une autre plateforme de coordination ?

La plateforme du Centre de coordination interrégional pourrait engendrer des doubles emplois.

Le 20 juillet 2024, les huit communautés économiques régionales (CER) africaines ont lancé une plateforme numérique commune pour le partage d’informations. Le site a été dévoilé en marge de la réunion de coordination semestrielle de l’Union africaine (UA) et des CER à Accra, au Ghana. Cet outil fait partie des initiatives remarquables lancées depuis la création du Centre de coordination interrégional il y a cinq ans.

La plateforme doit renforcer la solidarité et la coopération entre les CER dans les domaines du commerce, du développement économique et social, de la paix et de la sécurité. Elle répond à la vision que l’Organisation de l’unité africaine, qui a précédé l’UA, avait de la communauté économique africaine, inscrite dans le traité d’Abuja de 1991. Toutefois, il convient d’évaluer sa finalité par rapport à la plateforme interrégionale d’échange de connaissances, I-RECKE, et aux réunions semestrielles entre l’UA et les CER.

L’I-RECKE présente un avantage comparatif et une valeur ajoutée potentiels. Il s’agit d’un instrument de coordination entre l’UA et les CER et mécanismes régionaux (CER/MR) susceptible de traiter des retombées des conflits interrégionaux et d’atténuer la concurrence entre les CER en tant que premières intervenantes en cas de crise. Cependant, il pourrait également entraîner une duplication des efforts et des ressources, ce qui soulève des inquiétudes quant à ses fonctions et à son lien avec les plateformes de l’UA.

Les mécanismes en place

Si ce nouveau site web stimule les interactions et permet aux organes régionaux de mieux relever les défis grâce aux échanges d’expériences entre pairs, il pourrait également favoriser les engagements en silos entre les CER, ce que cherchent à éviter les plateformes de l’UA. En outre, si la coopération entre les CER est nécessaire pour que la communauté économique africaine devienne réalité, l’UA ne doit pas en être exclue, étant donné le mandat d’intégration continentale qui lui a été confié par le traité d’Abuja. Par conséquent, la valeur ajoutée de la plateforme CER-CER doit être comparée à celle des mécanismes déjà en place.

La plateforme vise à stimuler la solidarité et la coopération entre les CER

L’UA a cherché à faciliter sa collaboration avec les CER/MR principalement par le biais des réunions annuelles qui se déroulent généralement en juillet et, plus récemment, à travers l’I-RECKE. La première réunion annuelle a eu lieu le 8 juillet 2019, à Niamey, au Niger. Depuis, cinq réunions ont été organisées, dont la dernière à Accra. Leurs objectifs sont de renforcer les efforts pour réaliser l’intégration continentale, le développement, la paix et la sécurité grâce au renforcement de la coopération entre l’UA et les CER/MR et de la collaboration entre les CER/MR.

L’accent mis sur l’intégration continentale est conforme à l’article 4 du traité d’Abuja, qui exige une action coordonnée entre l’UA et les CER. Par conséquent, les questions importantes liées au commerce interrégional, à la paix et à la sécurité sont examinées lors de ces réunions annuelles, ce qui laisse une place importante aux échanges et au partage d’expériences.

Éviter les doubles emplois et les cloisonnements

La réunion annuelle de juillet 2024 a réaffirmé l’importance des quatre piliers du Centre interrégional de coordination, à savoir renforcer l’intégration, éviter les doubles emplois, résoudre les difficultés de coordination et augmenter la capacité inter-CER de mise en œuvre de l’Agenda 2063. La seule différence de la plateforme numérique est la participation exclusive des CER.

La valeur ajoutée de la nouvelle plateforme doit être comparée à celle des mécanismes existants

Cette nouvelle plateforme de coordination pourrait favoriser l’intégration si les CER l'utilisaient exclusivement pour préparer leur participation aux réunions continentales et pour élaborer des positions communes. Toute autre utilisation irait à l’encontre des objectifs du traité d’Abuja, en particulier de l’article 4.1.c, qui appelle à une « promotion de la coopération dans tous les domaines de l’activité humaine » pérenne et collaborative, assumée conjointement par les organes continentaux et régionaux.

En outre, les CER/MR, avec leur centre interrégional et leur site web, pourraient perpétuer les cloisonnements, alors que les efforts récents de l’UA et des CER ont justement cherché à les éliminer. Cela pourrait exacerber les problèmes de subsidiarité, de complémentarité et de division des tâches, étant donné que le centre permettra aux CER/MR de prendre des décisions sur des questions cruciales sans l’apport de l’UA.

Les décideurs politiques de l’UA consultés sur ce sujet ont souligné l’importance d’un mécanisme de consultation et de préparation des réunions. En revanche, les représentants des CER ont déploré la réticence des décideurs politiques de l’UA à examiner en profondeur leurs préoccupations et leurs défis. Elles font valoir que les réunions annuelles sont courtes et leur périodicité trop rigide, alors que le centre offre plus de flexibilité et de cohérence.

Les CER doivent saisir les opportunités offertes par l’I-RECKE et les réunions annuelles avec l’UA

Toutefois, étant donné que des réunions entre CER se déroulent en marge de la réunion annuelle et suivent un format similaire, l’argument de la flexibilité et de la fréquence en défaveur des mécanismes continentaux s’en trouve amoindri. Les décideurs politiques de l’UA et des CER devraient plutôt se concentrer sur l’amélioration des mécanismes existants, en abordant les problèmes que la nouvelle plateforme cherche à résoudre. Si les réunions annuelles et l’I-RECKE favorisent la coordination et la collaboration entre l’UA et les CER et entre les CER/MR, alors une plateforme dédiée aux échanges entre les CER semble inutile.

Harmoniser les initiatives

Pour éviter les cloisonnements et les doubles emplois qui nuisent aux intérêts du continent, les CER doivent améliorer les plateformes existantes, par exemple en saisissant les occasions offertes par l’I-RECKE et les réunions annuelles.

Les CER devraient s’engager à mettre en œuvre efficacement le Protocole révisé de 2021 sur la coopération UA-CER, lequel vise à combler les carences et à renforcer la collaboration. Des consultations avec l’UA devraient être organisées en amont des réunions continentales et les CER devraient promouvoir davantage les mécanismes existants plutôt que de multiplier les structures, ce qui risquerait d’épuiser les ressources et de perpétuer les blocages dans la coordination.

Related content