Le Conseil a-t-il besoin d’un mécanisme de lutte contre les mines ?
Un mécanisme bien conçu aiderait l’Union africaine à faire disparaître les engins meurtriers qui menacent la sécurité humaine.
Lors de sa 146e réunion, le 3 avril 2023, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a demandé la mise en place d’un mécanisme continental pour coordonner et soutenir les efforts des États membres pour lutter contre les mines. Cette demande a été formulée alors que ces derniers poursuivent leur combat contre les mines terrestres, les restes explosifs de guerre (REG) et, plus récemment, les engins explosifs improvisés (EEI). Selon les données de l’Observatoire des mines et des armes à sous-munitions, en 2021, 17 États africains étaient affectés par des mines terrestres antipersonnel et antivéhicules et par des REG, auxquels s’ajoutent dans certaines régions des EEI.
Ces objets ont des conséquences désastreuses sur les moyens de subsistance des habitants de ces États. De vastes terres arables sont actuellement touchées, ce qui place des milliers de personnes à la merci de l’insécurité alimentaire. Les activités agricoles étant entravées, les possibilités de développer des activités économiques viables diminuent. L’accès aux écoles est restreint et des populations entières sont obligées de s’installer dans des zones où elles doivent redémarrer à partir de rien, avec des revenus considérablement diminués.
Les États membres ont réagi en adhérant à des cadres internationaux tels que la convention d’Ottawa de 1997 sur l’interdiction des mines antipersonnel, le protocole de 2003 sur les REG, la convention de 2008 sur les armes à sous-munitions et le plan d’action d’Oslo de 2019. Ils ont également entrepris des enquêtes non techniques et des opérations de dépollution. Ils ont apporté leur soutien aux conférences d’examen des États parties qui ont abouti à des déclarations comme la déclaration de 2014 des États parties à la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (déclaration de Maputo). Au niveau continental, ont été adoptées la position commune africaine sur les mines terrestres en 2004 et la politique de reconstruction et de développement post-conflit (RDPC) de l’Union africaine (UA) et des plateformes telles que le Partenariat africain de lutte contre les mines ont été mises en place.
Malgré ces mesures et le chevauchement fréquent des terres affectées sur plusieurs pays, avec de graves conséquences pour la sécurité humaine, le CPS n’a pas encore joué son rôle de coordination avec efficacité. Ce rôle est envisagé dans ses cadres directeurs, notamment le protocole sur le CPS et la politique RDPC, ainsi que par une pratique qui a toujours encouragé la gestion des défis en matière de paix et de sécurité par le biais de plateformes continentales spécialisées.
17 États africains sont affectés par des mines antipersonnel ou antivéhicules et des REG
En l’absence d’une coordination structurée et pilotée par l’UA, les États membres touchés ont pris des mesures au niveau national en collaboration avec différents partenaires. Cette approche n’a pas permis à l’UA d’assurer un suivi efficace de la mise en œuvre des conventions et des normes internationales. Dans certains cas, elle a privé les États touchés du soutien de l’UA et d’échanges d’expériences cruciaux avec leurs pairs. Enfin, elle a laissé les États concernés aux prises avec des moyens opérationnels et financiers limités, bien souvent avec le seul soutien des opérateurs de déminage, ce qui a pu retarder les opérations de dépollution.
La lutte contre les mines en Afrique
En 2022, 4 710 personnes ont été victimes de mines terrestres dans 49 pays, 85 % d’entre elles étant des civils, principalement des enfants (1 171). Bien que la répartition régionale de ce chiffre ne soit pas disponible, l’Observatoire indique que 19 pays africains ont enregistré entre une et 100 victimes. Les pays les plus touchés (le Mali, le Nigeria et l’Angola) ont eu à déplorer entre 101 et 1 000 victimes. En 2022, il y a eu 431 victimes au Nigeria, 132 au Mali et 107 en Angola. En outre, dans la plupart de ces pays, les engins explosifs improvisés ont causé des dommages importants, même si les chiffres exacts sont difficiles à établir en raison de la sous-déclaration des incidents liés aux explosifs, ceux-ci se produisant généralement dans des zones reculées.
En septembre 2024, 93 % (51 sur 55) des États membres de l’UA avaient signé ou ratifié la convention d’Ottawa. Ces pays se sont ensuite engagés à atteindre les objectifs de la convention et de ses plans d’action quinquennaux. Le plus récent est le plan d’action d’Oslo 2019 qui oblige les États parties à la convention de concevoir des réponses nationales qui tiennent compte des divers besoins et expériences des personnes touchées.
Le principal objectif du plan est de procéder au déminage des terres affectées d’ici 2025. Son entrée en vigueur a permis aux États membres de l’UA de coupler leurs obligations internationales aux obligations continentales. Si leurs obligations internationales découlent de la convention d’Ottawa, leurs devoirs continentaux concernant le déminage émanent de l’article 25 (iv) de la Politique de l’UA en matière de RDPC, qui appelle à « soutenir les programmes de lutte contre les mines ».
Le mécanisme de lutte contre les mines doit-il relever d’un sous-comité du CPS ?
Dans cette optique, les États parties, y compris les 51 États membres de l’UA signataires, ont été invités à créer des centres de déminage conformément à l’article 9 de la convention d’Ottawa afin d’appliquer les normes mondiales et continentales. En l’absence d’une base de données continentale de ces centres, il est difficile de confirmer si cette exigence a été respectée. Toutefois, le Nigeria a récemment mis en place son centre national de lutte contre les mines avec la participation de 13 ministères, dont ceux de la Défense et de l’Intérieur. Le Sénégal a ouvert le Centre national d’actions antimines au début des années 2000, après avoir ratifié la convention d’Ottawa. L’Éthiopie, le Tchad et le Burkina Faso ont également créé des structures nationales afin d’intégrer les normes internationales et de coordonner et superviser l’action antimines au niveau national.
Sur le plan continental, l’UA a soutenu ses États membres. Elle a mis en place — bien que relativement rarement — des plateformes de consultation qui ont, dans une certaine mesure, facilité les interactions entre les États et les entités internationales spécialisées dans l’action contre les mines. Elle a élaboré un plan triennal (2014-2016) pour mettre en œuvre la déclaration de Maputo, en améliorant la coordination, en renforçant le soutien aux États membres et en facilitant la coopération intra-africaine (dite « Sud-Sud »). Ce plan vise à aider les États et les parties à la convention d’Ottawa à respecter leurs obligations internationales. L’UA est sur le point de finaliser une stratégie de lutte contre les engins explosifs improvisés. Par l’intermédiaire du CPS, elle a également accordé une attention particulière à la lutte contre les mines en Afrique, en lui consacrant des discussions répétées.
La coordination et la supervision
La convergence des efforts nationaux et continentaux a permis de réaliser des progrès significatifs dans l’édification de structures et de cadres, dans les opérations de déminage et dans la réhabilitation des terres. Selon le rapport annuel 2023 de l’Observatoire, en 2021 et 2022, plus de 31 000 000 m² de terres ont été déminés et 65 308 mines antipersonnel ont été détruites à travers le continent.
Malgré ces progrès, le rôle de chef de file de l’UA demeure primordial pour assurer un suivi des réalisations des États membres, répertorier les défis, renforcer les partages d’expériences et encourager la coopération Sud-Sud. Le CPS considère la création d’un mécanisme continental comme une étape essentielle dans la résolution des problèmes. Selon des sources de l’UA, une telle plateforme permettrait de formaliser davantage les discussions sur la lutte contre les mines en Afrique et constituerait une structure de coordination efficace entre les États. Elle faciliterait également les discussions avec les partenaires continentaux et favoriserait les partages d’expériences. Ces sources précisent que cette initiative améliorera le contrôle de la lutte contre les mines dans les États membres et facilitera le suivi des avancées de manière cohérente, permettant de procéder à des réajustements plus efficaces et de tirer des enseignements des expériences passées.
Sans coordination de l’UA, les États membres concernés ont pris la tête des actions nationales
Toutefois, sa forme et son rôle précis dans l’architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) et vis-à-vis du CPS doivent encore être clarifiés. Des discussions avec des experts de l’UA ont soulevé la question de savoir si la plateforme devrait être autonome en vertu de l’article 5 (2) de l’acte constitutif de l’UA ou s’il s’agirait uniquement d’un sous-comité du CPS chargé de coordonner l’action antimines à l’échelle du continent. Certains soutiennent qu’un mécanisme autonome qui collaborerait étroitement avec le CPS et d’autres composantes de l’APSA serait à même d’accorder à la lutte contre les mines toute l’attention qu’elle mérite. D’autres préconisent une structure qui rende compte au CPS, le principal organe responsable de la paix et de la sécurité en Afrique. Si les débats restent ouverts, l’utilité d’une telle initiative est indéniable.
Mettre en place un mécanisme
L’UA devrait prendre en compte trois éléments essentiels lors de la conception du mécanisme. Le premier est le nombre d’États concernés. Comme mentionné ci-dessus et indiqué sur la carte ci-dessous, seuls 17 États membres de l’UA sont officiellement touchés par les mines terrestres, les REG et les EEI, ce qui représente 30 % des 55 États membres de l’UA.
Figure 1 : Pays touchés par les mines antipersonnel en 2021
Source : The Landmine and Cluster Munition Monitor 2022, disponible à
|
Même si la plupart des États africains ont adhéré à la convention d’Ottawa et ont un certain nombre d’obligations, notamment en matière de destruction des stocks et de cessation des achats, ce sont les niveaux d’urgence en interne qui déterminent l’attention qu’un État accorde à un problème. Lors de l’élaboration du mécanisme, l’UA devrait former un comité de pilotage composé des États les plus touchés par ce fléau et soutenu par un conseil consultatif composé de pays ayant achevé leurs opérations de déminage ou ayant réalisé des progrès significatifs dans le domaine afin de favoriser les partages d’expérience.
Le deuxième élément est la nécessité d’assurer l’intégration effective du mécanisme dans l’écosystème de l’APSA et de clarifier ses modalités d’interaction avec le CPS et de production de rapports. La création d’une entité autonome risque d’entraîner un chevauchement des prérogatives et des conflits entre le mécanisme et le CPS, ce qui pourrait nuire à l’amélioration de la coordination de l’action contre les mines en Afrique. Malgré l’attention qu’elle devrait recevoir, l’action antimines dépasse le secteur de la paix et la sécurité placé sous l’égide du CPS.
Le troisième aspect est l’intégration de technologies telles que la télédétection thermique, la cartographie au moyen de caméras à haute résolution, l’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle. L’expertise pourrait être mobilisée en interne dans les centres de lutte contre les mines disposant de certains savoir-faire, notamment au Tchad et en Algérie, et, en externe, par l’intermédiaire d’opérateurs de déminage expérimentés dans l’élaboration de lignes directrices visant à renforcer et à harmoniser les cadres nationaux par le biais de la technologie.