Gérer la transition politique après un coup d’État
L’Union africaine doit surmonter les difficultés politiques et opérationnelles qui entravent ses interventions dans les transitions politiques.
Le 18 mars 2025, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a tenu des consultations informelles avec les ambassadeurs du Burkina Faso, du Gabon, de la Guinée, du Mali, du Niger et du Soudan. Cette initiative s’inscrivait dans le cadre des efforts continus du CPS pour rétablir l’ordre constitutionnel dans les États membres de l’UA suspendus à la suite de coups d’État militaires. Depuis 2019, le Conseil a rencontré plusieurs difficultés dans la gestion des transitions politiques de ces pays. Si certaines, comme au Soudan, ont été interrompues par un regain de violence, le Conseil tente toujours de rétablir l’ordre constitutionnel dans les autres.
Gérer les transitions
Après les avoir suspendus, l’UA a néanmoins maintenu des liens avec ces États afin de faciliter l’élaboration de feuilles de route de transition visant à rétablir l’ordre constitutionnel. Pour ce faire, l’organisation panafricaine a eu recours, en coulisses, aux bons offices d’acteurs importants en son sein, à des visites de terrain par certains de ses fonctionnaires et de membres des comités du CPS, ainsi qu’à des consultations informelles du Conseil. Ces efforts sont conformes à l’article 25(3) de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG), qui exige de l’UA qu’elle maintienne des contacts diplomatiques avec les pays qu’elle a suspendus de ses activités. Des visites de terrain ont ainsi été effectuées au Burkina Faso (2023) et au Gabon (2024), tandis que des consultations informelles, comme celles du 18 mars 2025, ont été organisées avec tous les pays suspendus, selon des sources de l’UA.
Certains dirigeants se présentent aux élections en dépit de l’interdiction de l’UA
L’organisation s’est également associée au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) afin de mettre en place la Facilité africaine de soutien aux transitions inclusives (AFSIT). Grâce à cette facilité, établie le 15 juillet 2023, l’UA cherche à obtenir une assistance programmatique intégrée pour les pays touchés. Il s’agit d’un instrument essentiel pour évaluer leurs besoins afin de faciliter un soutien au rétablissement de l’ordre constitutionnel, de la stabilité et de la démocratie.
Les difficultés rencontrées après un coup d’État
En dépit de ces efforts, un certain nombre d’obstacles opérationnels et politiques persistent. Les obstacles opérationnels sont liés à des problèmes de coordination et à des capacités de suivi limitées. Les organes et agences de l’UA, notamment le CPS, le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC) et le mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), coordonnent rarement leurs initiatives. Comme l’ont montré de précédentes analyses de l’Institut d’études de sécurité, ces trois entités ont tendance à travailler en vase clos. Les autorités de transition peuvent ainsi être incitées à se rapprocher de celle qui leur sera la plus avantageuse, mais également être empêchées de s’engager résolument dans un processus de transition. En raison de ces problèmes de coordination interne, l’UA ne peut pas présenter un plan unique ni adresser un message homogène aux pays en transition.
En outre, elle a des problèmes de coordination avec les communautés économiques régionales (CER). Du fait de leurs divergences d’approche des coups d’État, l’UA et les CER ont encore du mal à fournir un soutien cohérent à ces pays et doivent faire face à des conflits de subsidiarité. Ces problèmes ont récemment provoqué des désaccords entre les organisations régionales et continentales.
L’UA et les CER s'efforcent de fournir un soutien harmonisé aux transitions politiques
L’absence de structures de suivi dotées de toutes les ressources nécessaires constitue un autre obstacle opérationnel majeur. La mission de l’UA pour le Sahel, qui aurait pu jouer un rôle central dans l’appui à la transition politique après un coup d’État dans le Sahel, par exemple, reste dépourvue de capacités financières et humaines. En outre, même si le nouveau sous-comité du CPS chargé des sanctions contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG) pourrait suivre l’exécution des feuilles de route de la transition et contrôler les actions des acteurs extérieurs, il n’a pas encore été doté des capacités requises pour cela.
Malgré l’adoption de chartes de transition et de feuilles de route en Guinée, au Mali et au Burkina Faso, le CPS a du mal à suivre et à évaluer les progrès réalisés, car les missions se voient souvent refuser l’accès aux pays concernés. Sur le plan politique, les autorités de facto s’opposent fréquemment à toute assistance de l’UA, qu’elles estiment comme pouvant contrevenir à leurs propres intérêts. Ainsi mis sur la touche, le CPS est dans l’incapacité de recueillir des données et de dialoguer avec les autorités de transition afin d’identifier l’aide dont elles auraient besoin. Sur les quatre pays officiellement en transition, le CPS ne s’est rendu jusqu’à présent qu’au Burkina Faso et au Gabon. Outre les contraintes de ressources, le faible nombre de visites de terrain témoignerait, selon des sources de l’UA, de la difficulté du Conseil à faire face à la réticence croissante des États à autoriser une intervention régionale et continentale dans les crises qu’ils traversent. Les dirigeants de facto invoquent les principes de non-ingérence et de souveraineté pour se soustraire aux sollicitations des CER et de l’UA.
Les pays touchés par un coup d’État modifient les feuilles de route suivant leurs intérêts politiques
En outre, la plupart des pays en transition politique font fi de l’autorité de l’UA en modifiant les feuilles de route convenues pour les adapter à des intérêts politiques spécifiques. Le Burkina Faso, la Guinée et le Mali ont tous prolongé unilatéralement leur transition sans consulter l’UA. Il est également évident que les auteurs des coups d’État ont l’intention de se présenter aux élections présidentielles, imitant Oligui qui a déjà agi de même en dépit de l’article 25(3) de la CADEG. Le Niger n’a toujours pas proposé de feuille de route pour la transition malgré les appels répétés de l’UA.
Relever les défis
Pour que l’UA puisse gérer les transitions après des coups d’État, il est nécessaire de s’attaquer aux obstacles opérationnels et politiques qui sapent ses efforts. Elle devrait envisager d’harmoniser les actions et les discours de ses agences et de ses organes. Même si tous ont leur mot à dire dans la gestion de ces transitions politiques, l’efficacité de l’UA dépend de la cohérence qui doit devenir la norme. Le CPS, l’ECOSOCC et le MAEP, par exemple, devraient établir une plateforme de consultation permanente pour coordonner et présenter un ensemble de mesures de soutien synergiques aux pays défaillants.
Une solution viable aux problèmes de coordination entre l’UA et les CER consisterait à finaliser les documents relatifs au partage des tâches et à définir clairement le principe de subsidiarité et ses modalités d’application. En accord avec le président de la Commission de l’UA et le secrétariat du CPS, le commissaire chargé des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité devrait encourager les discussions sur la coordination lors du sommet de juillet 2025 et de la réunion extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement sur la réforme de l’UA. Ce faisant, il s’attaquerait à un obstacle de longue date au rétablissement de la paix à l’échelle du continent et faciliterait la mise en place d’un soutien harmonisé et solide lors des transitions politiques.
Le dialogue politique avec les pays concernés doit se poursuivre, de même que les consultations informelles. Un contact permanent doit être maintenu avec les capitales par l’intermédiaire des missions de l’UA, du sous-comité du CPS chargé des sanctions contre les CAG et des CER concernées, si le contexte le permet. Le renforcement des entités susmentionnées, dans leurs capacités de suivi et de mise en œuvre, pourrait permettre de remporter certains succès. Toutefois, dialoguer ne signifie pas consentir à la violation des normes. L’UA doit ouvertement dénoncer la participation des auteurs de coups d’État aux élections et envisager des sanctions ciblées comme moyen de sauvegarder les normes continentales en vigueur.