L’AUSSOM obtiendra-t-elle de meilleurs résultats ?
La nouvelle mission de l’UA semble prometteuse, à condition de redoubler d’efforts pour résoudre les défis qui ont miné les initiatives précédentes.
La Somalie a accueilli trois missions de soutien à la paix de l’Union africaine (UA) au cours des deux dernières décennies. La Mission de l’UA en Somalie (AMISOM) est la première à avoir été déployée, de 2007 à 2022, suivie de la Mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS) de 2022 à 2024, et enfin de l’actuelle Mission de soutien et de stabilisation de l’UA en Somalie (AUSSOM). Grâce à ces missions, le plus long effort sécuritaire du continent a bénéficié d’un soutien politique international substantiel et de contributions militaires importantes. Toutefois, la menace du groupe terroriste al-Shabaab persiste, ses attaques devenant même de plus en plus audacieuses et meurtrières.
Au début de l’année 2025, al-Shabaab a brièvement pris le contrôle de bâtiments gouvernementaux importants à Balcad, une ville située à moins de trente kilomètres de la capitale, Mogadiscio. D’autres attaques ont eu lieu dans le Bas-Shabelle et le Moyen-Shabelle, offrant un tableau aussi familier qu’inquiétant qui révèle que la menace sous-jacente reste en grande partie intacte. Alors que l’AUSSOM entame son mandat, certains observateurs craignent de plus en plus que la valse des missions militaires peu efficaces ne se poursuive, à moins d’un changement radical de cap, accompagné des ressources nécessaires.
Des tempêtes quelque peu familières
Le lancement de l’AUSSOM le 1er janvier 2025 visait à redéfinir l’implication de l’UA en Somalie. Mandatée par la résolution 2767 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) pour soutenir la transition de la Somalie vers une pleine appropriation de sa sécurité nationale, l’AUSSOM se veut une mission plus flexible, destinée à soutenir les opérations menées par les Somaliens. Cependant, le moins que l’on puisse dire est que les premiers résultats ne sont pas encourageants. Les problèmes qui ont paralysé l’AMISOM et l’ATMIS restent entiers et risquent déjà de compromettre le potentiel de l’AUSSOM.
Au cœur du défi auquel sont confrontés les déploiements en Somalie se trouve l’incapacité à mettre en œuvre une stratégie antiterroriste globale qui dépasse le cadre des opérations de terrain. Le Plan de développement du secteur somalien de la sécurité, conçu avec des partenaires internationaux, offrait une feuille de route pour intégrer l’action militaire à des mesures de lutte contre la radicalisation, à la stabilisation urbaine, au démantèlement des réseaux financiers des terroristes et à la communication stratégique. Ce plan reste toutefois largement inappliqué.
Les attaques du groupe al-Shabaab en Somalie sont de plus en plus audacieuses et meurtrières
Au contraire, le recours aux opérations militaires continue de prévaloir, alors que l’on sait que al-Shabaab prospère dans des contextes où la gouvernance est faible, où les communautés se sentent marginalisées et où les acteurs politiques restent divisés. Les dissensions politiques entre le gouvernement fédéral somalien et les États régionaux, en particulier le Jubaland et le Puntland, qui refusent souvent de coopérer avec le gouvernement, se sont aggravées avec l’adoption de la modification de la Constitution voulue par le président Hassan Sheikh Mohamoud. Sans consensus national en matière de sécurité, une stratégie globale pour la transition en Somalie reste impossible.
Le deuxième défi réside dans les incertitudes financières qui pèsent sur l’AUSSOM. À l’heure actuelle, la mission continue de déployer ses effectifs alors que les soldats déjà en place n’ont pas été payés depuis sept à neuf mois. La première phase des opérations (six mois) pourrait être partiellement financée, mais l’avenir reste incertain. Si la résolution 2719 (2023) du CSNU établit le cadre d’un financement prévisionnel des missions de paix autorisées par l’ONU et dirigées par l’UA, elle n’a pas encore été activée en Somalie. Les États-Unis ont déjà signalé qu’ils s’opposeraient probablement à la mise en œuvre de la résolution 2719 pour l’AUSSOM lors du vote de mai 2025.
Dans l’hypothèse où une volonté politique émergerait, le maintien du financement de l’AUSSOM dépendra de la concrétisation des étapes définies dans la feuille de route conjointe UA-ONU. Celles-ci portent sur l’intégration de la dimension de genre, la protection des civils, le respect des engagements et la responsabilisation, le développement de modèles de services logistiques et opérationnels, l’alignement de la planification stratégique et opérationnelle conjointe, ainsi que le suivi et la production de rapports. Toutes ces tâches sont extrêmement ambitieuses compte tenu du rythme actuel. Si le financement venait à se tarir en cours de mission, l’UA risquerait un nouveau retrait précipité, laissant la Somalie une fois de plus vulnérable et créant un vide dont al-Shabaab ne tarderait pas à tirer parti.
Les missions successives de l’UA ont également longtemps peiné à mettre en place une structure de commandement et de contrôle centralisée, les mécanismes de coordination et d’établissement de rapports entre les contingents des pays contributeurs de troupes (PCT) étant faibles. Le communiqué 1217 du Conseil de paix et de sécurité (CPS) souligne qu’il est absolument indispensable d’avoir une structure de commandement, de contrôle et de coordination plus centralisée. Le CSNU avait déjà insisté sur la nécessité pour l’UA d’assurer un commandement et un contrôle clairs, ainsi qu’une coordination opérationnelle entre ses contingents. Cependant, les efforts passés montrent à quel point ces objectifs sont difficiles à atteindre dans la pratique.
Sans consensus national, aucune stratégie globale pour la transition en Somalie n’est possible
L’AUSSOM hérite donc de ces problèmes, auxquels s’ajoutent désormais de nouvelles complexités géopolitiques. Pour la première fois, l’Égypte a rejoint les pays contributeurs de troupes, entrant ainsi dans un espace traditionnellement dominé par l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya et Djibouti. Dans un tel contexte, à moins que des mécanismes de coordination proactifs ne soient mis en place, les rivalités régionales risquent d’entraver l’efficacité de la mission. Sans une unité d’action entre les PCT, aucune mission, aussi bien conçue soit-elle, ne peut réussir, et l’AUSSOM ne fera pas exception.
La lenteur avec laquelle se mettent en place les forces de sécurité somaliennes (SSF) est aussi un problème. Il en va de même pour leur intégration interne et l’atteinte du niveau de qualité souhaité. Malgré l’accent mis par le CPS sur le renforcement des capacités des SSF, les progrès restent limités. Cette tendance suscite des inquiétudes quant à la capacité des SSF à prendre le relais de l’AUSSOM, d’autant plus que la mission prévoit d’entamer son retrait dès 2028.
Aller de l’avant
Si l’UA et ses partenaires veulent s’assurer que l’AUSSOM génère de meilleurs dividendes de la paix que ses prédécesseurs, ils doivent surmonter les défis que ceux-ci avaient identifiés. Premièrement, le CPS et les partenaires internationaux de la Somalie doivent entreprendre une nouvelle initiative politique. Cela implique notamment d’inciter le gouvernement somalien et ses États fédérés à aplanir leurs divergences et à œuvrer à la stabilité nationale.
Deuxièmement, le CPS devrait avoir l’audace d’encourager un dialogue structuré avec les éléments modérés d’al-Shabaab, comme d’autres pays avec des mouvements insurgés ont pu le faire. Une telle initiative, si elle est soutenue par une expertise technique en matière de dialogue et de démobilisation, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en vue d’une solution politique. Ce type de processus politique est essentiel pour sortir de l’impasse actuelle et garantir une approche plus globale de la lutte contre le terrorisme.
L’AUSSOM doit surmonter les défis rencontrés par les missions précédentes
Troisièmement, il convient de s’efforcer d’obtenir le financement de l’AUSSOM plutôt que d’attendre la décision du CSNU en mai 2025. Le CPS devrait suivre l’état d’avancement des travaux de l’équipe spéciale conjointe UA-ONU sur la mise en œuvre de la résolution 2719 du CSNU et l’avancement des progrès dans la réalisation des tâches définies dans la feuille de route conjointe UA-ONU. Sans perdre de vue les obstacles à la mise en œuvre de la résolution, son mécanisme de financement doit être déclenché en temps voulu. Le Conseil pourrait convoquer une session extraordinaire pour évaluer les progrès accomplis sans attendre le mois de mai.
Le CPS pourrait collaborer avec la Commission de l’UA, en particulier avec son nouveau président, afin de mobiliser davantage de soutien international pour le financement de la mission. Ces efforts pourraient impliquer plus directement les États-Unis en faisant pression sur l’administration Trump pour qu’elle ne mette pas son veto à l’application de la résolution 2719.
Comme indiqué dans la résolution, l’UA doit prendre en charge 25 % du financement de ses opérations de soutien à la paix. La primauté du CPS est essentielle pour garantir les contributions de ses propres sources et de ses partenaires stratégiques. La conférence d’annonce des contributions qui se tiendra prochainement à Doha pourrait être un début et le CPS, par l’intermédiaire de la Commission de l’UA, pourrait contacter les pays qui ont des intérêts croissants en Somalie afin de former une coalition et garantir un soutien durable au financement de l’AUSSOM. Compte tenu de l’intérêt géopolitique grandissant pour la Somalie, des pays tels que les Émirats arabes unis, le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite pourraient ainsi former une coalition financière. La conférence de Doha est à ce titre cruciale pour obtenir un soutien alternatif.
Enfin, le CPS devrait continuer à suivre de près et à évaluer les progrès du déroulement du mandat de l’AUSSOM, tout en identifiant des mécanismes supplémentaires pour superviser les structures de commandement et de contrôle de la nouvelle mission. Il faut des approches innovantes et politiquement habiles pour résoudre ce problème récurrent. Il conviendrait notamment de maintenir un dialogue politique entre les pays contributeurs de troupes, et de renforcer les pouvoirs du Représentant spécial du Président de la Commission de l’UA sur les unités susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs de la mission.
Si l’AUSSOM échoue, les répercussions se feront sentir dans toute la région, encourageront les extrémistes et soulèveront des questions quant à la capacité de l’UA à stabiliser les zones de conflit. Il ne doit pas s’agir d’une mission comme les autres. Cela commence par reconnaître qu’aucune présence militaire, quelle qu’elle soit, ne peut remplacer la cohérence politique, la légitimité locale et le soutien international ancré dans une vision à long terme. Toute autre approche reviendrait à réitérer les erreurs du passé tout en espérant des résultats différents.