Crises électorales en Afrique : les leçons de 2024
L’UA doit renforcer l’alerte précoce dans sa stratégie d’observation préélectorale sur le continent.
Compte tenu du nombre de pays concernés par des élections à travers le monde, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a qualifié l’année 2024 de « super année » électorale. En Afrique, pas moins de 15 pays ont organisé des élections générales, présidentielles ou législatives. L’UA a déployé des missions d’observation électorale (MOE) dans 13 d’entre eux (voir figure 1), conformément à son mandat d’évaluation de la qualité et de l’intégrité des processus électoraux.
Les missions dépêchées en Tunisie et au Mozambique n’ont cependant pas su anticiper les principaux défis électoraux. Ce double échec a suscité certaines critiques, en particulier au Mozambique où des violences postélectorales se sont produites. La pertinence de l’observation électorale et l’efficacité de ces missions ou leur utilisation des systèmes d’alerte précoce pour prédire et prévenir les violences électorales ont été mises en question. Elles peuvent renforcer la qualité des processus électoraux et améliorer la prévention des conflits sur le continent.
Figure 1 : Élections et missions d’observation électorale de l’UA en 2024
Source : Cette carte est basée sur des données du Electoral Institute for Sustainable Democracy in Africa (EISA) et de l’UA. |
Des liens avec l’alerte précoce
Les MOE de l’UA ont pour mandat d’observer et de surveiller les processus électoraux. Elles ont également un rôle de médiateur, de soutien technique, de supervision et d’audit avant, pendant et après les élections. À cette fin, une équipe d’évaluation doit analyser les conditions dans lesquelles celles-ci s’organisent afin de déterminer si elles seront libres, équitables, accessibles et transparentes.
Il s’agit là d’une fonction essentielle de l’alerte précoce et de la diplomatie préventive pour les missions qui constituaient auparavant une passerelle pratique entre les observateurs électoraux à long terme de l’UA et le système d’alerte précoce du continent. L’objectif était d’enraciner la démocratie tout en prévenant les conflits liés aux élections. Récemment, cependant, le lien entre le système continental d’alerte précoce de l’UA et la stratégie relative à son implication dans les processus électoraux s’est estompé en raison du processus de réforme de l’UA en cours. En outre, pour des raisons financières, l’observation électorale à long terme a également été interrompue.
Les défis auxquels font face les MOE
Outre les problèmes structurels provoqués par le lien entre l’observation électorale et l’alerte précoce, trois faiblesses majeures sont apparues lors des élections en Tunisie et au Mozambique. Elles concernaient toutes trois la capacité des missions d’observation à anticiper et à prévenir les conflits d’envergure. La première a été de ne pas avoir su anticiper et éviter d’éventuelles violences postélectorales. Les problèmes du Mozambique ont reçu l’attention du continent et le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a effectué une visite de terrain en juillet 2024. Celle-ci a été suivie d’une mission d’évaluation préélectorale en août 2024, dont le rapport a été discuté lors de la 1231e réunion du CPS, en septembre 2024. Ces efforts n’ont toutefois pas permis d’évaluer correctement la possibilité de violences postélectorales, ce qui aurait pu conduire à un dialogue avec les autorités mozambicaines.
Avant les élections, en septembre 2024, un rapport d’enquête de l’Afrobaromètre avait montré que la confiance envers les élections, en tant qu’outil efficace de responsabilisation des dirigeants politiques, avait diminué. Bien que non définitif, le rapport indiquait qu’une partie de la population accueillerait avec méfiance les résultats des élections, ce qui pouvait constituer un défi majeur pour la stabilité du pays. En conséquence, dans sa déclaration préliminaire, l’Union européenne a estimé que les élections se déroulaient dans un climat de méfiance qui entachait la crédibilité du processus. Si le rapport de la MOE de l’UA a, de son côté, soulevé la possibilité de partialité en raison de la structure des organes de gestion des élections, un signal d’alarme précoce aurait pu permettre une réaction rapide susceptible d’éviter les violences postélectorales.
La liberté, l’équité, l’accessibilité et la transparence des élections doivent être évaluées
En outre, un déploiement plus stratégique des ressources limitées de la MOE aurait maximisé son impact. Lors de l’élection présidentielle d’octobre 2024 en Tunisie, l’UA a déployé 40 observateurs à court terme dans 17 des 24 gouvernorats du pays, couvrant ainsi environ 70 % du territoire. Par contre, au Mozambique, seuls 42 observateurs étaient sur le terrain pour surveiller 265 des 25 000 bureaux de vote. Aucune autre organisation internationale n’a envoyé une équipe d’observation aussi restreinte.
Il est impossible pour les observateurs électoraux de quelque organisation que ce soit d’être présents dans tous les bureaux de vote. Cependant, la faible présence de l’UA a considérablement entravé sa capacité à fournir une vue d’ensemble de la situation et, par conséquent, à faire une évaluation représentative des résultats du processus. Au Mozambique — qui est confronté à un grave recul démocratique et à des tendances autoritaires — seulement 1,06 % des bureaux de vote ont été visités par la MOE de l’UA.
En 2024, le déploiement moyen des MOE de l’UA a été de 42 observateurs par pays, quel que soient la taille de ce dernier, la complexité de la situation politique et la fragilité du contexte électoral. Cette réalité, attribuée aux limitations des ressources et aux contraintes logistiques, amoindrit la capacité de l’UA à surveiller et à identifier les problèmes structurels dans les zones reculées et, par conséquent, à faire face aux risques grâce à une réponse rapide.
Au Mozambique, seuls 42 observateurs de l’UA ont été déployés dans 265 bureaux de vote sur 25 000
S’y ajoutent les lacunes persistantes en matière de rédaction de rapports de mission. Bien que les lignes directrices de l’UA soulignent la nécessité d’établir des comptes rendus complets et objectifs, ceux-ci tendent à minimiser des questions cruciales. Ainsi, le rapport du président de la Commission de l’UA au CPS sur les élections au Mozambique (juillet à décembre 2024) décrit le processus électoral comme « reflétant les progrès démocratiques du Mozambique », tout en reconnaissant d’importantes violences postélectorales.
Le rapport préliminaire a également adopté une approche prudente, exprimant ses préoccupations tout en félicitant la commission électorale pour sa réactivité au lieu de souligner ses insuffisances. Seule une note du rapport indiquant que l’organe de gestion des élections était susceptible d’« alimenter des perceptions de partialité » pouvait s’apparenter à une critique. Pour un rapport destiné à éclairer les réponses politiques continentales, ces déficiences atténuent invariablement l’urgence qui devrait accompagner l’utilisation des mécanismes institutionnels pour la prévention ou la gestion des défis émergents.
La voie à suivre
Si, au final, le bilan électoral de l’Afrique en 2024 a été moins problématique, le paysage électoral de 2025 (voir figure 2) pourrait être différent. En effet, la plupart des États qui ont organisé des élections en 2024 étaient classés par l’ONG Freedom House dans la catégorie des pays « libres » ou « partiellement libres ». De nombreux pays concernés par des élections en 2025 étant considérés « non libres » (voir figure 3), on peut s’attendre à des manipulations de scrutin, à des distorsions institutionnelles et à des violences postélectorales. Compte tenu de la faiblesse des garde-fous démocratiques, il devrait y avoir en 2025 moins de transitions pacifiques et davantage d’élections conçues pour maintenir l’ordre politique au pouvoir.
Figure 2 : Survol des élections en 2024
Source : Données de l’Unité démocratie et élections, département Affaires politiques, Paix et Sécurité de l’UA. |
Figure 3 : Degré de liberté des pays africains organisant des élections en 2025
Source : Freedom House, 2025 |
L’UA devrait renforcer la capacité de prévention et l’impact stratégique de ses MOE. Leur fonction prédictive doit s’accompagner d’une meilleure collaboration avec le système continental d’alerte précoce. Elle doit intégrer, dans les évaluations préélectorales, les données provenant de sources crédibles telles que l’Afrobaromètre et les organisations de la société civile, ainsi que l’analyse des sentiments numériques. Par ailleurs, un mécanisme formel devrait établir une passerelle entre les évaluations électorales et l’architecture plus large de la diplomatie préventive de l’UA.
Deuxièmement, l’UA devrait rétablir l’observation électorale à long terme, en particulier dans les environnements fragiles et à haut risque, afin d’assurer un suivi durable et une plus grande implication.
Troisièmement, le modèle unique de déploiement actuel devrait céder la place à une approche basée sur le risque qui adapte la taille et l’objectif des missions au contexte politique et démocratique de chaque pays. Davantage de ressources devraient être déployées dans les pays « non libres » et dans ceux qui ont des antécédents de manipulations électorales et de violences postélectorales. L’UA doit également améliorer la qualité de ses rapports, notamment leur objectivité, en veillant au respect de ses lignes directrices qui préconisent des évaluations exhaustives et fondées sur des données probantes. Ces rapports doivent être clairs et opportuns et porter un regard franc sur les déficiences structurelles et procédurales, même lorsque les observations peuvent être politiquement sensibles, afin de garantir que les indices précoces d’une crise déclenchent des réponses adéquates.
Le renforcement des partenariats avec les organisations internationales du secteur de l’observation électorale et les groupes locaux de la société civile est essentiel pour étendre la portée de l’observation et améliorer la compréhension du contexte, en particulier dans les régions éloignées ou en proie à des contestations. Enfin, les MOE doivent être fermement liées aux mécanismes de diplomatie préventive de l’UA afin que les conclusions de leurs rapports électoraux puissent influencer directement l’action politique et diplomatique, y compris les suivis avant et après les élections pour soutenir les transitions pacifiques et traiter les tensions persistantes.