© Amanuel Sileshi / AFP

À la tête de l’Union africaine les Comores déjouent les pronostics

En dépit des défis multiples et des ressources limitées, le bilan de l’Union des Comores à la présidence de l’UA a dépassé les attentes.

L’un des éléments marquants du 36e sommet de l’Union africaine (UA), qui s’est déroulé en février 2023, a été l’élection des Comores à la présidence de l’organisation. Moroni succédait ainsi au Sénégal. Cette élection avait donné lieu à de longs débats sur la capacité des « petits » États à conduire les actions de l’Afrique et à pérenniser les progrès accomplis. Certains experts se disaient préoccupés par leur faible influence économique et diplomatique. D’autres faisaient valoir que la capacité à mobiliser les États membres autour des enjeux du continent et à mener des initiatives collectives constituait un critère bien plus important.

Depuis son incorporation dans l’article 6 (4) de l’Acte constitutif de l’UA de 2000, la présidence tournante de l’UA suscite un vif intérêt de la part des États membres, ce qui conduit à un examen approfondi des résultats des pays qui l’ont occupée. La présidence des Comores a ainsi fourni une nouvelle occasion d’évaluer la capacité des petits États à promouvoir leurs revendications dans les instances diplomatiques de l’Afrique.

Les priorités des Comores

Il est désormais habituel que les présidents de l’UA définissent ouvertement les priorités de leur mandat. Les Comores ont ainsi présenté leurs principaux axes d’intervention au cours du 36e sommet de l’UA, à la différence de l’Égypte qui avait choisi en 2019 de dévoiler ses priorités en amont du sommet. Que ces priorités soient annoncées après coup ne constitue pas nécessairement un problème important et résulte parfois d’une annonce officielle tardive de la candidature d’un pays. Ces délais donnent cependant souvent aux décideurs politiques, aux experts et au grand public une impression d’impréparation et de manque de sérieux.

Lors du sommet de février 2023, le président Azali Assoumani avait présenté dans son discours sept priorités pour la présidence des Comores : la paix et la sécurité continentales ; le multilatéralisme ; l’accélération de la mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ; l’autonomisation des femmes ; le changement climatique ; la sécurité alimentaire ; le passage de l’Afrique à l’ère numérique. Il s’agissait pour ainsi dire de poursuivre les objectifs de la présidence du Sénégal, au vu des similitudes entre la plupart des priorités des deux présidences. Cet effort de continuité est tout à fait louable, dans la mesure où les présidences doivent contribuer à la réalisation d’objectifs à long terme conformes aux aspirations de l’Agenda 2063.

Les sept priorités du président Assoumani s’inscrivaient dans le sillage de la présidence sénégalaise

Toutefois, contrairement à d’autres présidences, les Comores ont saisi l’occasion de faire entendre la voix des États insulaires en ce qui concerne l’élévation du niveau des mers et les questions liées à l’économie bleue. Moroni a également choisi de mettre en avant le passage de l’Afrique à l’ère numérique plutôt que l’endettement du continent et la récupération des objets d’art (voir le tableau ci-dessous).

Priorités des précédentes présidences de l’UA

Priorités des précédentes présidences de l’UA

Source : PSC Report
(Cliquez sur l’image pour voir l'infographie en taille réelle)

L’approche des Comores

Les Comores ont opté pour une action de plaidoyer par le biais d’une diplomatie de conférence. Elles ont ainsi convoqué une réunion ministérielle de trois jours intitulée : « L’économie bleue et l’action climatique en Afrique : les États insulaires et côtiers à l’avant-garde ». Cette réunion, qui s’est tenue à Moroni du 12 au 14 juin 2023, visait à sensibiliser les décideurs politiques au potentiel de l’économie bleue pour les États insulaires et pour le continent dans son ensemble.

En outre, Assoumani a mené des délégations de l’UA lors de plusieurs sommets de type Afrique +1, tels que les sommets Russie-Afrique à Moscou et Arabie saoudite-Afrique à Riyad qui se sont déroulés en 2023. La participation de l’Afrique à ces rencontres avait notamment pour objectif de renforcer la sécurité alimentaire et le développement.

Dans le cadre de sa diplomatie de conférence et de ses bons offices, le président de l’UA a formulé, conjointement avec d’autres dirigeants africains, une demande de financement substantiel des mesures d’adaptation du continent face aux changements climatiques, lors de la COP28 à Dubaï en 2023. Il a également convoqué un sommet quadripartite pour remédier à la crise prolongée dans la région des Grands Lacs et a déployé des efforts considérables pour promouvoir la ratification de l’accord sur la ZLECAf.

Des attentes dépassées

Le bilan des Comores à la présidence de l’UA est remarquable. Ses efforts de plaidoyer ont contribué de manière significative à l’admission de l’UA en tant que membre permanent au G20 en septembre 2023. En dépit des avancées du Sénégal pour y obtenir un siège pour l’UA, 12 pays demeuraient réticents. Le président a personnellement fait pression durant plusieurs mois sur ces États par le biais de ses bons offices et a finalement obtenu le siège convoité.

La réunion ministérielle de juin 2023 a abouti à la Déclaration de Moroni pour l’action sur les océans et le climat en Afrique, qui définit une vision commune de l’exploitation de l’économie bleue du continent. Le document reconnaît l’ampleur du défi que les États insulaires doivent relever pour faire face au changement climatique. Il appelle à un partenariat renforcé pour promouvoir l’économie bleue et soutenir l’initiative de la Grande Muraille bleue en faveur de la durabilité et de la régénération.

Cette déclaration est essentielle pour deux raisons. Tout d’abord, elle constitue une vision africaine commune de l’économie bleue et un instrument qui pourrait aider le continent à mobiliser des partenaires pour soutenir le financement de l’Afrique en faveur du climat. Ensuite, elle permettra de sensibiliser les dirigeants africains au potentiel de l’économie bleue.

Les Comores ont également poursuivi les discussions lors du deuxième sommet Russie-Afrique, ce qui a conduit à l’envoi en novembre 2023 de 200 000 tonnes de céréales à six pays africains, renforçant ainsi la sécurité alimentaire du continent. De son côté, le sommet Arabie saoudite-Afrique a été marqué par l’engagement du prince héritier saoudien en faveur de plusieurs initiatives de développement en Afrique. Les Comores ont fait pression sur leurs pairs pour qu’ils ratifient l’accord de la ZLECAf, permettant une ratification supplémentaire depuis février 2023.

Les Comores ont budgétisé la somme colossale de 11 millions de dollars US pour leur présidence

En outre, elles ont aidé la conférence quadripartite sur la région des Grands Lacs à adopter le Cadre conjoint de coordination et d’harmonisation des initiatives de paix (JFCHPI) dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). La conférence a également approuvé la création d’un groupe de travail de coordination à plusieurs niveaux.

Toutefois, l’influence de Moroni a été faible dans les domaines de la paix et de la sécurité, et des changements climatiques. La présidence et l’ensemble de l’UA n’ont pas abordé certains dossiers sensibles tels que la situation au Soudan, la crise prolongée du Sahel et les nouvelles menaces qui pèsent sur les efforts d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. En outre, la diplomatie de conférence n’a guère généré d’autres résultats que la Déclaration de Moroni, le JFCHPI et le groupe de travail multiniveau sur l’est de la RDC.

Des lacunes et des défis

Malgré des résultats louables, les Comores ont dû faire face à de nombreux défis, au premier rang desquels leur capacité financière limitée. La charge financière inhérente à la présidence de l’UA et l’absence du moindre budget ont obligé les Comores à supporter des coûts supplémentaires en dépit de leurs propres contraintes financières.

Le pays a budgétisé 11 millions de dollars US pour sa présidence, un montant considérable pour un État aux ressources limitées. Cette situation a engendré une dépendance excessive à l’égard de partenaires extérieurs tels que la France, dans un contexte où l’UA cherche à s’approprier ses initiatives. En réponse, les décideurs politiques ont proposé que l’UA contribue au moins à hauteur de 20 à 30 % au budget du bureau.

Le second défi concernait le contexte politique préélectoral comorien. Au cours de l’année 2023, Assoumani briguait en effet un troisième mandat consécutif à la tête de son pays. Les manifestations qui ont suivi sa réélection le 14 janvier 2024 ont attesté de l’importante contestation politique à laquelle le président a dû faire face. L’on peut donc affirmer qu’entre les défis nationaux et les problèmes continentaux, le président Assoumani a été pour le moins sursollicité.

Il a dû également composer avec un bureau défaillant, en proie à des tensions entre le Maroc et l’Algérie concernant la présidence de l’UA pour l’année 2024. Présider l’UA devrait être un effort collectif des membres du bureau qui comprend, entre autres, le président en exercice, son prédécesseur et son successeur — appelés la troïka. Sans vouloir porter atteinte aux membres du bureau, notamment le Sénégal, l’absence d’une vice-présidence, à savoir le Maroc ou l’Algérie, a privé les Comores d’un soutien essentiel qui aurait pu renforcer son influence diplomatique et l’aider à atteindre ses objectifs.

Moroni a obtenu des résultats défiant les prédictions de son échec

Les dissensions avec les pays en transition post-coup d’État, en particulier le Mali et le Burkina Faso, lors du sommet Russie-Afrique de juillet 2023 ont également constitué un défi de taille. S’en tenant aux normes anti-coup d’État de l’UA, les présidents de l’UA et de la CUA et certains États membres ont refusé de paraître sur la traditionnelle photo de famille aux côtés des représentants des autorités de facto du Burkina Faso et du Mali.

En représailles, les deux pays ont refusé au président de l’UA d’accéder à leurs territoires, empêchant ainsi le déploiement de missions d’observation en août 2023. Les dirigeants des transitions malienne et burkinabè, MM. Traoré et Goita, qui considèrent les Comores comme un « petit » État, ont réagi fermement en bloquant l’accès de leur pays aux fonctionnaires comoriens, ce qui a entravé le projet des Comores de contribuer à la réussite des transitions post-coup d’État et à la lutte contre le terrorisme.

Les engagements de la présidence

En dépit de nombreux défis, notamment de faibles capacités économiques et une influence diplomatique limitée, les Comores ont obtenu le soutien de leurs pairs et de leurs partenaires dans leur gestion des affaires continentales. Une leçon importante en est ressortie : l’importance de l’engagement et de la détermination du pays qui préside l’UA, au même titre que celle de sa puissance économique et son influence diplomatique. En se montrant actif et déterminé dans la conduite des affaires de l’Afrique, Moroni a obtenu des résultats, défiant les prédictions de son échec.

Cette réussite prouve que tout État membre est en mesure de diriger l’UA, indépendamment de sa taille et de ses capacités économiques et diplomatiques, pour autant qu’il fasse preuve d’une grande détermination et de solides aptitudes pour créer une synergie sur les questions d’intérêt commun. La faiblesse des bureaux a été le talon d’Achille des deux dernières présidences avec des conséquences plus marquées en 2023. Plusieurs sources au sein du CPS ont affirmé que les Comores auraient pu obtenir de meilleurs résultats avec un bureau pleinement opérationnel.

La Conférence de l’UA devrait donc être en mesure d’élire un remplaçant en l’absence d’un consensus régional. En outre, l’UA devrait développer des mécanismes de soutien financier solides et renforcer les articles 15 et 16 du règlement intérieur de la Conférence de l’UA afin de clarifier les critères régissant l’élection de la présidence et le rôle du bureau. Compte tenu du caractère exigeant de la présidence et des défis auxquels le continent est confronté, les présidents devraient faire l’objet d’un fort soutien de la part de leurs pairs et de l’UA.

Related content