Trouver le juste équilibre entre protection et profits dans le bassin du Congo
Malgré les engagements pris lors du One Forest Summit, il faut stopper plus rapidement l’exploitation illégale des forêts et la déforestation.
Publié le 14 mars 2023 dans
ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT - Afrique centrale, ISS
Le bassin du Congo abrite la deuxième plus grande forêt tropicale humide ; c’est aussi le plus grand puits de carbone au monde. Pourtant, plus d’un quart de cette forêt pourrait disparaître d’ici 2050 si la déforestation, due principalement à l’abattage illégal, se poursuit de manière effrénée. Les conséquences pour la région et au-delà seront désastreuses. Et malgré de nouveaux engagements, on ne voit aucune trace d’actions, pourtant urgentes et nécessaires.
Lors des récentes réunions de haut niveau, il y a eu des avancées concernant les forêts du monde. L’objectif mondial convenu lors de la conférence des Nations unies sur la biodiversité qui s’est tenue à Montréal en 2022 est de protéger 30 % des terres et des océans d’ici à 2030. Cette décision fait suite à une déclaration visant à mettre un terme à la déforestation et à la dégradation des sols d’ici à 2030 lors de la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP26) qui s’est tenue à Glasgow en 2021. Durant la COP26, les parties ont affirmé l’importance des forêts pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.
Le président français, Emmanuel Macron, et le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, ont organisé le One Forest Summit les 1er et 2 mars 2023 à Libreville, au Gabon. L’idée était de susciter de nouveaux engagements et des plans concrets pour améliorer la coopération scientifique sur les écosystèmes forestiers, favoriser les chaînes de valeur durables dans le secteur des forêts et mobiliser des fonds de manière innovante.
Le bassin du Congo, qui s’étend sur six pays d’Afrique centrale, devrait être au cœur de l’action mondiale pour le climat. En effet, il absorbe 4 % des émissions mondiales de CO2 et ses tourbières stockent à elles seules 30 milliards de tonnes de dioxyde de carbone, soit l’équivalent de trois années d’émissions mondiales de combustibles fossiles.
Le bassin du Congo, qui couvre six pays d’Afrique centrale, doit être au cœur de l’action mondiale pour le climat
Pourtant, les forêts sont de plus en plus menacées. Une étude a permis de calculer que la déforestation avait augmenté de 5 % en 2021. (Les taux de déforestation dans le monde devraient diminuer de 10 % par an pour atteindre l’objectif de la déclaration de Glasgow).
La déforestation est causée par l’exploitation illégale des forêts par les multinationales, les criminels des pays concernés et les groupes armés, ainsi que par la corruption. Elle répond à la forte demande de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de l’Asie pour les bois du bassin du Congo, tels que le bois de rose et le teck africain. Selon l’association Forest Trends, des pays classés en 2020 par la Banque mondiale comme fragiles et touchés par des conflits « ont fourni à la Chine environ la moitié de ses bois durs et la majeure partie de ses bois tropicaux ». Il s’agit notamment des Îles Salomon, du Laos, du Papouasie-Nouvelle Guinée, du Mozambique, du Cameroun et de la République du Congo.
La République démocratique du Congo (RDC) abrite plus de la moitié de la superficie de la forêt tropicale du bassin du Congo. Bien qu’il ait interdit l’exploitation forestière illégale dès 2002, le gouvernement manque de ressources pour surveiller les forêts dans un pays dont la superficie est équivalente à un quart de celle des États-Unis.
Dans un rapport de 2014, Chatham House avait calculé que 87 % de l’exploitation forestière en RDC était illégale, un pourcentage qui est resté largement inchangé depuis lors. Un rapport de Global Witness datant de 2018 affirme qu’une entreprise européenne spécialisée dans le secteur du bois détenait le plus grand nombre de concessions forestières en RDC et opérait illégalement dans 90 % d’entre elles.
La promesse de 1,5 milliard de dollars à la COP26 pour protéger le bassin du Congo ne s’est pas concrétisée
Au Cameroun, c’est un groupe criminel bien établi qui facilite le transport illégal du bois depuis les forêts reculées vers les marchés illicites au Nigeria, au Vietnam et en Chine. Des groupes terroristes transnationaux opèrent à partir de bases situées dans le bassin du Congo, tuant des gardes forestiers et gagnant des centaines de milliers de dollars en exploitant les ressources forestières pour financer leurs activités.
La déforestation du bassin du Congo a des conséquences qui peuvent se révéler catastrophiques. En effet, elle augmente les émissions dans l’atmosphère et devrait réduire les précipitations en Éthiopie et dans toute la région du Sahel, ce qui nuira à l’agriculture et aggravera les migrations dues au changement climatique. La déforestation menace les 75 millions de personnes dont les moyens de subsistance dépendent de la bonne santé des forêts. Les habitats de la faune sont également en danger : 39 espèces de mammifères et un tiers des essences végétales du bassin du Congo sont endémiques et ne se trouvent donc nulle part ailleurs.
Le financement du climat est crucial pour protéger le bassin du Congo en tant qu’atout stratégique pour le climat. De fait, la région a toujours reçu moins de financements bilatéraux que l’Asie du Sud-Est et le bassin amazonien. Lors de la COP26, une douzaine de bailleurs, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, se sont engagés à verser 1,5 milliard de dollars entre 2021 et 2025 pour protéger le bassin du Congo. Mais cet engagement a été critiqué car considéré comme insuffisant. En outre, il ne s’est pas concrétisé à ce jour.
Il est nécessaire et urgent de financer le renforcement des politiques de lutte contre l’exploitation illégale des forêts et la déforestation. Malgré son immensité, les gouvernements doivent surveiller la forêt tropicale du bassin du Congo – éventuellement en commençant par former une force opérationnelle interagences.
La création d’une force multinationale conjointe des pays du bassin du Congo est une solution potentielle
En 2021, le Cameroun a déployé des soldats pour aider les gardes forestiers à lutter contre les braconniers à sa frontière orientale avec la République centrafricaine. Les gardes forestiers doivent avoir le même degré de sophistication que les groupes criminels organisés, en recevant une formation paramilitaire, en mettant en place une surveillance aérienne et secrète, en disposant d’un meilleur armement et en établissant des relations avec les communautés pour collecter des renseignements.
La création d’une force opérationnelle multinationale conjointe entre les pays membres de la Commission des forêts d’Afrique centrale est une autre solution possible. La Commission est une autorité régionale disposant d’un pouvoir décisionnaire et chargée de coordonner la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers.
Les ministères en charge des forêts peuvent intégrer une politique publique favorisant les lanceurs d’alerte dans des projets qui impliquent la société civile dans la gouvernance forestière. Au Cameroun, des bénévoles des communautés sont formés à l’utilisation de téléphones satellitaires pour communiquer des informations sur l’exploitation forestière illégale et appeler gratuitement la police, le ministère en charge des forêts et la Commission nationale de lutte contre la corruption pour signaler toute activité suspecte.
En 2020, la République du Congo a adopté une loi visant à lutter contre l’exploitation forestière et l’abattage illégal. Elle consacre l’implication des communautés locales et des populations autochtones dans la gouvernance forestière et met en place un système forestier communautaire.
Les initiatives régionales doivent également cibler les acteurs de l’industrie mondiale en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. Les agences de régulation du commerce dans les pays du Nord global et en Asie doivent prendre des mesures transparentes qui garantissent un approvisionnement responsable en bois du bassin du Congo.
Il est essentiel de créer un processus solide de certification du bois qui s’applique à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. De tels systèmes existent sous une forme ou une autre dans les pays du Nord global et en Asie, mais il n’y a pas de mise en œuvre rigoureuse concernant les bois tropicaux. Les gouvernements devraient constituer des groupes s’intéressant spécifiquement aux bois tropicaux, composés de représentants des importateurs, des détaillants et des groupes de défense de l’environnement afin de contrôler le processus de certification.
Oluwole Ojewale, coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé – Afrique centrale, ENACT, ISS
Image : © Danita Delimont Creative / Alamy Stock Photo
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