Le Nigeria et le Cameroun doivent faire front commun contre le trafic illicite de bois
Afin de mettre un terme à ce commerce illégal qui se chiffre en milliards de dollars, les deux pays doivent renforcer les mesures de répression existantes et nouvelles.
Publié le 15 juillet 2021 dans
ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT - Afrique centrale, ISS
Chaque année, le Cameroun perd environ 33 milliards de francs CFA (soit près de 60 000 000 de dollars américains) à cause de l'exploitation illégale du bois. En outre, ce commerce profiterait à des groupes terroristes, tels que Boko Haram, et à des mouvements séparatistes au Nigeria et au Cameroun.
Le 13 janvier, 21 Nigérians ont été arrêtés pour exploitation forestière illégale, à Donga-Mantung, département du nord-ouest du Cameroun frontalier au Nigeria. Cette arrestation d’un aussi grand nombre de suspects suggère qu’il s’agit d’un syndicat transnational bien établi qui ne peut être vaincu que par des réponses nationales et régionales plus fortes.
La chaîne d’approvisionnement implique un réseau international de groupes et d’individus criminels, notamment des chefs communautaires, des marchands de bois (les intermédiaires), des fonctionnaires d'État, des exportateurs et des industriels d’Europe et d’Asie. La corruption de fonctionnaires locaux et l’exploitation exercée par des hommes d’affaires chinois sont les moteurs de ce commerce. Ils facilitent le transport illégal du bois des forêts reculées du Cameroun vers les marchés illicites du Nigeria, puis vers les commerces du Vietnam et de la Chine.
La corruption de fonctionnaires locaux et l’exploitation exercée par des hommes d’affaires chinois alimentent ce commerce illégal
L’Environmental Investigation Agency note qu’une grande partie du bois exporté à partir du Nigeria entre 2014 et 2017 a été exploitée (récoltée et exportée) illégalement en violation des lois étatiques et fédérales. Bien que le Nigeria se classe au deuxième rang des sept plus grands pays producteurs de bois tropicaux d’Afrique, une grande partie de ce bois provient du Cameroun.
L’épuisement des ressources en bois au Nigeria signifie que le pays est passé de source d’approvisionnement à plateforme de transbordement. En 2017, plus de 1,4 million de grumes de kosso (bois de rose) d’une valeur d’environ 300 millions de dollars provenant du Cameroun ont été illégalement expédiées en Chine via le Nigeria.
Les forêts du Cameroun couvrent environ 22 millions d’hectares, offrant un éventail de services écosystémiques essentiels à la biodiversité et au développement économique. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime qu’en raison de l’exploitation forestière illégale, 815 espèces de plantes à fleurs y sont menacées de disparition et vingt-six espèces de mammifères sont actuellement menacées ou en danger critique d’extinction.
L’épuisement des ressources en bois au Nigeria signifie que le pays qui était une source d’approvisionnement est passé à un état de transbordement
Le commerce illégal constitue également une menace pour les moyens de subsistance des petits exploitants forestiers, dont l’activité est autorisée jusqu’aux alentours de leurs villages, conformément à la loi forestière camerounaise de 1994.
L'État nigérian de Taraba, limitrophe du Cameroun, sert de plaque tournante au trafic de bois. La mauvaise gouvernance forestière, une surveillance défaillante et la corruption y ont épuisé les réserves forestières au cours des dix dernières années. Un membre de l’Association nigériane des acheteurs de bois et de madras à Taraba qui a préféré garder l'anonymat a confirmé aux chercheurs du projet ENACT (qui vise à renforcer la lutte contre la criminalité organisée transnationale en Afrique) que les réserves de Taraba étaient à court de kosso. Les exploitants forestiers illégaux ont donc réorienté leurs activités aux forêts camerounaises pour répondre à la demande croissante des marchands de bois étrangers.
Itinéraires de l’exploitation forestière illégale du Cameroun passant par le Nigeria (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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Le bois exploité illégalement à Donga-Mantung est ensuite acheminé vers Bissaula, au Nigeria. À Takum, un pôle populaire dans le Taraba pour les produits du bois, ce bois est chargé sur des camions et transporté à travers les États de Benue et de Kogi vers des dépôts qui se trouvent à Obollo-Afor et à Sagamu. De là, il est transporté aux ports maritimes d’Onne et de Lagos, puis expédié vers Hanoi, au Vietnam, qui est la porte d’entrée vers les marchés chinois du bois.
Les autres facteurs qui alimentent le trafic sont l’application inefficace de la loi et l’absence d’une réponse bilatérale du Nigeria et du Cameroun. En 2019, le ministre camerounais de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a ordonné aux gouverneurs et aux préfets de « diligenter les procédures disciplinaires et/ou pénales » à l’encontre des fonctionnaires publics impliqués dans l’exploitation forestière illégale et le braconnage. Cette directive a toutefois eu peu d’impact sur le trafic de bois.
Bien que la certification forestière révèle un potentiel pour contrôler l’exploitation illégale et le trafic de bois au Cameroun, les crises sociopolitiques persistantes dans les régions anglophones du pays limitent la mise en œuvre de cette certification.
L’application inefficace de la loi et l’absence d’une réponse bilatérale du Nigeria et du Cameroun alimentent le trafic illégal de bois
Le fait que le Plan d’action régional pour la conservation du chimpanzé du Nigeria-Cameroun de 2011, qui vise à juguler la perte de biodiversité, ait souffert de l’absence de mesures de mise en œuvre constitue un problème additionnel. Ce plan, qui s’engage à « interdire l’exploitation forestière incontrôlée », doit identifier les zones où une application bilatérale robuste de la loi mettrait fin à cette exploitation illégale et au trafic de bois.
Le Cameroun et le Nigeria sont des États parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Néanmoins, aucun des deux pays n’a adopté ce traité, bien qu’il puisse fournir un cadre pour lutter contre l’exploitation illégale du bois.
Pour mettre fin au trafic de bois, le Cameroun et le Nigeria ont besoin d’un engagement politique et opérationnel mutuel des secteurs de l’environnement et de la justice pénale. Le Plan d’action régional pour la conservation du chimpanzé du Nigeria-Cameroun de 2011 est un exemple de plateforme bilatérale solide. Il doit être mis en œuvre au plus vite, dans les deux pays. Ce plan se verrait amélioré en énumérant les actions nécessaires pour conserver les ressources essentielles de la biodiversité (notamment la flore et la faune) et promouvoir un développement durable.
Le Comité de sécurité transfrontalière Cameroun-Nigeria est bien placé pour exécuter ce plan et servir de pôle d’échange de renseignements. Ceci permettrait un échange en temps réel et un déploiement de patrouilles de sécurité conjointes.
Le ministère camerounais des Forêts et de la faune et le ministère fédéral nigérian de l’Environnement doivent promulguer des lois spécifiques conformément à la CITES pour lutter contre l’exploitation illégale des ressources en bois. Cette législation doit s’aligner sur les lois existantes dans les deux pays contre la corruption des agents publics.
Oluwole Ojewale, coordinateur régional de l'Observatoire du crime organisé en Afrique centrale, projet ENACT, ISS
Cet article a été publié pour la première fois par le projet ENACT. ENACT est financé par l'Union européenne (UE). Le contenu de cet article n’engage que l’auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l'UE.
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