Les médias russes

Quelles conséquences de la défaite de Wagner pour le Mali ?

Le Niger, le Burkina Faso — et l’Europe — doivent tirer des leçons de l’échec de Wagner.

Le mois dernier, The Sentry, une organisation américaine qui dénonce les « réseaux prédateurs multinationaux qui tirent profit des conflits, de la répression et de la kleptocratie », a publié un rapport montrant que Wagner avait échoué au Mali.

Les conclusions du rapport ont interpellé l’Afrique et l’Europe. L’arrivée au Mali de la célèbre société russe de sécurité privée en 2022-2023 avait suscité l’inquiétude, notamment des États africains pro-occidentaux.

L’Occident considère Wagner comme le pilier de la stratégie russe visant à supplanter l’influence occidentale, notamment française, au Sahel et au-delà. Wagner avait été invité par le régime militaire d’Assimi Goïta, qui a renversé le gouvernement civil du Mali en 2020 et expulsé les troupes françaises qui apportaient leur soutien contre les djihadistes et les séparatistes depuis une décennie.

En brossant le tableau d’une organisation sans risque pour les intérêts des Occidentaux, le rapport de The Sentry a certainement rassuré ces derniers.

La mission principale de Wagner était de défaire les insurgés. Les troupes françaises et maliennes, qui les avaient empêchés de s’emparer du pays en 2013, ne sont pas parvenues à maintenir leurs efforts les années suivantes. Les rebelles ont ainsi pu refaire surface.

L’incapacité du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta et de ses alliés français à instaurer la sécurité au Mali a contribué aux coups d’État militaires de 2020 et 2021 qui ont porté Goïta au pouvoir. Wagner a remplacé les Français en 2022. Cependant, après quelques victoires, le groupe a capitulé à son tour face aux insurgés.

 

Selon The Sentry, l’insécurité s’est accentuée après l’arrivée de Wagner et le nombre de victimes civiles a augmenté. Les données de Armed Conflict Location and Event Data (ACLED) citées par The Economist montrent que les décès liés au djihad s’est élevé en moyenne à 3 135 par an entre 2022 et 2024, contre 736 par an durant la décennie précédente. Près de 2 000 personnes ont déjà été tuées cette année.

The Sentry attribue l’échec de Wagner à son arrogance (en faisant preuve de racisme et de mépris envers les soldats maliens), à son incompétence (plusieurs soldats russes étaient d’anciens détenus), et à sa brutalité à l’endroit des civils, rompant pourtant une précieuse source d’informations.

Wagner n’a pas connu le même succès qu’en République centrafricaine, où il a fait main basse sur les ressources naturelles. Le groupe a quitté le Mali en juin, remplacé par Africa Corps, une unité de l’armée russe sous contrôle renforcé.

Un officier malien a déclaré à The Sentry : « Wagner est pire que les Français [...] nous sommes tombés de Charybde en Scylla ».

Le rapport conclut que Wagner n’était nullement « la force redoutable et l’acteur économique performant qu’il prétendait » et que cela « devrait servir d’avertissement aux Africains qui souhaiteraient engager Africa Corps, qui est soutenu par le ministère de la Défense [russe] ».

Cet avertissement s’adresserait au Niger et au Burkina Faso, théâtres de coups d’État récents, qui ont eux aussi expulsé les occidentaux pour se rapprocher de Moscou. Wagner ne semble pas être présent dans les deux pays.

Après quelques victoires, Wagner s’est avéré incapable de défaire les insurgés

Selon The Sentry, l’échec de Wagner devrait indiquer à l’Europe qu’elle « a peut-être une conception erronée des tactiques de Wagner » et ouvrir la voie à une approche diplomatique auprès des autorités militaires sahéliennes.

Héni Nsaibia, analyste principal d’ACLED pour l’Afrique de l’Ouest, estime que le passage de la Russie de Wagner à Africa Corps marque l’évolution de son engagement sur le terrain vers la stabilisation du régime, la protection des infrastructures et l’influence stratégique, même si elle continuera à mener des opérations de combat.

Ce changement « s’inscrit dans l’objectif de Moscou de se positionner comme une alternative fiable aux partenaires occidentaux, surtout auprès des gouvernements victimes d’insurrections ou d’isolement politique. Le modèle d’Africa Corps est pérenne et bénéficie d’un meilleur contrôle politique que les déploiements à risque de Wagner ».

Toutefois, réussira-t-il mieux que Wagner ? C’est possible si Africa Corps est plus discipliné et moins violent envers les militaires et la population. Wagner est surtout considéré comme une extension de l’armée russe qu’Africa Corps ne saurait surpasser.

L’insécurité se serait accentuée après l’arrivée de Wagner

Selon Maria Kucherenko, analyste au centre ukrainien CBA Initiatives, Wagner n’a jamais été réellement indépendant. Elle a déclaré l’année dernière au Congrès américain que « les services de renseignement russes, souvent sous le couvert de sociétés militaires, aident Moscou à soutenir des dictatures et à menacer la paix mondiale ».

Elle a ajouté : « Les recherches de la fondation Come Back Alive ont révélé la présence de Wagner — et de ses affiliés au sein de la direction générale des forces armées de la Fédération de Russie —lors d’opérations menées dans plus de 70 pays ».

On a pu voir des « propagandistes, des conseillers militaires et des agents des médias, soit l’ensemble du spectre de l’influence militaire et non militaire. La dénomination peut changer (Wagner, Africa Corps ou autre), mais la mission reste la même : créer des réseaux visant à déstabiliser la sécurité mondiale ». En juin à Kiev, Kucherenko a déclaré à ISS Today que sur ces 70 pays, 44 étaient africains.

Quelle est l’alternative du Mali en cas d’échec d’Africa Corps ? Comme le suggère The Sentry, cet échec permettrait aux États occidentaux de reprendre leur engagement dans la stabilisation des pays.

Bamako et Paris se montrent réticents à un retour de la France au Sahel. Interrogé en juillet sur ce point, Thani Mohamed-Soilihi, secrétaire d’État à la Francophonie et aux partenariats internationaux, a affirmé que la crise sécuritaire ne concernait plus son gouvernement.

L’incompétence et la violence de Wagner envers les civils ont tari ses sources d’informations

The Economist révèle néanmoins que les États-Unis ont mandaté des fonctionnaires dans des capitales, dont Bamako, pour discuter de l’aide à la sécurité et des accords sur les minerais. La Turquie et les États du Golfe semblent également intéressés.

Pour certains analystes, la stratégie de lutte contre le terrorisme prévaut sur le partenaire extérieur. Les tactiques militaires et non-militaires, comme le renseignement, la formation et des approches de développement complémentaires durables, s’avèrent nécessaires.

Le Mali aurait tout intérêt à diversifier son soutien militaire même si la géopolitique actuelle constitue un frein.

Quoi qu’il en soit, la finalité reste le retour à la démocratie. Cette perspective pourrait renforcer la stabilité et le développement et non soutenir les gouvernements autoritaires comme l’a fait la Russie, principalement pour contrecarrer les intérêts occidentaux.

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