Terroristes et braconniers s'en prennent aux gardes du bassin du Congo
Les gardes forestiers ont besoin de formation et d'équipement pour faire face à la menace croissante de groupes armés sophistiqués.
Publié le 10 octobre 2022 dans
ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT - Afrique centrale, ISS
À l'échelle mondiale, plus de 1 000 gardes forestiers ont été tués au cours de la dernière décennie. Selon le Fonds mondial pour la nature, plus d’une centaine sont morts dans l’exercice de leur fonction en Asie et en Afrique centrale en 2018 — près de la moitié aux mains de braconniers. Mais des centaines d'autres décès ne sont pas signalés dans les pays en développement, et les attaques dans le bassin du Congo sont en augmentation.
Le bassin du Congo abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l'Amazonie. Il s'étend sur six pays d'Afrique centrale (voir la carte) et possède une biodiversité qui comprend 400 espèces de mammifères, 1 000 espèces d'oiseaux et 700 espèces de poissons. Il est considéré comme le dernier habitat de l'éléphant de forêt, espèce menacée dont 60 % de la population a été perdue à cause des braconniers au cours de la dernière décennie.
Pays du bassin du Congo (cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Des dizaines de parcs nationaux dans le bassin du Congo abritent une riche faune sauvage, notamment des bonobos, des léopards, des bongos, des chats dorés africains, des pangolins arboricoles et des crocodiles africains à museau fin, tous menacés d'extinction. En raison du braconnage, certains animaux sauvages sont au bord de l'extinction et les écosystèmes des parcs menacés.
Les gardes forestiers du bassin du Congo jouent un rôle essentiel dans la sauvegarde de ses forêts, de sa faune et de ses ressources naturelles. Ils patrouillent dans les zones protégées, surveillent les niveaux d'eau des rivières et des lacs, gèrent les incendies, surveillent et soignent les animaux en détresse. Ils aident également les communautés à gérer les conflits entre l'homme et la faune, à surveiller les populations d'animaux sauvages et à traquer et intercepter les activités illégales. Les gardes travaillent sans relâche dans des conditions difficiles, notamment en courant le danger d’être blessés ou tués par des animaux sauvages, des braconniers et des villageois.
L'économie illicite mondiale des produits de la faune sauvage est estimée à plus de 20 milliards de dollars par an, ce qui la place au quatrième rang en termes de valeur après la drogue, les armes et le trafic d'êtres humains. Les recherches indiquent que les pays africains perdent chaque année 25 millions de dollars à cause du seul braconnage des éléphants. Les efforts déployés pour réduire cette économie illicite placent les gardes forestiers africains dans la ligne de mire des braconniers.
Des groupes armés basés dans et autour du parc national des Virunga attaquent les gardes avec des armes militaires
Par ailleurs, les sentiments hostiles des communautés locales à l'égard des parcs mettent en danger leurs gardes. Des conflits éclatent au sujet des limites des parcs et de l'appropriation des terres. Les réglementations relatives à l'utilisation des ressources naturelles empêchent également les habitants d'utiliser les parcs à des fins agricoles. Les groupes armés — dont beaucoup ont des liens familiaux ou sociaux avec les membres de ces communautés — utilisent ces conflits pour obtenir un soutien dans les zones où ils opèrent et se livrent au braconnage.
Depuis 2010, les attaques dénombrées contre des gardes forestiers dans le bassin du Congo sont en augmentation, en particulier dans les parcs nationaux de Lobéké, de la Garamba, de Kahuzi-Biega et des Virunga. Les recherches du projet ACLED (Armed Conflict Location & Event Data) montrent que les attaques étaient sporadiques il y a dix ans, mais qu'elles augmentent peu à peu. Les données de l'ACLED reposent sur les groupes locaux et les rapports des médias, et de nombreux incidents ne sont probablement pas déclarés.
Le parc national des Virunga est devenu une zone sensible, avec plus de 100 personnes assassinées ces dernières années parmi les 700 gardes de l'équipe du parc. En 2014, des tireurs inconnus ont blessé le défenseur belge de la conservation de la nature, de renommée internationale, Emmanuel de Merode, directeur du parc. En 2018, le parc a été fermé pendant huit mois à la suite de la mort d'une femme garde forestier et l'enlèvement de deux touristes britanniques et de leur chauffeur. Douze gardes forestiers sont morts dans des attaques de braconniers en 2020 et neuf autres en 2021, dont six écogardes de l'Institut congolais pour la conservation de la nature.
Le trafic illicite d'espèces sauvages et de ressources naturelles finance les opérations des groupes armés
Parmi les attaquants, on trouve des groupes terroristes locaux tels que la milice Mayi-Mayi, les rebelles du M23 et des bandits armés non identifiés, ainsi que des insurgés ayant une portée transnationale en Afrique centrale et dans les pays voisins. Il s'agit notamment de l'Armée de résistance du Seigneur, des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda et de la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique.
Nombre de ces insurgés ont établi des bases dans et autour du parc national des Virunga et attaquent les gardes forestiers avec des armes habituellement utilisées par des militaires. Le trafic illicite de produits de la faune sauvage (notamment l'ivoire d'éléphant, la corne de rhinocéros, la viande, les os et les peaux de gibier) et d'autres ressources naturelles (comme les minéraux, le bois et le charbon de bois) finance et soutient les opérations terroristes. Selon une coalition d'organisations de défense de l'environnement et des droits de l'homme, les groupes armés gagnent ainsi des centaines de milliers de dollars chaque mois.
Un responsable de l'Agence nationale des parcs nationaux du Gabon (ANPN), qui s'est confié au projet ENACT sous couvert d'anonymat, note que des terroristes originaires de pays d'Afrique de l'Ouest, de l'Est et du Centre envahissent les forêts gabonaises, où ils attaquent les gardes forestiers et volent leurs armes.
La formation des gardes forestiers doit intégrer les exercices paramilitaires et la surveillance
Il devient essentiel de donner la priorité à la sécurité des gardes forestiers en raison de l'augmentation du nombre d'attaques. Les solutions consistent à doter les équipes de ressources adéquates et à améliorer leur formation pour répondre à la demande et à la dynamique de la guerre contre le braconnage. En raison du danger extrême auquel sont confrontés les gardes forestiers, la formation doit intégrer des exercices paramilitaires, la surveillance aérienne secrète, la gestion des scènes de crime et l'établissement de relations avec les communautés pour la collecte de renseignements.
Compte tenu de la sophistication des groupes armés et des braconniers, les gouvernements doivent également améliorer l’armement des gardes forestiers. Récemment, au Cameroun, des soldats ont été déployés pour les seconder — une stratégie que les autres pays du bassin du Congo pourraient suivre. Une force d'intervention multinationale conjointe des pays du bassin du Congo (qui sont tous membres de la Commission des forêts d'Afrique centrale) est une autre solution viable qui doit être explorée.
« Nous devons vraiment collaborer pour gagner cette guerre, déclare le responsable de l'ANPN. La coopération bilatérale et multilatérale est très importante ». Les États membres du bassin du Congo doivent protéger la vie de ceux qui protègent leurs forêts contre les assaillants extérieurs, notamment les groupes terroristes et les braconniers armés.
Oluwole Ojewale, coordinateur régional de l'Observatoire du crime organisé – Afrique centrale, ENACT, ISS
Cet article a été publié pour la première fois par ENACT.
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