Terrorisme en Tunisie : des liens avec l’étranger, mais pas seulement

Pour prévenir les attentats, il faut répondre aux revendications locales et non simplement s’attaquer aux liens avec des groupes extrémistes étrangers.

Jeudi 27 juin à 10 h 50, un attentat-suicide a pris pour cible une patrouille de police dans le centre-ville de Tunis. Un agent de police a été tué, et deux personnes blessées ; un autre agent et un passant. Moins d’une demi-heure plus tard, à 1,5 km de là, un second attentat-suicide a pris pour cible une unité antiterroriste à la sortie de sa caserne, alors qu’elle s’apprêtait à enquêter sur la première explosion. L’attentat a blessé six agents, dont deux grièvement. Les attentats ont tous deux été revendiqués par L’État islamique.

Produits le lendemain du quatrième anniversaire de l’attaque terroriste contre des touristes étrangers à Sousse, qui avait fait 38 morts, les attentats ont souligné la complexité actuelle des défis liés à la sécurité en Tunisie.

L’État doit s'abstenir de répondre en multipliant les effectifs des forces de défense et de concentrer ses ressources dans une police technique comme seul moyen de combattre le terrorisme. Le gouvernement doit plutôt se mobiliser et améliorer les conditions sociales, économiques, idéologiques et de gouvernance qui engendrent la radicalisation et menacent la stabilité du pays.

La Tunisie est actuellement confrontée à deux problèmes sécuritaires distincts. Le premier consiste en de petites cellules d'individus qui ont perpétré des attentats récurrents et de faible envergure dans des zones urbaines au cours des dernières années, dont un attentat-suicide à Tunis en octobre dernier et des lettres empoisonnées envoyées en début d'année. Même si aucune de ces attaques n’a causé un nombre important de victimes, la quasi-totalité ciblait des agents de l’État, tout particulièrement des membres des forces de sécurité.

La prévention du terrorisme ne dispose ni des ressources nécessaires ni d’un intérêt porté sur la formation des forces de sécurité

La baisse de la violence dans les villes tunisiennes est à mettre sur le compte de l’amélioration des compétences techniques et de l’expérience des forces de sécurité, ainsi que leur capacité à identifier et à arrêter des terroristes avant qu’ils ne frappent. Cependant, alors même que les capacités du gouvernement se sont améliorées en matière de traque antiterroriste, ce travail devient de plus en plus ardu.

De nombreuses cellules terroristes ont prêté allégeance à l’État islamique. Mais les liens semblent limités, et il existe peu d’indications selon lesquelles ces cellules auraient reçu une formation ou un appui opérationnel actif de la part du réseau terroriste mondial. Au contraire, elles apprennent par elles-mêmes les notions opérationnelles - souvent maladroitement, et donc vouées à l’échec. Néanmoins, en raison de leur visibilité limitée, les forces de sécurité peinent à identifier et à interdire ces groupes.

Le caractère synchrone des attentats de jeudi et le fait qu’ils aient ciblé les premières forces d’intervention est atypique en Tunisie. Des cellules terroristes urbaines mieux organisées et stratégiquement aptes inquiètent, tant il est vrai qu’elles échappent à l’attention des forces de sécurité.

Le second problème sécuritaire réside dans la région accidentée du nord-ouest de la Tunisie. Deux groupes terroristes, l’un affilié à Al-Qaeda au Maghreb islamique et l’autre à l’État islamique, mènent une insurrection de faible ampleur depuis 2011. De même que dans les villes, les attaques ciblent majoritairement le personnel des forces de défense et de sécurité, faisant près de 150 morts et plus de 200 blessés au cours des huit dernières années. Les civils sont également de plus en plus pris pour cible, dans ce qui semble être une tentative de les forcer à se ranger dans le camp des terroristes.

Le gouvernement a remporté quelques victoires importantes dans le nord-ouest, tuant de nombreux terroristes et faisant considérablement baisser le nombre d’attentats. Les forces de sécurité n’ont toutefois pas été capables de mettre fin aux combats. Au contraire, il semble que l’État islamique étende sa zone d’opération au sud, occupant ainsi à nouveau un territoire que le gouvernement avait repris à Al-Qaeda quelques années auparavant.

La Tunisie n’a pas connu d’attentats aussi bien orchestrés que ceux de jeudi, qui ont pris pour cible les premières forces d’intervention

Les estimations portant sur le terrorisme en zones urbaines et rurales tunisiennes portent principalement sur leurs liens à l’internationale. Al-Qaeda se concentre depuis près de vingt ans sur la Tunisie, déployant des combattants algériens et sahéliens dans les montagnes de l’ouest. Dans la même mesure, de nombreux Tunisiens ont rejoint l’État islamique en Syrie, et de plus en plus de combattants étrangers originaires de Tunisie sont de retour chez eux.

Mais en se focalisant sur les connexions internationales des différents groupes, on occulte l’importance du fait que le terrorisme en Tunisie est engendré par des facteurs locaux et qu’il vise des cibles locales. Progressivement, les problèmes économiques de la Tunisie s’aggravent et dégradent la qualité de vie de nombreuses familles issues des classes moyenne et ouvrière.

Les politiciens n’ont ni apporté de changements réels ni amélioré la prestation de services, ce qui entraîne un certain cynisme et une désillusion quant à la démocratie. De manière plus insidieuse, des inégalités structurelles profondes barrent l’accès aux opportunités économiques et entraînent un mauvais traitement des Tunisiens originaires de régions, de quartiers ou de familles spécifiques par les autorités gouvernementales (notamment les agents des forces de sécurité).

Ces problèmes sont source de frustration chez les jeunes. Certains recourent alors à l'immigration pendant que d’autres s’engagent dans une agitation sociale cyclique. Mais en raison de cette frustration, certains parmi eux - surtout ceux issus de régions, quartiers ou familles marginalisés -, se sont radicalisés et se sont tournés vers le terrorisme, s’attaquant ainsi à ceux qui seraient responsables de leur mal-être.

Cette dimension locale se traduit dans la configuration des attentats dans les zones urbaines et rurales, ceux visant des touristes étrangers sont certes de haute envergure, mais peu fréquents, tout comme les incidents ciblant des civils.

Des forces de sécurité mieux formées et équipées peuvent atténuer la menace, mais pas la vaincre

Soutenu par des partenaires internationaux, le gouvernement investit massivement dans le renforcement des capacités des forces antiterroristes et de la police non specialisée depuis 2015, dans le but de traquer et combattre les terroristes.

Mais des forces de sécurité mieux formées et bien équipées ne pourront qu’atténuer la menace, non la vaincre. Pour ce faire, il faut répondre au marasme économique du pays, aux manquements des performances du système politique et aux inégalités enracinées dans la société – à savoir, les facteurs qui alimentent les revendications sociétales et qui poussent certains jeunes à rejoindre des groupes terroristes.

Un certain nombre d’initiatives visant à prévenir l’extrémisme ont été menées par le gouvernement et par des bailleurs internationaux, mais beaucoup ont souffert d’un manque de coordination s’accompagnant d’une couverture géographique et d’un impact limités. La prévention du terrorisme ne dispose pas des ressources financières nécessaires ni de l’intérêt continu du gouvernement, porté sur le renforcement des capacités des forces de sécurité.

Alors que le gouvernement tunisien et ses partenaires internationaux planifient leur réponse aux attentats de jeudi, la priorité doit aller aux enquêtes et poursuites judiciaires. Mais ces acteurs ne doivent pas perdre de vue ce qui pousse au terrorisme en Tunisie. Il faut élargir les approches portant en priorité sur la sécurité, afin d’y inclure des stratégies holistiques de prévention du recrutement terroriste.

Il s’agit donc de régler les problèmes sous-jacents qui menacent la stabilité de la Tunisie. Cette tâche, qui ne peut s’accomplir rapidement ou facilement, nécessite une patience stratégique considérable de la part des forces de sécurité, qui ont toujours dominé les processus décisionnaires du gouvernement en matière de sûreté. Cette approche reste malgré tout la meilleure façon d’éviter une recrudescence des attentats.

Dr Matthew Herbert, Consultant Chercheur principal, ISS

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Photo : Amine Ghrabi/Flickr

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