Tchad : peut-on rechercher la paix en préparant la guerre ?

Malgré son engagement pour la réconciliation, le Tchad accorde la priorité aux investissements militaires et à la coopération sécuritaire à l’internationale.

Après la mort du président Idriss Déby en avril 2021, le Tchad a entamé un processus de transition avec un engagement des autorités provisoires en faveur de la réconciliation et de la paix. Mais la lenteur des progrès et l’accent de plus en plus marqué sur la coopération militaire et sécuritaire avec des acteurs extérieurs font douter de la sincérité de cet engagement. Ceci constitue également un obstacle à la possibilité de mettre fin à la domination de l’armée, qui caractérise le Tchad depuis le premier coup d’État militaire en 1975.

La période de transition initiale de 18 mois a été prorogée à 24 mois à la suite du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) en octobre 2022. La réconciliation reste incomplète et précaire, malgré la tenue du DNIS et la signature en août 2022 de l’accord de Doha entre le gouvernement de transition et les mouvements rebelles.  

Le gouvernement est responsable de la feuille de route pour la réconciliation nationale et a nommé un ministre pour en superviser la mise en œuvre. Cependant, la forte répression des manifestants en octobre dernier et le ton belliqueux des autorités dans la justification de la répression, entre autres, contredisent cet engagement.

Le budget national de 2023, qui devait accorder la priorité à la mise en œuvre des résolutions du DNIS, prévoit une augmentation de plus de 20 % des crédits alloués à la défense et à la sécurité et leurs ressources humaines devraient augmenter de 245 %. Ce chiffre contraste fortement avec la diminution de 18 % des crédits accordés à à la même ligne pour l’éducation. Si les crédits alloués aux secteurs productifs, y compris les infrastructures, ont également augmenté, il n’en va pas de même pour les dépenses pour les secteurs sociaux tels que l’éducation et la santé.

Le gouvernement tchadien a signé de nombreux accords de coopération en matière de sécurité au Moyen-Orient

Le gouvernement tchadien se concentre largement sur les services de sécurité, notamment militaires, et signe de nombreux accords de coopération sécuritaire au Moyen-Orient. Depuis le début de l’année 2023, sa diplomatie étrangère est dominée par les questions de défense et de sécurité. En janvier, le pays a signé un protocole d’accord avec l’Arabie Saoudite sur la coopération, notamment en matière de défense, de formation, de matériel et de soutien technique. En Israël, où le Tchad a ouvert une ambassade en février, une assistance similaire a fait l’objet de discussions.

Le pays est confronté à diverses menaces sécuritaires, avec des rébellions et des bandes armées aux frontières nord avec la Libye et le Soudan. Parallèlement, Boko Haram reste actif dans l’ouest du pays, notamment dans la province du Lac. À cela s’ajoutent les rumeurs persistantes d’une nouvelle rébellion dans le sud, avec pour base la zone septentrionale de la République centrafricaine. Des rumeurs circulent également quant à l’éventualité d’un coup d’État contre les autorités de transition par des rebelles tchadiens soutenus par la société militaire privée Wagner.

Malgré ces problèmes, les investissements militaires du Tchad sont très élevés et révèlent son incapacité à se détacher d’une orientation militaire. Les acteurs politiques s’imposent ou écartent leurs opposants par la violence qui reste l’un des principaux moyens d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir. Cette culture en matière de gouvernance pourrait sérieusement mettre à mal le programme de réconciliation et réduire les perspectives d’un retour à un régime constitutionnel civil.

La concorde entre les groupes politiques qui ont soutenu la transition dans la première phase s’effrite progressivement. Parallèlement, les positions des opposants de la première heure se durcissent, certains évoquant des perspectives aussi radicales que l’autodétermination. En dehors des efforts de la communauté de Sant’Edigio pour intégrer dans le processus les mouvements rebelles qui n’ont pas signé l’accord de Doha, les tentatives de rapprochement entre les autorités et les partis politiques d’opposition semblent au point mort.

La concorde entre les groupes politiques qui ont soutenu la transition s’effrite progressivement

Un cadre indépendant de suivi et d’évaluation des résolutions et recommandations du DNIS a été mis en place en décembre 2022, ainsi qu’un haut comité de pilotage pour le suivi de leur mise en œuvre. La direction du cadre est assurée par le secrétaire général de la présidence, Gali Ngothé Gatta, et le haut comité de pilotage est dirigé par le Premier ministre de transition, Saleh Kebzabo.

En janvier, une commission nationale chargée d’organiser le référendum constitutionnel et un comité ad hoc pour la rédaction de la constitution ont été créés. Cependant, leur composition, leur caractère inclusif et leur neutralité ont été remis en question, même par ceux qui avaient activement soutenu la transition et le DNIS.

La dynamique actuelle rappelle celle qu’a connue le Tchad au début des années 1990. Malgré une conférence nationale solide et une feuille de route pour un avenir politique pacifique et ouvert, le pays retombe dans un régime autoritaire, avec de nombreuses rébellions et un investissement massif de ses revenus pétroliers dans l’armée. En conséquence, les projets sociaux et d’infrastructure restent en suspens.

Dans cette deuxième phase de la transition, le fait de mettre l’accent sur la défense, l’absence d’un réel débat politique et le durcissement des positions politiques risquent de maintenir le pays dans une optique militaire.

Mettre l’accent sur la défense pourrait maintenir le Tchad dans une position militaire

Le besoin de stabilité après la mort soudaine de Déby a été utilisé pour justifier le soutien d’acteurs internationaux en faveur d’une transition dirigée par les militaires. Mais les efforts doivent maintenant être réorientés vers la réconciliation nationale. Toutes les parties, qu’il s’agisse des autorités de transition, des acteurs politiques et des rebelles en discussion avec Sant’Egidio, partagent la même responsabilité, celle de briser ce cycle par des positions plus nuancées et modérées.

La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et l’Union africaine (UA) jouent un rôle clé dans la transition depuis le début. Grâce à sa commission d’enquête sur les manifestations et la répression d’octobre 2022, la CEEAC pourrait apaiser les tensions en faisant la lumière sur ce qui s’est passé. L’UA, grâce à son Conseil de paix et de sécurité et à son envoyé spécial au Tchad, devrait mettre en place une mission de médiation pour apaiser les tensions et trouver un terrain d’entente.

Ces initiatives sont essentielles pour un processus plus ouvert et inclusif et empêcher le Tchad de revenir à la case départ.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et des Grands Lacs, ISS

Image : © Aurelie Bazzara-Kibangula / AFP

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Cette publication fait partie d’une série d’articles sur la prévention des coups d’État en Afrique de l’Ouest et au Sahel. La recherche pour cet article a été financée par Irish Aid. L’ISS remercie également pour leur soutien la Fondation Bosch et les membres du Forum de partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, l’Union européenne, l’Open Society Foundation et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suède.
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