Sur quel pied danseront les BRICS élargis ?
L’inclusion récente de six nouveaux membres au sein des BRICS renforcera-t-elle le multilatéralisme ou la bipolarité ?
À première vue, le président sud-africain Cyril Ramaphosa est le grand gagnant du 15e Sommet des BRICS qui s’est tenu à Johannesburg du 22 au 24 août 2023. Il a manifestement convaincu le président russe Vladimir Poutine de ne pas y assister en personne et a attiré une soixantaine de dirigeants africains et du Sud global dans le cadre de l’ouverture des BRICS.
Ramaphosa a surtout présidé un Sommet au cours duquel les cinq dirigeants des BRICS ont décidé d’inviter six nouveaux membres à rejoindre le bloc : l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte et l’Argentine.
Jusqu’au dernier moment, il semblait que les dirigeants des BRICS n’allaient se mettre d’accord que sur les critères et procédures d’acceptation de nouveaux pays, et qu’ils n’intégreraient peut-être les nouveaux membres qu’en tant que « partenaires des BRICS ». Cependant, ils ont finalement accepté six membres à part entière, et octroyé le statut de partenaire à 16 autres ayant fait la demande officielle.
Si l’élargissement est un succès pour Ramaphosa, il l’est sans doute davantage pour le président chinois Xi Jinping, qui a mené une campagne énergique en faveur de l’élargissement de l’alliance. Initialement, le Premier ministre indien Narendra Modi s’est montré réticent car il pense que cette expansion pourrait renforcer la position de la Chine à l’échelle mondiale. Le président brésilien Lula da Silva aurait nourri des craintes similaires. Peut-être avaient-ils raison.
On ne sait pas exactement ce qui les a convaincus de changer d’avis. Mais le résultat est un groupe des BRICS élargi qui représente aujourd’hui 36 % du produit intérieur brut (PIB) mondial en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA) et 46 % de la population mondiale, selon le président Lula.
L’expansion est un succès pour Ramaphosa, mais plus encore pour Xi Jinping
Certains responsables des BRICS se félicitent de ce que le PIB des BRICS élargis (60 000 milliards de dollars) dépasse désormais celui du G7 (49 000 milliards de dollars) en PPA (bien qu’en termes nominaux, le G7 reste en tête avec 43 000 milliards de dollars contre 29 000 milliards de dollars pour les BRICS).
Il s’agit là d’un chiffre important, car les BRICS constituent effectivement un groupe informel du Sud global au sein du G20, d’un point de vue institutionnel mais aussi de manière plus générale. Le G7, quant à lui, regroupe des pays du Nord. Avec l’admission de l’Arabie Saoudite et de l’Argentine, les BRICS comptent désormais sept membres au sein du G20.
L’intérêt croissant pour l’adhésion aux BRICS s’explique par le fait que les pays en développement et émergents contestent la domination du Nord, en particulier au sein du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce. Les membres des BRICS veulent supplanter la suprématie du dollar américain dans le commerce et la finance internationale et, dans un monde polarisé par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ils recherchent la sécurité par le nombre.
Pour beaucoup, les BRICS sont en passe de devenir le nouveau mouvement des non alignés, ou peut-être le G77 plus la Chine, mais avec une approche plus proactive, influente et efficace. Mais pourquoi les BRICS seraient-ils plus efficaces, et en quoi sont-ils non alignés ? La réponse à ces deux questions pourrait être unique, à savoir qu’il s’agit principalement du projet de la Chine. Xi était l’éminence grise du Sommet. L’Afrique du Sud lui a accordé une visite d’État la veille et lui a décerné l’Ordre de l’Afrique du Sud.
Et la Chine semble avoir obtenu à peu près tout ce qu’elle voulait de ce Sommet. Notamment l’élargissement du nombre de membres et l’inclusion des puissances pétrolières du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, qui penchaient auparavant plutôt du côté de l’Occident.
Les trois démocraties des BRICS, l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil, perdront encore du terrain dans le bloc élargi
Il est également évident que les trois démocraties des BRICS, l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil, déjà éclipsées par la Chine sur le plan économique, perdront encore du terrain au sein des BRICS élargis. Parmi les nouveaux membres, seule l’Argentine peut être considérée comme démocratique. Le score moyen de Freedom House pour les droits politiques et les libertés civiles est passé de 48,4 % à 36,7 %.
Les BRICS sont donc désormais fermement établis comme étant un club d’autocraties. Se souvient-on de l’IBSA (Inde-Brésil-Afrique du Sud) ? Il s’agissait de l’alliance des trois démocraties des BRICS, formée en 2004, cinq ans avant les BRICS. L’IBSA est devenue obsolète par l’absorption de ses pays membres par les BRICS, et plus encore par le passage aux BRICS Plus. Les hauts représentants affirment que l’IBSA existe toujours sur le papier et que ce groupe se réunira en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) le mois prochain. Mais personne ne le remarquera.
De plus, la Chine n’offre que peu de choses en retour aux autres membres des BRICS. L’un des principaux objectifs de . Ramaphosa lors de sa rencontre bilatérale avec Xi était de réduire le déficit commercial important et déséquilibré de l’Afrique du Sud vis-à-vis de la Chine. L’Afrique du Sud exporte principalement des matières premières et importe surtout des produits manufacturés. Ramaphosa a obtenu de vagues promesses selon lesquelles la Chine importerait davantage de produits sud-africains à valeur ajoutée, ainsi qu’un accord concret pour l’importation d’avocats sud-africains.
Plus important encore, Xi n’est pas disposé à concéder le pouvoir à ses partenaires démocratiques des BRICS. Ironiquement, les trois membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité des Nations Unies, à savoir les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, ont publiquement déclaré être favorables à ce que l’Afrique et d’autres régions non représentées obtiennent des sièges permanents au sein d’un Conseil de sécurité élargi. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, dans une certaine mesure, font campagne depuis des décennies pour obtenir ces sièges.
Mais la Déclaration des BRICS de Johannesburg II a démontré qu’une fois de plus, la Chine au moins, si ce n’est la Russie, n’est pas prête à joindre le geste à la parole. Chaque déclaration de Sommet contient un paragraphe appelant à une réforme complète des Nations Unies, notamment du Conseil de sécurité, afin de le rendre plus représentatif des pays en développement, et soutenant les aspirations du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud à « jouer un rôle plus important au sein des Nations Unies ».
Le score de Freedom House pour les BRICS en droits politiques et libertés civiles est passé de 48,4 % à 36,7 %
La Déclaration de Johannesburg II n’a fait que répéter les déclarations précédentes sur cette question – avec un petit ajout. Elle indique que les BRICS soutiennent les aspirations du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud à « jouer un rôle plus important dans les affaires internationales, en particulier aux Nations Unies, notamment au sein du Conseil de sécurité ».
La Chine et la Russie, qui occupent des postes permanents au Conseil de sécurité, ne se sont toujours pas engagées explicitement à soutenir l’octroi de sièges permanents à leurs homologues des BRICS. Un responsable étatique s’est néanmoins félicité de ce léger changement. Il a déclaré qu’il s’agissait d’un changement important qu’il était difficile de faire accepter.
Mais la Chine et la Russie ne devraient-elles pas logiquement soutenir l’octroi de sièges permanents à leurs partenaires des BRICS ? Après tout, les BRICS sont censés renforcer la voix et le pouvoir du Sud global.
Dans un article récent de Foreign Policy, Oliver Stuenkel, professeur associé de relations internationales à la Fondation Getulio Vargas de São Paulo, écrit qu’il serait simpliste d’interpréter l’expansion des BRICS comme un signe de force. « Il faut plutôt y voir un signe de la capacité croissante de la Chine à déterminer la stratégie globale du bloc, et cela pourrait refléter l’émergence non pas d’un ordre multipolaire, mais d’un ordre bipolaire. »
Grâce à des BRICS plus forts, le Sud pourrait exercer une plus grande influence sur les décisions importantes. Mais ses membres, et notamment les démocraties, devraient veiller sans relâche à ce que le bloc serve leurs intérêts au sens large, et non ceux des nouveaux hégémons en devenir.
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : Présidence Afrique du Sud/Twitter
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