Soudan du Sud : la crise au Soudan voisin pourrait ralentir encore la transition

Pour protéger ses revenus pétroliers et préserver son processus de paix, le Soudan du Sud doit conserver sa neutralité face à la guerre au Soudan.

La guerre qui a éclaté en avril 2023 entre différentes entités de l’appareil sécuritaire soudanais pourrait entraver le processus de paix déjà fragile du Soudan du Sud.

Le conflit soudanais a détourné l’attention régionale et internationale du Soudan du Sud et ainsi relâché la pression exercée sur le gouvernement de cet État pour qu’il respecte les conditions de la transition. Il pourrait également aggraver la crise humanitaire et les violences communautaires qui sévissent à travers le pays. Par ailleurs, la situation représente une menace pour les importantes recettes pétrolières du Soudan du Sud, ce qui pourrait exacerber les rivalités et la méfiance parmi ses dirigeants.

La mise en œuvre de l’accord de paix de 2018 a été retardée par de nombreux facteurs internes et externes, ce qui a conduit à une prolongation de deux ans de la période de transition, qui doit désormais s’achever en février 2025. Cette extension s’accompagne de critères essentiels qui devront être remplis avant les élections de décembre 2024. Il s’agit notamment de parachever la Constitution, d’unifier et de redéployer les forces armées et de remettre en place une législation relative aux élections ainsi que les institutions correspondantes.

Le processus de paix a été compromis par l’absence de volonté politique dans la mise en œuvre de réformes essentielles, la défiance entre les parties, la faiblesse des institutions, y compris des forces de sécurité, le manque de ressources, la persistance des violences intercommunautaires et une succession de catastrophes naturelles, telles que des inondations. Parmi les facteurs externes figurent l’instabilité du Soudan depuis 2019, la pandémie de COVID-19, la guerre dans le nord de l’Éthiopie et le retrait de fonds américains destinés aux mécanismes de suivi du processus de paix du fait de l’absence de progrès durables.

Les demandes non satisfaites des rapatriés pourraient mener à de nouveaux affrontements

À cela s’ajoute un afflux de réfugiés qui complique encore la situation économique et sécuritaire déjà fragile du Soudan du Sud. Plus de 117 000 Sud-Soudanais de retour du Soudan ont un besoin urgent de nourriture et d’autres produits de première nécessité, ainsi que de camps adéquats. Leurs maisons ont été brûlées ou sont occupées par de nouveaux arrivants, ce qui entraîne des confrontations et des violences entre rapatriés et résidents que les forces de sécurité unifiées du pays ne sont pas en mesure d’empêcher.

Le problème est particulièrement aigu dans certaines zones comme Malakal, la capitale de l’État du Haut-Nil au Soudan du Sud et l’un des principaux points de chute des nouveaux rapatriés fuyant le conflit soudanais. Le bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires indique qu’environ 25 000 rapatriés devraient arriver — et rester — à Malakal, déjà considérée comme un important foyer de violence en raison de la pénurie de ressources.

Sous l’effet des violences et des graves inondations, la situation humanitaire au Soudan du Sud est désastreuse depuis plusieurs années. On estime que 9,4 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, mais le gouvernement ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour faire face aux problèmes du pays. Les demandes non satisfaites des rapatriés pourraient entraîner de nouveaux affrontements susceptibles de dégénérer rapidement en conflits intercommunautaires et en attaques contre les acteurs humanitaires. Une telle instabilité rendra encore plus difficile la réalisation des nombreux objectifs en suspens de la transition.

Les Forces de soutien rapide du Soudan auraient déjà menacé de fermer les oléoducs

La guerre au Soudan menace également les gisements pétroliers, ainsi que les oléoducs et autres installations basées dans le pays, que Juba finance et utilise. Les recettes pétrolières du Soudan du Sud, qui représentent près de 90 % des revenus de l’État, pourraient s’en trouver fortement réduites. Le pays achemine en effet son pétrole brut vers les marchés internationaux via la ville portuaire soudanaise de Port-Soudan, sur la mer Rouge, au moyen d’un oléoduc de 1 600 km. En échange de droits de transit versés par le Soudan du Sud, le Soudan garantit la protection des infrastructures pétrolières qui traversent son territoire.


Principales infrastructures pétrolières au Soudan et au Soudan du sud

Source : Africa Ports
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Bien que les ministères du Pétrole du Soudan et du Soudan du Sud aient affirmé que les installations pétrolières soudanaises étaient bien protégées, d’aucuns craignent l’arrêt des flux de pétrole vers les marchés internationaux. Selon certaines sources, les Forces de soutien rapide du Soudan menaceraient déjà de fermer les oléoducs dans les zones sous leur contrôle si Juba refuse de partager ses revenus pétroliers ou continue de payer des droits de transit au gouvernement soudanais dirigé par l’armée.

La sécurité des gisements de pétrole pourrait être utilisée comme monnaie d’échange par les factions combattantes soudanaises à la recherche d’une alliance avec le gouvernement du Soudan du Sud. Si Juba venait à prendre parti pour l’une des forces en présence, le camp opposé tenterait probablement de faire pression sur les autorités sud-soudanaises pour les amener à changer de position en invoquant la protection des gisements pétrolifères. La sécurisation de ces gisements dépendra donc de l’implication du Soudan du Sud dans la gestion du conflit.

La logistique et le transport de fournitures essentielles à la production pétrolière, qui dépendent de l’axe routier menant à Port-Soudan, ont également été perturbés. Le Soudan du Sud a annoncé qu’il importerait désormais ces produits essentiels via les ports de Djibouti et du Kenya en raison de la guerre au Soudan et des surcoûts qui en découlent.

Alors que le manque de transparence des autorités sud-soudanaises sur leur utilisation des recettes pétrolières constitue l’une des principales causes des problèmes économiques du pays, cette nouvelle menace limite les capacités budgétaires de Juba à mettre en œuvre d’importantes mesures en amont des élections de décembre 2024. Compte tenu de la diminution importante de l’aide financière internationale au cours des dernières années, il est essentiel pour le Soudan du Sud de disposer de ressources nationales pérennes.

La protection des gisements de pétrole au Soudan doit être au centre des efforts de résolution du conflit

Si les revenus nationaux venaient à diminuer, les transactions illégales et les rivalités à la tête du pays risqueraient de s’intensifier afin de pallier le manque de ressources et de préserver les intérêts personnels. Un tel scénario alimenterait les suspicions et les tensions entre les groupes politiques, ce qui compliquerait le règlement de certaines questions essentielles d’ici les élections.

Si la désescalade du conflit au Soudan constitue une priorité absolue, le Soudan du Sud se doit de préserver sa neutralité envers les parties belligérantes afin d’éviter de faire des gisements pétroliers une cible. La protection de ces gisements doit être au centre des efforts régionaux et internationaux pour résoudre le conflit et les deux parties belligérantes doivent en assumer l’entière responsabilité. Parallèlement, une aide financière internationale est nécessaire pour remédier à la situation humanitaire désastreuse au Soudan du Sud.

Selam Tadesse Demissie, chercheure, ISS Addis-Abeba

Image : © IOM 2023

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