Sommet Russie-Afrique : entre diplomatie de façade et jeu politique

Pour ne pas être accusés de faire le jeu de Moscou, les dirigeants africains doivent réaffirmer les priorités du continent.

Le second sommet Russie-Afrique, qui se tiendra les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg, est pour Moscou une phase essentielle de relance de ses relations avec l'Afrique. La rencontre aura lieu dans une période particulièrement sensible sur le plan géopolitique et suscitera certainement plus d'intérêt que le premier sommet Russie-Afrique en 2019.

Les États africains parviendront-ils à être suffisamment unis pour faire pencher le sommet en faveur du continent ? Ou bien cet événement très médiatisé sera-t-il encore un nouvel exemple d’opération de séduction de grande envergure envers les dirigeants africains ?

Le sommet devrait rassembler au moins 40 chefs d'État et hauts responsables africains. Il se concentrera sur le renforcement de la coopération entre Moscou et les capitales africaines dans cinq grands domaines : la politique, la sécurité, les relations économiques, la science et la technologie, ainsi que l'engagement culturel et humanitaire.

Ce programme ambitieux prévoit l’organisation en parallèle d’un forum économique et humanitaire destiné à « diversifier la portée et la nature de la coopération russo-africaine, afin d'en assurer le développement à long terme ».

La rencontre de Saint-Pétersbourg est une occasion pour la Russie de prouver qu’elle n'est pas isolée

L'envergure de ce rassemblement illustre le changement de direction stratégique récent de Moscou pour se rapprocher de nouveau de l'Afrique, et ses tentatives pour récupérer le terrain concédé à d'autres puissances mondiales rivales à la recherche de plus d'influence sur le continent. Selon les organisateurs, le Forum économique du sommet de Sotchi en 2019 avait réuni plus de 6 000 participants et abouti à la signature de 92 accords commerciaux et d’engagements d'une valeur de plus de 12,5 milliards de dollars.

Ce sommet fait écho à d'autres rencontres bilatérales de l'Afrique telles que le Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique de 2022, la 8e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique en 2022 ou le Sommet de Beijing sur la coopération entre la Chine et l'Afrique en 2018 (et la rencontre des ministres qui en résulta à Dakar en 2021).

Ces événements sont utiles à la coordination des priorités stratégiques, mais la rencontre Russie-Afrique de 2023 est sans doute bien plus importante pour Moscou. Depuis le sommet de Sotchi, la Russie est résolument tournée vers l'Afrique afin de contourner les mesures d'isolement prises par l'Occident à la suite de l'invasion de l'Ukraine en février 2022. La rencontre de Saint-Pétersbourg représente une opportunité pour Moscou de prouver qu’elle n'est pas seule et qu'elle a d'autres partenaires prêts à se rapprocher encore davantage du Kremlin.

C’est une préoccupation majeure pour la Russie, car peu de progrès commerciaux ou dans les investissements bilatéraux ont été réalisés au cours des quatre dernières années, principalement en raison de la pandémie de la COVID-19 et de la guerre en Ukraine. Moscou cherchera à consolider les résultats de Sotchi, qu'ils soient tangibles ou non.

La poursuite les discussions sur la guerre en Ukraine est une avancée pour les dirigeants africains

Cette évolution des relations avec l'Afrique se reflète dans la politique étrangère actuelle de la Russie. La politique de 2016 faisait peu référence à l'Afrique. La version de 2023 amplifie l'importance du continent en soulignant l'intention de Moscou d'accompagner l'Afrique en tant que « centre distinctif et influent de développement mondial » à travers des relations bilatérales privilégiées, le commerce et la coopération scientifique et humanitaire.

L'Afrique semble être plus une priorité pour la Russie que l'Europe, les États-Unis, l'Amérique latine et les Caraïbes, mais moins que l'Arctique, l'Eurasie (l’Inde et la Chine) et la région Asie-Pacifique.

Il est plus difficile de savoir ce que les États africains attendent du sommet. Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les lignes de fractures mondiales se sont étendues, et l'Afrique se trouve au centre d'une offensive de charme des puissances internationales qui cherchent à être soutenues dans leur vision de l'ordre international. En tant que plus grand groupement régional de l'Assemblée générale des Nations unies, mais aussi en tant que région la plus divisée sur la condamnation de l'agression russe, la valeur géostratégique de l'Afrique a gagné en importance.

Le programme de développement du continent devrait normalement être la priorité des dirigeants africains dans leurs engagements auprès des partenaires extérieurs. Mais cela n'est plus aussi simple ni aussi important qu'auparavant. Savoir avec qui ils collaborent et comment pourrait bien devenir une préoccupation croissante pour les dirigeants du continent dans le contexte d'un système international en pleine mutation.

Depuis 2019, Moscou a violé de multiples dispositions du sommet Russie-Afrique

Afin de recentrer les besoins de développement du continent, les pays africains doivent prendre des initiatives dans la définition du programme d'action et des responsabilités géographiques des rencontres bilatérales. Les gouvernements africains ont encore un rôle largement secondaire dans le processus de mise en place de ces engagements, dans l'élaboration du programme d'action et contribuent peu à leur aboutissement.

La sécurité alimentaire est un bon exemple. Le 17 juillet, la Russie s'est retirée de l'accord céréalier de la mer Noire, en invoquant son mécontentement des dispositions relatives à l'exportation des céréales et engrais russes. Ce retrait pourrait entraîner une hausse des prix des denrées alimentaires à l'échelle mondiale et menacer ainsi la sécurité alimentaire de nombreux pays d'Afrique. Que la Russie s'engage ou non à respecter de nouveau l'accord avant le sommet, les dirigeants africains devront exprimer activement leurs préoccupations en matière de sécurité alimentaire dans le contexte de la guerre en cours.

À Saint-Pétersbourg, les dirigeants africains devraient également réexaminer la déclaration de Sotchi de 2019 afin de réaffirmer une grande partie des dispositions qui ont depuis été violées par Moscou. Les articles 31 à 37 sur la « coopération judiciaire », par exemple, sont explicites en ce qui concerne le respect du droit international, la condamnation des interventions militaires unilatérales et le recours à la force en violation de la Charte des Nations unies.

Les États africains ne peuvent pas se permettre d'ignorer ces incohérences flagrantes qui sous-tendent leur large partenariat stratégique avec la Russie. S’ils ne réagissent pas, ils pourraient être perçus comme des États passifs, qui se bornent à approuver Moscou dans la poursuite de ses propres intérêts mondiaux étroits.

La volonté des dirigeants africains de poursuivre les discussions sur la résolution de la guerre en Ukraine constitue une évolution positive. Ce sommet intervient près d'un mois après la première mission de paix africaine, au cours de laquelle les dirigeants de sept pays se sont engagés dans un dialogue avec l'Ukraine et la Russie pour tenter de parvenir à un accord.

Le président sénégalais Macky Sall a récemment déclaré : « [nous allons] continuer à utiliser le sommet Russie-Afrique pour faire avancer les négociations que nous avons essayé de mettre en place entre la Russie et l'Ukraine ». Les dirigeants africains attendent de la Russie qu'elle prenne des initiatives en faveur de la paix, notamment en libérant les prisonniers de guerre et en restituant les enfants ukrainiens enlevés par la Russie au cours du conflit.

Alors que les fractures géopolitiques vont s'intensifier, les États africains devraient adopter une approche plus volontaire à l'égard des engagements du continent envers ses partenaires bilatéraux. Cela sortira le continent africain du cadre des sommets et des intérêts particuliers de ses partenaires, et le guidera vers des assises plus solides pour négocier les intérêts collectifs africains sur la scène mondiale.

Priyal Singh, chercheur principal, L Afrique dans le monde, et Denys Reva, chercheur, Sécurité maritime, ISS Pretoria

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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