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Repenser la gestion des coups d’État en Afrique de l’Ouest

Le sommet spécial de la CEDEAO offre le cadre idoine pour redéfinir les modes de gestion des transitions anticonstitutionnels.

La succession de changements anticonstitutionnels gouvernement (CAG) depuis 2020, ainsi que la décision en janvier 2024 du Mali, du Burkina Faso et du Niger de se retirer de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), traduisent des défis de gouvernance et démocratiques profonds.

Les difficultés de la CEDEAO à répondre aux crises de gouvernance de ses États membres au cours des dernières années et la perception d’un deux poids, deux mesures dans la gestion des coups d’État militaires et des « coups d’État institutionnels » perpétrés par des gouvernements élus ont nui à l’image de l’organisation.

Le sommet spécial sur l’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest annoncé par les chefs d’État de la CEDEAO, réunis le 7 juillet 2024, et prévu en 2025 offre l’occasion de traiter ces questions.

Ce sommet qui se veut consultatif et inclusif vise à rendre l’organisation plus efficace et plus réactive. Les chefs d’État appellent à une réflexion stratégique sur « les relations entre les processus électoraux, la démocratie et le développement ».

La coopération politique et sécuritaire régionale se fragmente alors que la violence extrémiste prolifère

Cependant, la récurrence des coups d’État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger, le caractère prolongé des transitions actuelles et l’apparente capacité de leurs dirigeants à résister aux pressions régionales, continentales et internationales forcent plus particulièrement une réflexion sur la réponse à apporter aux CAG, sur la gestion des transitions militaires et, plus largement, sur la gouvernance démocratique en Afrique de l’Ouest.

Dans le contexte de la crise globale du multilatéralisme, la réflexion stratégique de la CEDEAO devra avant tout tenir compte des spécificités de l’environnement régional qui ont conduit aux récents CAG et remis en question les capacités de l’organisation, ainsi que celles de l’Union africaine (UA), des Nations unies et des acteurs bilatéraux à gérer efficacement la résurgence des CAG et à accompagner les transitions.

La première particularité relève du soutien populaire dont ont initialement bénéficié les auteurs des CAG. Toutefois, cette ferveur était moins une carte blanche octroyée aux putschistes que l’expression dans la majorité des cas d’une insatisfaction à l’égard des performances de la gouvernance sécuritaire, socio-économique et politique des régimes renversés.

La deuxième spécificité tient à l’absence de réponses efficaces de la CEDEAO et de l’UA à la menace terroriste depuis 2012, en particulier dans le Sahel, ainsi qu’aux crises de gouvernance liées aux modifications constitutionnelles et troisièmes mandats controversés. Cette situation a impacté le crédit de ces organisations à jouer un rôle déterminant par la suite.

La troisième est la perte d’influence des partenaires occidentaux, dans le contexte d’une compétition géopolitique exacerbée avec la Russie, combinée à la posture souverainiste assumée par les régimes militaires qui limite significativement la marge de manœuvre des acteurs extérieurs. Paradoxalement, la coopération politique et sécuritaire régionale se fragmente à un moment où la violence extrémiste connaît une recrudescence particulière au Sahel et s’étend à certains pays du golfe de Guinée.

La CEDEAO doit clarifier et rendre plus prévisible son Acte additionnel portant régime de sanctions

Une récente étude de l’Institut d’études de sécurité montre que face à la consolidation des transitions militaires actuelles et à l’échec des outils régionaux et continentaux de gestion des CAG, un certain pragmatisme s’impose aux actions de stabilisation dans ces pays.

Au-delà de l’impact des évolutions du contexte régional sur son processus de réforme globale, la CEDEAO devra concrètement affiner ses outils et pratiques face à des situations de CAG sur la base de ses expériences au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger. Suite au coup d’État de juillet 2023 à Niamey par exemple, l’organisation avait appliqué une batterie de sanctions politiques, économiques et financières sans précédent et menacé les autorités militaires d’une intervention militaire.

Ces mesures n’ont cependant pas produit les résultats escomptés et ont, au contraire, consolidé la base populaire des militaires. La fragmentation du bloc régional qui en a résulté, avec la création de l’Alliance des États du Sahel et l’annonce du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, a fortement impacté la capacité de dissuasion de la CEDEAO.

Il est donc crucial que l’organisation vulgarise l’Acte additionnel portant régime de sanctions en le rendant plus clair et plus prévisible. Il importe également qu’elle édicte des modalités claires d’emploi de la force et se dote des moyens d’agir au plan militaire en toute autonomie stratégique et financière.

De façon plus large, les chefs d’État de la CEDEAO devraient saisir l’occasion que leur offre le contexte du moment pour accélérer la révision du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance après les tentatives de révisions infructueuses initiées en 2015 et 2021. Les propositions formulées visaient à raffermir les mécanismes démocratiques et de gouvernance, à doter l’organisation de moyens supplémentaires d’agir dans les situations de manipulations constitutionnelles, notamment, et à instaurer une norme communautaire sur la limitation des mandats.

La CEDEAO est perçue comme plus portée par les intérêts des dirigeants que par ceux des peuples

L’enjeu politique autour d’une telle réforme est d’engager les États dont les positions ont contribué à bloquer l’organisation dans son ambition de promouvoir et de protéger des normes de gouvernance démocratique dans la région.

La temporalité de ces tentatives de révision du Protocole additionnel démontre qu’elles sont davantage le résultat d’une posture réactive des chefs d’État ouest-africains et de leur volonté de préserver leur pouvoir d’un renversement populaire ou militaire, que de l’aspiration à satisfaire une demande des peuples d’aller vers une CEDEAO à même de répondre aux défis en matière de gouvernance. Cet état de fait explique en grande partie le désamour des populations ouest-africaines à l’endroit de l’institution régionale, largement perçue comme un « syndicat de chefs d’État ». Il a aussi donné des arguments supplémentaires aux autorités militaires de transition et à leurs soutiens.

À l’aube de son 50e anniversaire en 2025, la CEDEAO demeure un acteur incontournable de l’intégration régionale et de la coopération sécuritaire. En plus de rendre l’organisation plus performante, le succès de sa réforme et de ses instruments de gestion des CAG contribuerait à redorer l’image de l’institution aux yeux des populations de la région. Il l’aiderait surtout à mieux prendre en charge les défis d’une région confrontée à d’importants problèmes politiques et sécuritaires.

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