Le suivi post-traumatique est nécessaire à la réinsertion des anciens terroristes
Les victimes de violence extrémiste, les anciens combattants et les communautés de réinsertion dépendent de l’accompagnement psychosocial.
Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO) terrorisent des communautés et radicalisent des habitants du Nigeria depuis 2009. Entre 2011 et 2013, le groupe s’est intéressé au Cameroun voisin. De 2014 à 2016, Boko Haram y a organisé 400 attentats, dont 50 attentats suicides, qui ont fait plus de 1 300 morts parmi la population civile.
Aujourd’hui, entre désillusion et crainte d’être tués par l’armée, les ressortissants camerounais membres de Boko Haram rentrent dans leur pays d’origine. Des otages rentrent également chez eux après avoir été libérés des mains du groupe grâce à des opérations militaires.
Les camps humanitaires qui accueillent les victimes d’attentats terroristes leur fournissent souvent un accompagnement post-traumatique, mais il existe peu de soutien psychosocial destiné aux ex-engagés de retour dans leur pays. En effet, des travaux de recherche ont montré que les présumés terroristes sont souvent détenus pendant des mois, voire des années, sans bénéficier de la moindre possibilité de réhabilitation et de réinsertion.
La thérapie pour anciens combattants est un élément important, quoique négligé, des réponses au terrorisme
Il est de plus en plus important de proposer des consultations post-traumatiques tant aux membres des communautés qui accueillent les extrémistes réhabilités, qu’à ceux qui ont quitté ces groupes extrémistes violents. Toutefois, en raison de leurs capacités limitées, le personnel humanitaire et les psychologues préfèrent répondre aux besoins des victimes plutôt qu’à ceux des auteurs de violences. Fort négligées, les consultations dédiées aux anciens combattants constituent un élément important de la réponse globale à apporter au terrorisme.
Cet aspect est également négligé en raison du fait qu’il existe une stigmatisation liée aux consultations post-traumatiques dédiées aux communautés touchées. Si une personne ou une communauté accepte de recevoir un soutien psychosocial, cela signifie qu’elle a été « entachée » par Boko Haram. Or, toute partie « entachée » est ostracisée et traitée avec hostilité par les autres communautés. À leur retour, les anciens membres de Boko Haram, quel que soit le rôle qu’ils et elles ont joué au sein du groupe, sont souvent rejetés par leur famille et leur communauté.
En raison du nombre élevé de personnes déplacées à l’intérieur du pays, de victimes d’attentats terroristes et de combattants de retour dans leur pays, la capacité de proposer un accompagnement psychologique dans la région du bassin du lac Tchad est limitée. Au Cameroun, des organisations locales commencent à former certains membres des communautés à fournir un accompagnement psychosocial. Au Nigeria, l’opération Safe Corridor – programme gouvernemental de réhabilitation – reconnaît l’existence de ce qu’elle nomme un « post-exit trauma » [NdlT : traumatisme survenant après avoir quitté un groupe extrémiste] et a intégré le soutien psychosocial dans sa stratégie de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent.
Le manque de capacités implique que les travailleurs sociaux et les psychologues se concentrent davantage sur les victimes que sur leurs agresseurs
Selon Fidèle Djebba de l’Association Rayons de Soleil au Cameroun, tant les victimes que les membres des groupes terroristes ont besoin d’aide pour surmonter le traumatisme causé par les attentats. Elle a déclaré aux chercheurs de l’Institut d’études de sécurité que les terroristes qui désertent ou qui sont libérés de groupes extrémistes ont besoin d’aide pour se confronter aux crimes qu’ils ont commis et à la violence dont ils ont été témoins. Il est donc essentiel qu’ils bénéficient d’une aide psychologique et de réhabilitation, afin de reprendre une vie normale en tant que membres actifs de la société.
Mme Djebba estime que si une personne souffrant d’un traumatisme n’est pas traitée de façon adéquate, celle-ci pourrait reprendre des activités violentes ou bien se trouver dans l’impossibilité de reprendre le cours de sa vie en raison du syndrome de stress post-traumatique. Les victimes ont également besoin d’un accompagnement pour faire face au retour de leurs agresseurs, tout comme les familles d’anciens terroristes. Selon elle, les familles et les communautés qui ne reçoivent pas d’aide en matière de prise en charge de leur traumatisme auront du mal à réintégrer les anciens agresseurs.
« Alors que le Cameroun s’est engagé dans un processus de désarmement, démobilisation et réintégration d’anciens extrémistes, il est important que les victimes de l’extrémisme violent soient bien préparées au retour de ces ex-engagés », déclare Mme Djebba. « Pour ce faire, il est impératif que les blessures internes soient cicatrisées. Si rien n’est fait, nous verrons des individus commettre des actes de vengeance contre les anciens combattants ».
Il est en effet arrivé que 96 ex-engagés bénéficiaires de l’opération Safe Corridor aient eu peur d’en quitter le camp à Gombe, au Nigeria, et refusé de rentrer dans leurs communautés respectives par crainte de représailles et de vengeance.
Si une personne ou une communauté accepte de recevoir un accompagnement, cela signifie qu’elle a été « entachée » par Boko Haram
L’accompagnement psychosocial doit être fourni par des psychologues, des travailleurs sociaux et les premiers secours. Mais le ministère des Affaires sociales du Cameroun ne dispose pas des moyens humains suffisants pour mener cette mission à bien. De plus, la plupart des villages touchés ne disposent ni de centres sociaux, ni d’infrastructures. Les psychologues déployés dans les communautés sont également limités par le temps et ne peuvent pas s’occuper de tout le monde, en particulier dans la région de l’Extrême-Nord.
Pour tenter de pallier ce manque d’infrastructures et de personnel qualifié, l’organisation de Mme Djebba a commencé à former des chefs communautaires au soutien psychosocial de base, afin qu’ils puissent identifier et écouter ceux qui en ont besoin. Cette formation consiste également à diriger les victimes vers les thérapeutes appropriés. Toutes les informations évoquées auprès des praticiens sont placées sous le sceau de la confidentialité.
Outre les avantages que peuvent en tirer les personnes, les familles et les communautés directement touchées par l’extrémisme violent, ces thérapies peuvent contribuer à prévenir le terrorisme. Mais le soutien psychosocial n’est qu’un des éléments d’une approche holistique, qui suppose la prise en charge globale de l’individu.
« La guérison favorise le pardon et la réconciliation. Cependant, le processus de guérison doit s’accompagner de stratégies de réparation, de reconstruction et de réinsertion des victimes », explique Mme Djebba. L’accompagnement psychosocial doit notamment s’accompagner d’aides au logement, d’aides alimentaires et d’aides médicales.
Pour les communautés touchées par le terrorisme, l’accent est mis sur les besoins immédiats en alimentation, en aide médicale et en eau, et non sur le soutien psychosocial. Des organisations comme l’Association Rayons de Soleil sont confrontées au double défi de sensibiliser les populations aux raisons pour lesquelles le soutien psychosocial est essentiel, puis de veiller à ce que ce service spécialisé puisse être fourni à ceux qui en ont besoin.
Isel van Zyl, chercheuse junior, Menaces transnationales et criminalité internationale, Pretoria
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