Réforme du secteur de la sécurité en Afghanistan, une leçon pour la Somalie

Des puissances étrangères peuvent-elles légitimement s’impliquer dans l’édification d’une nation et y établir des infrastructures de sécurité ?

Être agent de police en Afghanistan demande un certain courage. Lorsque je l’ai rencontrée en 2014, Mina (nom d’emprunt) était chargée de procéder à des fouilles corporelles à un poste de contrôle situé sur la route menant à l’aéroport de Kaboul.

Travaillant aux côtés de ses homologues masculins, elle était confrontée à une double menace : celle d’être une femme dans un domaine essentiellement masculin et celle de la violence des insurgés. Les points de contrôle sont depuis longtemps considérés comme des goulots d’étranglement dangereux, propices aux engins explosifs improvisés et aux attentats-suicides.

Pourtant, la bravoure remarquable dont faisaient preuve les recrues, hommes et femmes n’est égalée que par le fait qu’ils n’exerçaient aucune autorité sur les citoyens ordinaires, qui contestaient leur statut malgré les armes lourdes qu’ils portaient. En effet, cette réalité fait ressortir la question de la légitimité qui a entravé le service de sécurité déjà fragile en Afghanistan. Cela rappelle également des problèmes similaires affrontant les acteurs de la réforme du secteur de la sécurité en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud.

Dans ce contexte de déficit de légitimité et de corruption au niveau des entités gouvernementales, on peut peut-être comprendre pourquoi de nombreux contingents en uniforme se sont fondus dans la vie civile lorsque les talibans ont ravagé l’Afghanistan au début du mois d’août.

Des informations font état de l’utilisation par les talibans de la base de données biométriques du ministère de l’Intérieur, et ce, afin de traquer les policiers et les militaires. Ces rapports effrayants aggravent la situation précaire à laquelle sont confrontés les membres des services de sécurité afghans.

La réforme du secteur de la sécurité était une pierre angulaire des efforts d’édification de la nation en Afghanistan. Les forces étrangères et leurs conseillers ont été déployés de 2015 à juillet 2021 dans le but de « former, conseiller et assister » les Forces de sécurité nationales afghanes et la Police nationale afghane, dans le cadre de la mission Resolute Support des États-Unis (US) et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

En raison de la faiblesse du leadership en Afghanistan, un pilier essentiel de l’édification de la nation a été éclipsé par des gains personnels

Selon le mantra que les généraux des forces américaines et de la coalition n’arrêtent de répéter aux conférences de presse depuis 2014, les forces de sécurité afghanes « menaient » les opérations alors que les forces étrangères servaient de simples renforts. Cependant, les interrogations autour des capacités des nouvelles recrues sont maintenant exposées au grand jour.

De nombreux observateurs afghans s’accordent à dire que, malgré ses bonnes intentions, la mission relevait sans doute davantage d’une ambition politique que d’une politique fondée sur le renseignement et sur les faits et besoins constatés sur le terrain. Elle visait à ouvrir la voie au retrait des forces étrangères et non à présenter un compte-rendu réaliste des capacités existantes en matière de sécurité.

En 2014, le taux de déperdition dans la police afghane a grimpé, car ses membres étaient de plus en plus nombreux à être visés par les bombes ou les engins explosifs improvisés des insurgés sur les routes et non plus par des tirs directs. En 2019, un rapport du ministère de la Défense américain a révélé que les taux de déperdition et de rétention au sein des Forces de défense et de sécurité nationales afghanes avaient « dépassé » la vitesse de recrutement.

Dans d’autres contextes, comme celui de la Somalie, les acteurs participant aux efforts déployés par les partenaires étrangers pour mettre en place des infrastructures de sécurité professionnelle devraient tirer des leçons de l’expérience afghane. « L’Afghanistan a renforcé les échecs de l’édification d’un État libéral. Les interventions négligent souvent les dynamiques et le contexte du pays », affirme Mohamed Gaas, chercheur principal pour la Corne de l’Afrique à l’Institut d’études de sécurité.

Les deux pays s’appuient largement sur les missions d’assistance étrangère pour reconstruire des institutions défaillantes. La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan visent toutes deux à renforcer les capacités de l’État de droit. En outre, l’Afghanistan et la Somalie ont tous deux connu plusieurs dizaines d’années d’instabilité et sont secoués par des problèmes de gouvernance, des rivalités ethniques, une géopolitique complexe et une corruption généralisée.

Les deux pays se sont engagés dans de longues guerres asymétriques prenant la forme d’insurrections violentes. Alors que les talibans poursuivent un agenda nationaliste en Afghanistan, en Somalie, Al-Shabaab poursuit un objectif islamiste plus large. Pourtant, leur police et leur armée respectives, relativement inexpérimentées, sont censées lutter contre les insurrections, le trafic de drogue et la criminalité transnationale, tout en instaurant la confiance et en faisant respecter l’État de droit.

Le transfert prochain de l’AMISOM aux forces de sécurité somaliennes présente des similitudes avec la situation en Afghanistan

Le mandat de l’AMISOM arrive à terme en décembre 2021, après qu’une prolongation a été obtenue. Il y aura un transfert progressif aux forces de sécurité somaliennes, et des parallèles évidents sont à faire avec l’expérience de l’Afghanistan en matière d’interventions étrangères.

Beaucoup d’encre a coulé quant à la « bonne » façon de réformer le secteur de la sécurité. Le Rapport sur le développement dans le monde 2011 sur les conflits, la sécurité et le développement a identifié trois éléments clés pour réussir cet exercice : l’emploi, la sûreté et la sécurité pour la population au sens large et les institutions afin de soutenir l’état de droit.

Cependant, Nicholas « Fink » Haysom, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Afghanistan en 2014-2016, qui a ensuite occupé un poste similaire en Somalie jusqu’en 2019, soutient qu’il existe d’autres conditions à la réussite de la réforme. Selon lui, les policiers et les soldats afghans étaient en demande de « valeurs, d’idéaux et de motivation » de la part des dirigeants afghans. Or, « face à un impératif clair, [l’élite politique afghane] passait plus de temps à se faire concurrence qu’à gérer cette priorité nationale ».

La contestation politique interne en Somalie pourrait présenter des obstacles similaires à une réforme durable du secteur de la sécurité. « Dans les cas où les unités ont été formées par différents acteurs externes, les forces de sécurité somaliennes ont souffert des mêmes problèmes de cohésion interne », déclare Andrews Atta-Asamoah, chef du programme Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique à l’ISS.

L’absence de leadership en Afghanistan signifiait qu’un pilier essentiel de l’édification de la nation a été éclipsé par le gain personnel. Par exemple, il était plus attrayant pour les recrues de rejoindre une milice pour tenir un poste de contrôle et s’assurer ainsi des pots-de-vin et un statut, que de rejoindre la police ou les forces armées régulières.

De même, cela a toujours constitué un défi pour le recrutement en Somalie. La concurrence avec les milices locales qui exercent une influence et imposent une justice populaire aux communautés locales est une autre réalité déstabilisante.

Le modèle préféré des acteurs extérieurs en Somalie et en Afghanistan consiste à centraliser les forces de sécurité

L’ordre dans lequel se fait la réforme du secteur de la sécurité peut également se révéler important. Certains universitaires affirment que la création d’un environnement politique propice à la réforme doit précéder les exigences techniques afin de susciter l’adhésion des populations locales. Cependant, dans les cas de l’Afghanistan et de la Somalie, où des insurrections actives sont combattues, il faut faire les deux simultanément.

Le modèle privilégié par les acteurs extérieurs en Somalie et en Afghanistan est celui d’une force de police et de défense centralisée. Toutefois, cette approche descendante est difficile à mettre en œuvre dans les États caractérisés par de fortes identités et rivalités régionales ou ethniques. La Somalie étant un État fédéral, le manque d’unité entre les différents États a perturbé la gouvernance, les processus électoraux et l’ordre public.

Ces défis soulèvent la question de savoir comment obtenir la légitimité, la cohésion interne et des structures de commandement et de contrôle solides face à des menaces importantes. Selon Gaas, la voie à suivre pourrait résider dans un modèle fédéral d’infrastructure de sécurité, « les services de sécurité décentralisés du Puntland et du Somaliland ayant démontré leur capacité à résister aux insurgés ».

Cependant, la cession du contrôle de la sécurité à l’échelon local risque d’entraîner son lot de problèmes, notamment en matière de surveillance. Les équipes de police communautaire afghanes se sont rendues célèbres pour le laxisme de leurs critères de sélection, le niveau élevé des violations des droits de l’homme qu’elles commettent, leur corruption et le fait qu’elles étaient infiltrées par les insurgés.

Tout ceci alimente le débat visant à savoir s’il faudrait, pour commencer, impliquer des forces étrangères dans l’édification d’une nation, en laissant de côté les dynamiques complexes associées aux acteurs externes tels que le Pakistan en Afghanistan, le Kenya et l’Éthiopie en Somalie. L’expérience de l’Afghanistan apporte de l’eau au moulin de ceux qui s’opposent à cette idée.

Karen Allen, consultante principale de l’ISS et ancienne correspondante de la BBC à Kaboul et en Afrique australe et de l’Est.

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