En Libye, tout se résume à la force militaire
L'arrestation de Libyens soupçonnés d’avoir reçu une formation militaire en Afrique du Sud révèle la nature du pouvoir dans ce pays d'Afrique du Nord.
Quatre-vingt-quinze (95) Libyens ont-ils réellement suivi une formation militaire à l'académie Milites Dei, à Mpumalanga, à l'est de l’Afrique du Sud, et si oui, dans quel but ? Ou s’agissait-il réellement d’une formation d’agents de sécurité privés ?
Le mystère reste entier. Ce qui n'est pas surprenant, compte tenu de la complexité de leur pays d'origine. Ces hommes ont été arrêtés par la police le 26 juillet et présentés à la justice trois jours plus tard, accusés de fausses déclarations sur l'objet de leur visite en Afrique du Sud dans leur demande de visa.
La police a déclaré aux médias locaux que les hommes ont prétendu séjourner en Afrique du Sud pour une formation d'agents de sécurité privés, alors qu'il s’agissait d’une formation militaire. Dans une interview accordée à une chaîne de télévision locale, l'un des hommes a déclaré qu'ils avaient été engagés par un homme d’affaires libyen pour suivre une formation afin de protéger ses nombreuses entreprises.
Les analystes réfutent cette version et estiment que ces hommes sont allés recevoir une formation militaire. De l’avis général, le maréchal Khalifa Haftar, l'homme fort de la Libye, qui dirige la soi-disant Armée nationale libyenne (ANL) est derrière tout ceci. Il est reconnu comme l'homme fort du gouvernement basé à Benghazi, dans l'est de la Libye, qui se dispute le contrôle du pays avec le gouvernement de l'Ouest, soutenu par les Nations Unies et basé à Tripoli.
Quatre ans après la guerre, les gouvernements libyens n'ont toujours pas fait la paix
Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au Royal United Services Institute, a déclaré à ISS Today que tout laisse à penser que ces hommes étaient employés par Haftar et que leur formation d’agents de sécurité privés n’était qu’une couverture.
On suppose également que Haftar forme des soldats, probablement des forces spéciales en vue d’un nouvel assaut militaire contre le gouvernement de l’Ouest, comme en avril 2019. Ses troupes avaient été stoppées dans la banlieue de Tripoli en juin 2020, principalement grâce à l'intervention de forces turques.
Harchaoui n'exclut pas cette possibilité, même s'il estime que cette conclusion n’est pas irréfutable. « En Lybie, l'économie, le système politique, la gestion du territoire, l'administration, le budget, les dépenses, la sécurité quotidienne des citoyens, le maintien de l’ordre, et toutes les composantes de base de la vie sociale sont fortement influencés par le pouvoir des groupes armés », explique-t-il.
En d'autres termes, depuis la guerre ouverte de 2019-20, les groupes armés ont continué à renforcer leur puissance militaire pour dissuader leurs rivaux. Ils utilisent la force pour exercer leur influence, défendre un territoire, obtenir des emplois pour leurs proches ou empêcher les djihadistes de franchir la frontière depuis le Niger. « Tout repose sur le risque de violence physique. Mais cela ne veut pas dire que cette violence sera effectivement employée », précise Harchaoui.
Les dirigeants semblent trouver des prétextes pour retarder l’élection d’un gouvernement consensuel
Cela explique pourquoi, quatre ans après la fin de la guerre totale et 13 ans après l'éviction de Mouammar Kadhafi, les Libyens n'ont toujours pas négocié la fin du conflit politique entre les gouvernements de l'Ouest et de l'Est. En avril, l'envoyé spécial des Nations Unies, Abdoulaye Bathily, a démissionné, frustré de voir les dirigeants placer leurs intérêts personnels au-dessus de l’intérêt collectif.
À première vue, le désaccord entre l'Est et l'Ouest se résume à la chronologie des élections. L'Est veut passer directement aux élections présidentielles, tandis que l'Ouest envisage d’établir des bases institutionnelles plus solides. La Constitution doit être modifiée pour inclure, entre autres, une définition correcte des pouvoirs du président. Ces positions incompatibles ont plongé le pays dans une longue impasse.
Lorsque Bathily a souligné que les intérêts personnels l'emportaient sur l'intérêt national, il reflétait l’opinion générale selon laquelle l'élite politique se plait dans le statu quo et n’a aucun intérêt à modifier la Constitution.
Certains parlent des « Big Five », influents tant à l'Est qu’à l'Ouest, notamment Mohamed Takala, président du Haut Conseil d'État ; Abdul Hamid Dbeibeh, Premier ministre du gouvernement d'union nationale ; Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants ; le maréchal Khalifa Haftar, commandant de l'Armée nationale libyenne ; et Mohamed al-Menfi, président du Conseil présidentiel. Tous exploitent les ressources du pays et tirent profit du chaos.
La démarcation floue entre l'Est et l'Ouest de la Libye transparait dans l'intervention internationale
Il semble que les dirigeants trouvent sans cesse de nouveaux prétextes pour retarder les élections visant à choisir un gouvernement unique et consensuel. De plus, Harchaoui affirme que les politiciens de l'Est et de l'Ouest sont souvent complices en matière de corruption.
Les lignes de démarcation entre les deux camps se sont estompées comme en témoigne l'engagement international en Libye. Il y a quatre ans, la situation était plus claire. La Turquie soutenait Tripoli tandis que les Émirats arabes unis (É.A.U) et la Russie soutenaient Benghazi. Aujourd'hui, la Turquie soutient toujours Tripoli, tout en essayant de rallier la famille Haftar dans l'est du pays, explique Harchaoui. Les Émirats arabes unis préservent leur proximité historique avec Haftar, mais soutiennent également le Premier ministre Dbeibeh à Tripoli.
La Turquie et les Émirats arabes unis sont les deux principales puissances étrangères impliquées, tandis que la Russie renforce sa présence militaire dans l'est, grâce à son alliance de longue date avec Haftar, explique Harchaoui.
« Vous comprenez donc à quel point le statu quo est enraciné ». Il déplore que la communauté internationale se désintéresse de cette situation parce qu'elle n'a pas engendré de guerre ouverte depuis quatre ans et que l'État islamique est tenu en bride. Pourtant, le développement de la Libye est entravé par la corruption et l'absence d'objectif consensuel.
La solution n’est pas évidente, mais Harchaoui estime que les États-Unis devraient utiliser leur pouvoir et leur influence pour la trouver.
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